Corruption et blanchiment d’argent : Comment dissuader les voleurs sans sévir ?

27 December, 2023 - 16:36

Le président Mohamed Cheikh Ghazwani affiche, depuis son investiture en Août 2019, une volonté de combattre la corruption et le détournement de deniers publics. C’est là un cancer qui gangrène les ressources du pays depuis qu’Ould Taya en a ouvert la porte, en refusant de sanctionner les auteurs de détournements de deniers publics parce qu’ils avaient été « investis chez eux » et « assuré la loyauté de leurs tribus, familles ou villages vis-à-vis de son pouvoir ». Il eut de bons élèves après lui. Le régime de la Décennie en fut une parfaite illustration, la Commission d’enquête parlementaire et le procès de l’ex-Président ont prouvé la légèreté avec laquelle nos dirigeants et responsables se comportent avec les ressources qui leurs sont confiées : ils en font leur propre patrimoine.

Le virus s’est emparé des responsables mauritaniens chargés de gérer les ressources du pays. Ils en ont fait une gymnastique. Sans aucune morale, sans aucune crainte, sans retenue. Ils en ont fait une compétition. A qui le mieux s’enrichit sur le dos de la population. Aujourd’hui celui qui occupe un poste de responsabilité et ne détourne ni ne place pas ses proches est considéré… comme un bon à rien. « Tu perds ton temps ! », lui lance-t-on au visage, surtout quand il est débarqué de ses fonctions et qu’il n’est pas issu d’une tribu puissante lui permettant d’être repêché quelque temps après. En « montant au bureau », les hauts responsables ne se préoccupent, dans leur écrasante majorité, que de ce qu’ils peuvent soutirer à l’État. Certains rentrent chaque jour à la maison avec des millions qu’ils dilapident rapidement. Aussi mènent-ils des trains de vie incompréhensibles : changer de voiture régulièrement, de logement, de montre, de salon, déjeuner ou dîner dans des restaurants de haut standing, voire des hôtels qui poussent à Nouakchott, envoyer madame et les enfants en vacances à l’étranger, organiser des mariages fastidieux au cours desquels des millions sont engloutis… tels sont les signes de cette rutilance forcenée à laquelle nous assistons depuis quelques années dans notre pays. Pendant ce temps et de l’autre côté du mur, l’écrasante majorité de la population mauritanienne crève de faim. C’est dire que le vol de l’argent public est devenu une mode chez nous, on ne s’en cache plus. On exhibe sans gêne les revenus pillés. Bolides, palais, têtes de chameaux, de vaches, maisons, terrains… L’argent détourné est blanchi à l’étranger : ces mauritaniens-là sont devenus propriétaires de villas de luxe à Las Palmas, Casablanca ou encore en Turquie devenue, depuis quelques temps, la destination privilégiée des fortunes ou biens mal acquis. Ils pillent, ils pillent… Les responsables mauritaniens sont très intelligents en matière de pillage des ressources : marché de gré-à-gré, multiplication de projets avec des budgets énormes rapidement engloutis dans l’achat de voitures et d’équipements, frais de mission, études, réhabilitations, constructions, réfections, loyers, changement de locaux des ministères, etc. Le tout négocié avec des proches ou des personnes recommandées parfois « d’en-haut ».

 

Voleurs protégés

 

Face à cette situation, on a beau crier ou proclamer une volonté de lutter contre la gabegie, il y aura toujours ceux qui passent à travers les mailles des filets. Cette volonté se transforme vite en velléité. Et pour cause : les vols ne sont pas dénoncés, les mécanismes juridiques ne sont pas appliqués, l’interventionnisme est devenu la roue de secours de tout un chacun. Les pouvoirs publics demeurent comme des spectateurs inoffensifs. Les voleurs sont protégés, on ne dévoile pas leur nom au grand public ; la honte ne tue plus chez nous : au lieu de les envoyer en prison, on leur permet de rembourser l’argent volé avant d’être « réhabilités ». Presque tous sont mouillés et pourris. La gabegie est devenue un système et on verra mal les pouvoirs scier la branche sur laquelle cette espèce de mafia est fondée. Ce pillage ainsi quasiment organisé, protégé, entrave le développement de notre pays, les poches des responsables passant avant l’intérêt public. On a lancé des projets et des agences  avec des milliards à investir mais, à l’arrivée, on se demande toujours où est passée la manne dépensée des années durant. Pillez, pillez, il en restera toujours ! Après le fer, le cuivre, le poisson, l’or, il s’en suivra le pétrole et le gaz et, qui sait, l’hydrogène vert. Ce qui est grave aujourd’hui, c’est que presque personne ne se soucie de cette dérive de la Mauritanie, de la déliquescence de la morale. L’opposition et la Société civile qui devraient être à l’avant-garde pour dénoncer ces dérives ont-elles donc perdu leur langue, voire leur crédibilité ? Autant dire que le pillage des ressources du pays par une clique de voleurs n'est pas prêt de s’arrêter, hélas !

 

Dalay Lam