Lettre ouverte à monsieur le Président Erdogan/Mahfoud ould Amy, Maître de conférences à l’Université de Nouakchott

8 November, 2023 - 10:01

Face au drame palestinien qui se déroule en ce moment et en direct sous les yeux du monde entier, et regardant à droite et à gauche, surtout derrière et devant, je ne vois que vous, monsieur le Président Erdogan, pour venir, en sursaut de dignité, d’honneur et d’humanité, conjurer le mal absolu que représentent les sionistes racistes et fascistes de tous bords et éviter ainsi aux Palestiniens une énième Nekba (catastrophe), inadmissible à l’heure de l’interdépendance entre tous les humains.

Monsieur le Président, quatre raisons principales m’incitent à placer en vous l’espoir de relever ce défi existentiel, exaltant et gros d’une promesse d’un nouveau Moyen Orient dont la Turquie serait un acteur incontournable. Première de ces raisons, la justesse de la cause palestinienne, immuable auprès des peuples musulmans, en particulier le vôtre, le peuple turc que vous dirigez. Ne sont-ce pas vos ascendants ottomans qui, contre vents et marées, conservèrent intacte toute la Palestine ? Ne sont-ce pas les mêmes ennemis occidentaux accourus aujourd’hui au secours de Netanyahu qui jadis affaiblirent l’empire Ottoman, s’emparèrent de la terre, violentèrent nos frères et établirent l’État raciste et fasciste de [la Sionie] ?

 

Guerre existentielle

Ne pensez-vous pas, monsieur le Président, que l’élimination du Hamas, à l’issue de la guerre existentielle actuelle, et, subséquemment de la cause palestinienne, ne déboucherait pas immanquablement sur une nouvelle configuration où la prochaine cible serait non pas l’Iran mais bien la Turquie ?À bien des égards, il vous faudrait sérieusement craindre que la Déclaration de Balfour soit alors suivie de celle du « foyer » extrémiste kurde, inféodé à l’Occident sur la terre de la Turquie!

Le second motif suit de près le premier. Au Moyen-Orient, abstraction faite des Arabes – un problème à traiter à part – et en dehors de la singularité essentielle : une discontinuité dans l’espace et dans le temps ; que constitue le « peuple » juif de [la Sionie] – en fait, une tête de pont d’un monde occidental en déliquescence et en faillite morale – il existe deux peuples qui aspirent à jouer un rôle central dans la sous-région : le vôtre, turc, et celui, perse, de l’Iran. Même si le soutien à la cause palestinienne fait partie des constantes de la politique étrangère iranienne – soutien des « Moustadhaafines » contre les « Moustakbirines », principe fondamental de la Révolution islamique de 1979 – la position de l’Iran dans le conflit actuel est claire : il n’entrera en hostilité que s’il est attaqué. Par conséquent, le croissant chiite : Irak, Syrie, Liban, Yémen ; allié armé de la République Islamique d’Iran ; ne jettera pas toutes ses forces dans la bataille, juste quelques contributions, réelles mais certainement limitées.

À qui alors, monsieur le Président, reviendra l’honneur du leadership de l’opposition à Netanyahu ? Le laisser complétement à l’Iran serait, de mon point de vue, une erreur stratégique. Le rôle hautement honorable de chefferie d’une coalition arabo-musulmane de résistance contre l’Occident et [la Sionie] vous incombe. Vous en avez le charisme, le courage et l’indépendance intellectuelle, valeurs intrinsèques aux grands dirigeants. Trois exemples illustrent mes propos. Le premier est celui-type du leader confronté à un putsch illégal fomenté en 2021 par la ligue des Occidentaux qui décida courageusement de regagner Istanbul et en fit, dans un moment décisif, un mot d’ordre suivi par l’ensemble du peuple turc.Le deuxième, c’est la bataille de Tripoli. C’est seulement lorsque vous mîtes tout votre poids dans la balance que le général Aftar et ses alliés occidentaux et orientaux – notamment les russes de Wagner – furent mis en échec. La Lybie et ceux qui l’aiment vous en seront redevables pour longtemps ! Le troisième exemple, c’est celui de votre alliance forte avec les Azéris qui permit de libérer en 2023 les terres musulmanes tristement et injustement occupées par les Arméniens du Haut Karabakh. Il me semble en tous cas que celui qui prendra la tête du combat sacré contre la folie meurtrière et inarrêtable de Netanyahu jouira d’un crédit inépuisable auprès des peuples musulmans et de ceux épris de liberté et de justice. 

 

 

Une Sionie minée de l’intérieur

Troisième raison, le contexte stratégique, du plus local au plus général. Il est vrai que l’opération « Déluge de l’Aqsa » du 7 Octobre a pris tout le monde de court, les amis comme les ennemis du Hamas, mais le plus important est maintenant de rebondir vite et bien. Monsieur le Président, la demeure du voisin et frère est en feu! Le camp ennemi des Palestiniens est, peut-être pour la première fois de son histoire, dans l’improvisation la plus totale. L’analyse géostratégique semble montrer que jamais [la Sionie] et ses alliés, Amérique en tête et ses supplétifs européens, n’ont été aussi affaiblis qu’en ce moment. [La Sionie] est minée de l’intérieur par des divisions inextricables et dirigée par un sanguinaire contraint à toujours fuir en avant –il sait que dès que la poussière de la guerre retombera, il sera politiquement mort –et qui confond manifestement son avenir politique personnel avec celui de son pays. Les États-Unis et leurs alliés européens sont en train de laisser des plumes dans le bourbier ukrainien et en perdront davantage contre la Russie. L’Amérique est maintenant doublée par la Chine sur le plan économique. En soutenant aveuglément la barbarie inouïe de Netanyahu, ils ont eux-mêmes signé leur mort morale et bradé définitivement, aux yeux des pays du Sud, leur fonds de commerce des« droits universels de l’Homme ».

En pareilles circonstances, monsieur le Président, les chemins, il n’y en a pas trente-six ! Face au drame de Gaza, il y a le chemin du sacrifice, de la hauteur de vue et de la responsabilité ou celui du naufrage et de l’abîme collectifs. Le dernier massacre contemporain de masse fut celui de la Bosnie dans les années 90. N’eurent été la responsabilité et l’intelligence de Bill Clinton qui engagea, devant l’impuissance récurrente des Européens à domicile, les frappes successives sur les reins de Slobodan Milosevic, obligeant l’ogre serbe à lâcher sa proie bosniaque, l’Europe serait aujourd’hui en lambeaux à cause de la guerre des Balkans.

Le devoir, enfin. Venir au secours d’une personne en détresse fait partie des devoirs universels de l’Homme et, là, je parle à votre foi d’homme de cœur plein d’humanité, pieux de surcroît. Cette obligation n’a-t-elle pas été rendue immuable et sacré par la Charia qui lui a même donné un nom : « devoir de Nusra » ? Comme vous le savez, monsieur le Président, celui-ci est proportionnel à la capacité et au pouvoir de tout un chacun. De ce point de vue, grand et gros est l’espoir placé à juste titre en vous. N’oubliez pas la recommandation divine : « ne faiblissez pas dans la poursuite des mécréants ! Si vous souffrez, eux-aussi souffrent comme vous souffrez, tandis que vous espérez d’Allah ce qu’ils n’espèrent pas », Saint Coran verset, sourate Nissâa, verset 102.