Anti-sionisme judéophile (à tout le moins jamais judéophobe)

8 November, 2023 - 09:57

Suite à un malheureux défaut de communication, les corrections habituelles concernant l'usage du nom d'Israël, pour désigner l'entité sioniste martyrisant le peuple palestinien depuis soixante-quinze ans, n'ont pas été portées dans l'édition-papier N°1362 de notre journal « Le Calame ». Si nous nous sommes employés à rectifier cette erreur dans la version-Internet (www.lecalame.info), il convient surtout de rappeler à tous nos lecteurs et lectrices, contributeurs et contributrices, les raisons objectives de ce principe de notre ligne éditoriale. Ce n’est en effet pas seulement au regard de notre qualité musulmane commune que nous soutenons la nécessité de ne pas attribuer le nom de Yakoub Israël (PBL) aux exactions commises par l’entité sioniste en Palestine. C’est d’abord une exigence humaniste et historique.

Digression apparente à mon propos, je commencerai d’abord par« souligner le caractère mal formé du mot « antisémitisme », tributaire d’une vision raciale de l’histoire fondée sur la thèse de la lutte entre les « Sémites » et les « Aryens » – ou « Indo-Européens »[…] Elle date d’une époque où l’on confondait ordinairement la langue et la race, où l’on passait des langues sémitiques à la « race sémitique » ou aux « races sémitiques », des langues indo-européennes à la « race » indo-européenne ou « aryenne » (1). De fait, le mot « antisémite » ne fit son entrée dans le lexique occidental qu’en 1860 sous la plume d’un juif autrichien, Moritz Steinschneider, en réaction aux «préjugés antisémites » – en allemand, antisemitische Vorurteile –du philosophe et historien français athée Ernest Renan (1823-1892), avant d’être récupéré et vulgarisé par certains milieux judéophobes, à la fin des années 1870, comme un mode d’auto-qualification.

Sémites : descendants donc du patriarche Sem, frère de Cham et Japhet, fils de Noé (PBL) qui échappèrent au Déluge selon la tradition hébraïque. Des nomades essentiellement, comme le signalent notamment l’épopée d’Abraham (PBL) entre la Mésopotamie et l’Égypte, d’une part, et un des sens du mot « Al’Arab », d’autre part. Hébreux et Arabes ont d’ailleurs longtemps partagé, sous diverses dominations, les mêmes territoires – riverains de la Méditerranée surtout – jusqu’à la disparition de l’empire Ottoman après la 1ère guerre mondiale, époque à laquelle les gouvernements occidentaux prirent possession plus ou moins directe du Moyen-Orient, alors que les enjeux énergétiques se cristallisaient sur l’exploitation des hydrocarbures. Le terme « antisémitisme » est alors étroitement associé à la contestation du pouvoir juif lentement établi sur le monde financier occidental, à partir des immigrations consécutives aux chutes du khalifat de Baghdad en 1358 et de Grenade en 1492 (2) ; et notoirement impliqué dans les investissements pétroliers. Ce fut dans ce contexte que se développa l’idéologie sioniste.

 

Le sionisme, cancer tardif d’Israël…

Fondé sur l’espérance traditionnelle d’un retour à la « Terre promise » – référence au retour en Palestine des Israélites (3) exilés à Babylone au 5ème siècle avant J.C. – l’apparition du sionisme n’apparaît pourtant que très tardivement au sein des communautés juives (4). Il est surtout l’œuvre de Théodore Herzl (1860-1904), un écrivain et journaliste d’origine polonaise, qui n’en avait pas moins déclaré, trois ans avant sa fondation du mouvement sioniste au congrès de Bâle (1897), la très lucide observation suivante : « Le bon juif Daniel veut retrouver sa patrie perdue et réunir à nouveau ses frères dispersés. Mais, sincèrement, un tel juif doit savoir qu'il ne rendrait guère service aux siens en leur rendant leur patrie historique. Et si un jour les juifs y retournaient, ils s'apercevraient dès le lendemain qu'ils n'ont pas grand-chose à mettre en commun. Ils sont enracinés depuis de longs siècles en des patries nouvelles, dénationalisés, différenciés, et le peu de ressemblance qui les distingue encore ne tient qu'à l'oppression que partout ils ont dû subir », propos cité dans « Petite Histoire des Juifs », Jérôme et Jean Tharaud, Paris, Librairie Plon, 1927.Herzl dira plus tard que c’est l'affaire Dreyfus (5) qui motiva son engagement, même si cela n'apparaît pas dans son journal intime.

Herzl et les premiers sionistes mènent alors une propagande importante – mais assez vaine – au sein des communautés, surtout européennes, très majoritairement opposées, quant à elles, à l’idée d’un État national juif susceptible de porter tort aux droits légitimes du peuple palestinien. Si le premier congrès sioniste ne put être tenu à Munich « à cause des protestations indignées du rabbinat allemand » (6), c’est aussi dans les franges irréligieuses de ces communautés (7) que s’exprimaient les oppositions au projet sioniste. Sans rentrer dans les détails du développement du sionisme, celui-ci n’obtient un soutien majoritaire des juifs qu’après la fin de la seconde guerre mondiale et des terribles exactions nazies à leur encontre.

Mais, semble-t-il aussi justifié, a posteriori, par ledit épouvantable drame, le ver était déjà dans le fruit. « Au moment de la déclaration Balfour (1917), seulement un tiers des quatre-vingt mille juifs présents en Palestine étaient des autochtones formant le Yishouw Yashann, le vieux peuplement à forte filiation judéo-espagnole, autrement dit sépharade : 11 % de la population palestinienne arabe à cette date » (8). Les autres sont essentiellement d’origine d’Europe de l’Est, ashkénazes souvent blonds aux yeux bleus. « À cette époque, les premiers s’opposent fermement aux seconds, jugeant que ceux-ci font naître un sentiment antijuif qui était naguère pratiquement inexistant. […] En 1924, les représentants de la communauté juive sépharade signent une déclaration commune anti-sioniste avec le Conseil supérieur musulman de Jérusalem » (8).

Très tôt, la colonisation ashkénaze s’était« caractérisée par une thématique de l’occupation corrélée à celle de l’expulsion, ainsi que l’indique le slogan sioniste : « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Dès l’origine, la colonisation fut colorée de projet ségrégationniste et de considérations méprisantes envers les Palestiniens. Le mépris constituait une réaction de surcompensation de gens appartenant à un peuple méprisé et discriminé en Europe, et qui projetait le mépris et la discrimination sur des tiers parfaitement innocents de leurs malheurs mais méprisables et discriminables sans danger. Dévaloriser les Arabes revenait à se revaloriser »(9).La seconde grande vague post 1945 ne fit que surfer sur la première, comme des métastases sur une tumeur maligne.

 

… et du capitalisme occidental

« Le début de la colonisation sioniste est à replacer dans le cadre idéologique de l’impérialisme colonial de la deuxième moitié du 19èmesiècle » (9). C’est-à-dire de l’assujettissement généralisé des espaces et des peuples – aujourd’hui de chaque individu (10) – au développement démentiel des marchandises. Une démarche clairement initiée en Grande-Bretagne, phare de la révolution industrielledès1689. « En 1847, lord Lindsay écrit que « le sol de la Palestine […] n'attend que le retour de ses enfants bannis pour s'industrialiser et développer ses capacités agricoles, afin qu'éclate une fois de plus sa luxuriance et qu'elle redevienne ce qu'elle était au temps de Salomon ». Il témoigne que Benjamin Disraeli, chancelier de l'Échiquier en 1852, avait alors un plan pour restaurer la nation juive en Palestine et vingt-six ans plus tard, en 1877, dans un article intitulé « La Question juive est le Graal de l'Orient », Disraeli prévoyait que les cinquante prochaines années verraient un million de Juifs résidant en Palestine sous direction britannique. […]

[…] Aux USA, William Blackstone présente en 1891 au président américain une pétition pour la restauration des Juifs en Palestine signée par quatre cents personnalités dont John Rockefeller » (4).Longtemps contrecarré en France par une anglophobie tenace, c’est seulement après les convulsions de la crise de 1929 que commence à émerger un sionisme militant, parfois au nom d’un messianisme chrétien, mais toujours en lutte constante avec un antisémitisme viscéral qui s’effondre cependant après la 2ème guerre mondiale… avant de renaître soixante-dix ans plus tard en une islamophobie compulsive et donc paradoxalement pro-sioniste (11).

Mais partout conquérante jusqu’en 1975, la « Rémarcande » – du latin resmercatori : pastiche ou cerveau même de la res publicae ? – se voit jour après jour plus affaiblie par un nombre exponentiellement croissant d’alarmes. Sociales, avec toutes sortes de contrecoups populaires réactifs aux injustices criantes générées par le système, trop souvent violents, hélas, et d’autant plus aisément manipulables par les stratèges du spectacle marchand fort experts en l’art de diviser pour régner; et surtout naturelles, avec les beaucoup plus redoutables dérèglements climatiques. Certes, c’est bel et bien la « Chose marchande » qui a engendré le sionisme et pas le contraire. Nier cette évidence en se laissant aller à doter l’entité sioniste du nom d’Israël (PBL), c’est à coup sûr faire preuve du plus nauséeux antijudaïsme. Les Sionistes et les profiteurs du système s’y acharnent, avec toute l’énergie du désespoir. Certainement pas les peuples. À commencer par les juifs un tant soit peu conscients de l’abîme où tend à les pousser leurs coreligionnaires fascistes. Serait-ce vraiment un contre-sens que les musulmans tout aussi culturellement sémites – et génétiquement pour une minorité des uns et des autres– s’y refusent de même ?

 

Ian Mansour de Grange

Écrivain et correcteur au journal « Le Calame »

 

NOTES

(1) : Pierre-André Taguieff,« L’antisémitisme », PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, 2015, p 7.

(2) : « Àla fin du 16èmesiècle […] trois juifs sur cinq vivent en Europe de l’Est, en particulier en Pologne et Lituanie », ai-jesouligné dans mon ouvrage « GENS DU LIVRE en Eurasie occidentale, Afrique du Nord et Sahel, des premiers siècles de l’ère chrétienne à l’aube de la révolution thermodynamique », 2ème édition, Éditions Joussour Abdel Aziz, Nouakchott, 2023, p 207. Une situation révélatrice de ce que la population [sioniste] en 1947 n’avait pratiquement plus de racines sémitiques, sinon très lointaines.  J’amplifierai plus loin cette affirmation avec quelques précisions supplémentaires.

(3) : personne qui appartient à la communauté biblique d’Israël (PBL).

(4) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_sionisme

(5) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Dreyfus

(6) : Élie Barnavi, Histoire universelle des Juifs, Hachette Littérature, 2002, p. 16, et, en ce qui concerne l’évolution du parti religieux « Agoudat Israël », https://fr.wikipedia.org/wiki/Agoudat_Israel

(7) : Notamment au sein del’Uniongénéraledestravailleursjuifs (Bund) qui prône le droit des Juifs à constituer une nationalité non-territoriale et laïque de langue yiddish. Voir notamment https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Bund

(8) : Voirplusen détail les recherches de Gilbert Meynier in https://www.cairn.info/revue-naqd-2005-1-page-11.htm

(9) : Gilbert Meynier, op. cité.

(10) : Voir notamment mon autre ouvrage « D’ICI À LÀ », Éditions Joussour Abdel Aziz, Nouakchott, 2023, pp 375 et suivantes.

(11) : Cf. à cet égard l’évolution du « Front national » de la famille Le Pen et consorts qui attendent manifestement plus du lobby juif que de l’immigration maghrébine dans l’Hexagone pour y conquérir enfin le pouvoir… celui sous le pouvoir, of course !