Capital minimal des banques à 2 milliards MRU : Quels enjeux ?

24 January, 2024 - 16:57

Relative au capital minimum et aux règles de calcul des fonds propres nets des établissements de crédit, une instruction du gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) – N°29/GR/2023 en date du 27 Décembre 2023 – porte le capital minimum des banques  de Droit mauritanien à deux milliards MRU, avec « obligation de disposer du capital minimum libéré en totalité. […] Les banques déjà agréées ont jusqu’au 31 Mai 2024 pour se conformer à cette exigence. À cet effet, elles sont tenues d’augmenter leur capital conformément à un calendrier mensuel représentant au moins un cinquième de l’augmentation totale requise ».

On remarquera le timing : la décision de la BCM visant à muscler le capital des banques mauritaniennes tombe quelques jours après une mesure similaire de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) – zone à laquelle la Mauritanie est fortement liée au plan géographique, humain et par la similarité de la configuration de l’économie – dans le but d’exiger des banques une réponse adéquate aux besoins croissants de financement de leurs partenaires.

 

Paysage  bancaire en souffrance et risques de grave crise

Dans un contexte bancaire plombé par la violation structurelle de certaines normes  depuis plusieurs années, l’application prochaine de la mesure édictée le 27 Décembre suscite déjà des grincements de dents et même de vives protestations. Une réaction hostile qui s’explique aisément : certaines banques n’ont jamais libéré leur capital social  à 100%. Du coup, la nouvelle instruction de l’institution en charge de la stabilité monétaire et vouée à contribuer au développement du pays aura pour  conséquence immédiate la mise à nu des établissements bancaires dans l’incapacité de doubler réellement  leur capital  sans passer par un contrôle formel.

Pour les banques, la  nouvelle donne induit  la perspective d’une inévitable évolution et même d’un bouleversement de leur paysage : « appliquer l’instruction de la BCM ouvrirait inévitablement le capital de la banque primaire à de nouveaux actionnaires nationaux ou étrangers ». Un vrai chambardement dans le contexte mauritanien dont une grande partie des banques ont été fondées par des groupes commerciaux à l’échelle familiale, avec l’objectif prioritaire de développer leurs propres activités. Une inévitable recapitalisation avec des conséquences « sur le statut familial et le système de blanchiment qui était le secret de son fonctionnement », alerte une source bien au fait de certaines pratiques.

La deuxième alternative face à l’exigence de la BCM « serait la liquidation de la banque. En ce moment, la hausse de  son actif physique (immobilisations propres et nantissements/crédits en cours) et liquide augmentera l’élasticité et la mobilité de l’actif en numéro », explique la même source qui avance l’hypothèse « d’une directive du Fonds Monétaire International (FMI), suite à un audit ayant confirmé combien le système bancaire mauritanien était une ruche d’opacités et d’irrégularités notoires ». Du coup, le pays va rentrer dans une situation caractérisée par « une augmentation de la mobilité des actifs, la chute du foncier et du coût de l’argent » : taux directeur de la BCM et taux d’intérêt, diminution du coût de l’investissement, pertes illimitées pour l’épargne/foncier et risques d’une inflation quantitative mortelle pour l’économie nationale.

 

Une alerte datant de 2015

L’annonce  de la directive de la BCM à la fin de l’année 2023 renvoie à une alerte précoce  lancée par Abdallahi Awah, professeur d’économie à l’université de Nouakchott, lors d’un long entretien avec « Le Calame » dans l’édition  n°972 du 01 Avril 2015. Une mise garde inspirée par la faillite de la Maurisbank qui pouvait entraîner la chute d’autres banques, une éventualité contre laquelle il proposait une série de mesures, notamment le relèvement du capital minimal de six milliards MRO qu’il jugeait « trop faible ». Porter celui-ci à dix milliards MRO lui paraissait même insuffisant. Par ailleurs « les dépôts à vue, par essence volatiles,  constituent l’essentiel des fonds des banques et concentrés par un petit nombre de déposants, fragilisent davantage celles-ci ».

 

Mesure salutaire

Réagissant à l’instruction du gouverneur de la BCM, un autre spécialiste qui connaît bien les aspects juridiques du système bancaire salue « une mesure salutaire. Il n’y a pas de problème juridique, sauf peut-être le caractère rétroactif de l’instruction ». Mais une décision identique vient d’être adoptée par le gouverneur de la BCEAO sommant les banques de relever le niveau de leurs fonds propres. Le capital d’une banque est ultra-important, puisque, par définition, ces institutions génèrent de la monnaie et prêtent toujours plus que ce qu’elles ont en dépôt.

Plus on augmente les fonds propres, mieux les déposants sont protégés. En Mauritanie, il manque d’ailleurs une protection de la Banque centrale en cas de faillite. Dans plusieurs autres pays, il existe un système d’assurance garantissant aux déposants la récupération de leur argent en cas de clash. À défaut d’un tel bouclier, il faut au moins augmenter les fonds propres, c'est-à-dire faire payer aux propriétaires de banques les risques qu’ils prennent ; sinon, il n y a aucune limite à la production monétaire. Il y a d’autres mesures que la BCM doit également veiller à faire respecter, notamment « la limitation du taux de défaut à 8% des prêts ». Mais au-delà de tous ces principes propres au fonctionnement des banques, une source bien au fait des réalités du milieu mauritanien prédit l’impossibilité de l’application de l’instruction du gouverneur de la BCM.

 

Rétropédalage

La nouvelle instruction de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) a été accueillie par des grincements de dents dans le milieu bancaire confronté à l’impossibilité de remplir les conditions exigées pour la hausse du capital et le niveau des fonds propres. Suite à une série de réunions, un moratoire de 6 mois a donc été accordé pour arriver à la mise en œuvre des nouvelles règles avec un chronogramme étalé jusqu’au 31 Décembre 2028, en place de la date-butoir du 24 Mai 2024.

Le nouvel agenda exige « un capital minimal de 1,5 milliards de MRU à la date du 31 Décembre 2026, avec des fonds propres nets à 2 milliards MRU. Le capital minimal doit être porté à 2 milliards MRU à la date du 31 décembre 2027, avec des fonds propres nets à 2,5 milliards MRU. Ces ressources doivent atteindre le plafond exigé de 3 milliards MRU le 31 Décembre 2028 » soit près de cinq ans après la première échéance. Un challenge « toujours possible », selon une source dotée d’une connaissance pointue du système bancaire mauritanien.

 

AS