Restrictions des mouvements de fonds via les applications bancaires : La BCM a-t-elle vu juste ?

18 March, 2024 - 00:09

La Banque Centrale de Mauritanie (BCM) a fixé un plafond pour les mouvements de fonds via applications bancaires (paiement sans contact), tant pour les personnes physiques que morales. Cette mesure intervient alors que le monde des services bancaires et financiers est en constante évolution et que les services mobiles constituent un des derniers développements révolutionnaires des transactions financières. Les smartphones et autres appareils mobiles permettent en effet aux clients de gérer leurs comptes bancaires, d'effectuer des paiements et des transactions en ligne à partir de n'importe où et à tout moment. Ces avantages considérables se voient fortement compromis par ladite mesure qui devrait avoir de graves impacts négatifs sur le paiement sans contact en vogue dans le pays et, par conséquent, sur l’économie nationale qui puise l’essentiel de sa vivacité du secteur privé et de l’informel.

Force est de reconnaître les nombreux avantages offerts aujourd’hui en Mauritanie par les services bancaires mobiles aux particuliers et aux entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises (PME). Le paiement sans contact est en effet d’une importance considérable dans le commerce de détails et le monde de l’informel, en ce que les différentes applications de banque mobile disponibles sur le marché y intègrent des personnes non insérées dans le système bancaire. C’est d’autant plus vrai que la bancarisation est encore très faible et que le système bancaire reste inaccessible à plus de 90% de la population. Cette même population qui a trouvé dans les services de paiement mobile une opportunité sans précédent de faire prospérer ses activités partout dans le pays, sans avoir à ouvrir de comptes dans des banques essentiellement implantées dans les grandes villes.

 

Un gain qui s’envole

La banque mobile n’offre pas seulement l’avantage d’être une solution accessible à tous ; elle permet également d'importantes économies sur les coûts de transactions et les frais de tenue de compte. C’est un gain non négligeable qui risque de s’envoler avec les restrictions imposées par la BCM. Fin des paiements faciles, un luxe à travers le monde ? Les commerçants qui pouvaient facilement accepter les paiements de leurs clients en utilisant leur téléphone portable seront désormais privés de cette option. Hier contents de n’avoir plus besoin d’avoir sur eux de l’argent liquide, ce qui est plus pratique pour eux et peut augmenter considérablement les ventes des commerçants, les gens vont se retrouver à trimballer des liasses d’argent avec ce que cela peut entraîner de risques pour leur sécurité personnelle et celle de leur famille, de pertes éventuelles et de mauvaise tenue des billets de banque.

Les mesures de la BCM entraîneront une augmentation des coûts. En effet, le paiement sans contact a le privilège de réduire les coûts associés aux paiements par carte de crédit ou retraits en espèces. Les commerçants ne seront plus en mesure d’éviter les coûts de location et d'installation de terminaux de paiement, ainsi que les frais de transaction associés.

‍Les mesures de la BCM sont par ailleurs de nature à aggraver les risques de fraude associés aux paiements en espèces, alors que les services bancaires mobiles offrent une sécurité renforcée pour les paiements en ligne. En effet ces transactions sont protégées par des technologies de cryptage et les usagers sont donc dispensés de garder de l’argent en espèces dans leur magasin, sur eux ou à leur domicile… L’impossibilité et la peine pour les commerçants de suivre facilement leurs transactions et leurs soldes à l'aide de leur application mobile sont aussi des impacts négatifs à inscrire au titre du registre des inconvénients consécutifs à ces mesures de la BCM. La gestion de leur trésorerie et la planification de leurs activités commerciales devraient en pâtir beaucoup. La privation d’accessibilité est un autre impact négatif, puisque seront supprimés les services mobiles qui permettaient aux commerçants des zones reculées d'accéder aux services bancaires. Les commerçants seront donc contraints de faire la queue devant les guichets de banque pour effectuer leurs transactions, d’où une perte précieuse de temps et d’argent.

Au final, la suppression du paiement renforce les risques grandissants d’insécurité auxquels s’exposent les particuliers qui circuleront désormais avec d’importantes sommes en espèces. Cela pourrait conduire à la recrudescence des vols, crimes, meurtres et autres délits, surpeuplant en conséquence les prisons. Et il faut aussi compter sur la recrudescence du chômage des centaines de jeunes qui assuraient le paiement sans contact…

Dernier constat et non des moindres : la réussite de certaines banques dans ce domaine a-t-elle suscité la jalousie d’autres qui ne sont pas parvenues à prendre le train en marche malgré d’énormes investissements ? La question mérite d’être posée.

 

Ben Abdallah