M. Bâ Abdoulaye Mamadou, président de la zone franche de Nouadhibou et maire de Bababé : ‘’La question de l’unité nationale est chevillée à mon être du fait de mon héritage familial et de mon parcours politique et professionnel’’

5 June, 2024 - 10:20

Le Calame : Vous êtes à la tête de la zone franche de Nouadhibou depuis deux ans déjà. Comment se porte-t-elle ? Est-elle en passe de répondre aux attentes placées en elle ?

Bâ Abdoulaye Mamadou : Effectivement, je suis à la tête de la zone franche depuis Mai 2022. J’en suis le cinquième président. Ses objectifs principaux visent, entre autres, à attirer l'investissement et encourager le développement du secteur privé en son sein. Il s’agit également de développer les infrastructures dans la région de Nouadhibou, de promouvoir le développement de la ville pour en faire un pôle de compétitivité et un hub régional, de produire de nouveaux emplois, d’améliorer les compétences professionnelles des travailleurs mauritaniens et d’impulser le développement économique et social de la Mauritanie dans son ensemble.

ll est clair qu’il ne peut y avoir de développement sans infrastructures et un cadre de vie harmonieux. C’est pourquoi l’ANZF a mis au cœur de son action un important programme d’infrastructures structurantes et d’aménagements publics. En Décembre dernier, le Premier ministre Mohamed ould Bilal a supervisé la cérémonie lançant les travaux du projet d’aménagement de l’entrée de la ville et de la voirie de Nouadhibou. Plus de 35 kilomètres de voirie, incluant le désenclavement de la zone touristique des Cabanons, réalisée sur financement de l’ANZF (fonds propres) et une autre voie de contournement de la ville de quelques 11,778 kilomètres, réalisée également sur financement de l’ANZF (fonds propres) Le montant des travaux s’élève à six cent vingt-trois millions neuf cent trente-cinq mille neuf ouguiyas MRU/HTT.  L’entreprise nationale (ATTM) en charge de l’exécution des travaux s’est engagée à exécuter les travaux dans un délai de dix-huit mois.

La finalité de ce plan de développement des infrastructures est d’amener dans la ville des conditions optimales de confort et de sécurité pour vivre et entreprendre. Le plan permettra également la mise en place d’un réseau de voirie interconnecté sur l’ensemble du territoire de l’Autorité, lançant une dynamique entre les pôles d’attractivité économique, touristique, halieutique, industrielle, et minière. Il permettra également de désenclaver les zones à forte potentialité économique et faciliter l’accès des populations aux services sociaux de base, comme l’école et les structures de santé. En somme, il s’agit de renforcer l’attractivité et la compétitivité de l’économie dans la zone, ainsi que son ouverture au marché sous-régional et aux échanges internationaux.

Nous travaillons actuellement à la finalisation des mécanismes de financement d’autres projets structurants qui vont impacter positivement la ville de Nouadhibou et ses populations. Il s’agit essentiellement : du Port en Eaux Profondes (PEP) avec des profondeurs bathymétriques importantes allant jusqu’à 16 mètres, afin d’ouvrir la destination « Nouadhibou » aux navires de grandes capacités ; de la modernisation du port artisanal, à travers la construction de la halle à marées dans l’enceinte de l’EPBR, sur un financement de près de 18 millions d’euros de nos partenaires allemands. Ce financement couvrira également plus de 7 kilomètres de voiries dans l’enceinte du port. Tout cela permettra le développement d’infrastructures de débarquement, de congélation et de transformation, ainsi que la réalisation d’infrastructures de tri et de négoce des produits de pêche.

Trois autres projets sont à l’ordre du jour. En un, le nouvel aéroport de Nouadhibou qui sera construit sur un nouveau site au Nord de la presqu’île. Il est prévu d’établir une bande intermédiaire entre les deux voies de l’entrée, afin de recevoir le futur BRT (Bus Rapide Transit), ceci en prélude à la mise en place d’un transport de masse entre la ville et cette importante infrastructure. En deux, un pôle touristique dans le secteur des Cabanons dont le plan d’aménagement et de lotissement est en cours de mise en place. Il abrite déjà des résidences secondaires et des établissements touristiques. Nous venons de conclure un important accord avec un investisseur étranger pour un programme immobilier prévoyant la construction de cent cinquante villas de divers standings, une corniche piétonne de 1400 mètres, une mosquée, un centre de santé, un commissariat de police, une école, des terrains de jeux, des réseaux de voirie urbaine, d’assainissement, d’eau, d’électricité et de télécommunications. En trois, la construction d’une unité de dessalement d’eau de mer par osmose inverse qui va permettre de subvenir aux besoins domestiques et industriels de la ville et d’alléger la pression sur le champ captant de Boulanouar. Vous le voyez donc : les chantiers sont nombreux, les travaux avancent et la dynamique de refonte du visage et de la compétitivité de la zone franche se précise de plus en plus.

 

- La jeunesse du département de Bababé ou disons le Lao vous a honoré par une cérémonie d'hommage qui a vu presque toute la vallée accourir à Bababé. Que représente pour vous cet évènement ?

Effectivement, les 3 et 4 Mai derniers, les populations du département de Bababé, du Lao et, au-delà, de toute la vallée m’ont rendu hommage. Les images de cet accueil populaire grandiose ont fait le tour du monde. C’était un moment exceptionnel dans l’histoire de ce département de magnifier avec un tel niveau de sincérité, d’engagement et d’effervescence le parcours d’un de leurs fils. Il s’agissait d’une expression de reconnaissance et de fidélité. Les populations ont honoré une stature, un attachement à une terre, à une cause et à un destin commun. Elles ont dit merci à ma modeste personne pour les efforts que je déploie au jour le jour – et qui sont certes en deçà de ce que je souhaite pour elles – afin d’améliorer leur quotidien. Depuis toujours j’ai fait mienne la citation d’Albert Schweitzer : « Le bonheur est la seule chose qui se double quand on la partage ».

Elles ont surtout voulu remercier le président de la République Mohamed ould Ghazouani pour ses efforts en faveur des populations et pour la confiance qu’il a placée en moi. La cérémonie d’hommage a été initiée, financée et exécutée de bout en bout par des jeunes du département et de la Vallée. Je n’ai été informé de l’initiative qu’à un stade avancé de sa planification. De jeunes mauritaniens de contrées diverses, d’ici et de la diaspora ont érigé des cadres de concertation et mis en place les commissions chargées de planifier et d’organiser ces journées. Ils ont cotisé entre eux pour financer l’événement et refusé que moi-même ou ma famille y apportions nos contributions. J’ai été littéralement pris d’émotion quand j’ai vu celles de gens si pauvres et démunis qui tenaient à exprimer toute leur reconnaissance mais aussi leur espoir pour demain. J’en étais bouleversé. Un tel élan de sympathie, d’adhésion, de reconnaissance et d’amour est une expérience unique, singulière. Que de l’émotion ! J’en porte encore les cicatrices. J’ai vu durant ces journées une population digne, reconnaissante et pleine d’espoir. J’ai été porté en triomphe par une jeunesse consciente qui sait que l’avenir se fera avec eux et par eux et que demain est une nouvelle promesse. La promesse d’un avenir que le président Ghazouani leur a déjà dédié dans son second mandat, incha Allah. Je retiens surtout de cette manifestation que les populations ne sont pas ingrates. Elles savent distinguer ce qui est sérieux de ce qui relève de fantaisies folkloriques de gens en mal de publicité cherchant à se faire un nom.

 

- Suite à cet hommage réussi, certains propos relatifs à l’unité nationale vous ont été attribués et ont envahi les réseaux sociaux. Peut-on penser que vos détracteurs qui ont été visiblement ébranlés par ce succès, sont derrière cette espèce de cabale contre votre personne ? Que vous inspire cette dangereuse manipulation de l’unité nationale ?

- Depuis la mi-Mai, une cabale contre ma personne est orchestrée par quelques acteurs politiques tapis dans l’ombre, utilisant de petites mains locales pour assouvir leurs desseins. Par un montage grotesque, ils ont essayé de me faire dire des choses qui ne correspondent pas à mes convictions politiques. Manifestement, l’objectif était de tenter de détruire les acquis du grand hommage et de chercher à en tirer un gain politique. Mais comme on dit en pulaar : « Anndu neddo buri heddaade ko haalata ». Beaucoup de nos adversaires politiques ont été sonnés par cet élan sans précédent, certains l’ont confessé publiquement, d’autres ont essayé, par divers artifices et à grands coups de théories, « d’expliquer » ce plébiscite… Voyant que ces méthodes n’avaient aucune incidence sur l’élan post-hommage, ils ont alors essayé la fibre communautariste. Un de leurs terrains de prédilection qu’ils manient hélas avec beaucoup de dextérité. C’est de bonne guerre, dira-t-on, sauf qu’en la matière, il s’agit d’une aventure périlleuse sur terrain glissant. Les populations du département de Bababé se sont prononcées. Elles ont magnifié une posture, un bilan, un compagnonnage. Aucun autre avis n’est important ni opportun, surtout s’il est émis grossièrement et sans respect des codes d’usage en la matière.

Il est vrai que je suis un homme public et appelé en conséquence à prendre des coups. Je commence à m’y habituer d’ailleurs. Sauf que certains de ces coups sont assez tordus car ils essaient de travestir une réalité, une ligne de conduite, un principe de vie. Qui me connaît sait que la question de l’unité nationale est chevillée à mon être.  Je suis un démocrate pétri dans les valeurs de l’égalité et de la justice sociale. Je le tiens de mon héritage familial et de mon parcours politique et professionnel. Je suis issu d’une grande famille de la Tidjania qui se reconnaît par sa grande diversité et son ouverture aux autres. Thierno Boubou – Allah ya rahmahou ! – fut un carrefour de diversité et de cultures plurielles. J’ai grandi dans cet environnement. J’en porte les marques indélébiles. Elles font ma spécificité et expliquent certainement mes réussites, Al hamdou lillah ! J’en suis fier.

Ensuite mon parcours professionnel. Je suis un commis de l’État. Je sers la République. Une République faite de diversité et de pluralité. Dans cette République, il ne saurait y avoir de la place au rejet de l’Autre. Tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs vis-à-vis de cette Nation. Qui mieux que moi peut le savoir ? On m’a longtemps fait le procès d’être trop conciliant, un peu trop démocrate au goût d’une certaine frange extrémiste. Aujourd’hui, ils me sortent ce truc mal ficelé pour essayer de me coller une étiquette contraire. S’il s’était agi d’un autre sujet, je l’aurais pris autrement mais sur une question aussi importante que la cohésion des communautés nationales, je trouve cela très imprudent et immature ! Une connaissance, soit-elle sommaire, de la géopolitique sous-régionale peut aider à comprendre qu’on ne doit pas s’amuser avec des questions aussi délicates, surtout quand on manque de grilles de lectures pertinentes et d’outils d’analyse avérés.

 

- La campagne présidentielle va démarrer dans quelques jours. Comment le maire de la commune rurale de Bababé appréhende-t-il cette échéance cruciale ?

- Avec beaucoup de sérénité, vous vous en doutez ! J’ai la chance d’appartenir à un environnement où les gens ont de la mémoire et une conscience élevée des grands enjeux nationaux. Je suis maire d’une commune qui vit au jour le jour la cohabitation sociale entre nos communautés nationales. J’appartiens à une génération qui sait faire la part entre les discours populistes et haineux et le langage de la vérité et de la citoyenneté. J’appartiens à un pays où le peuple ne prête pas le flanc aux discours sectaires. Un peuple qui sait qu’il y a des problèmes mais aussi que les problèmes se discutent ensemble, pour y apporter des solutions idoines. Personne n’a le monopole du patriotisme. Nous sommes attachés à cette terre parce qu’elle est la nôtre. Nous la voulons terre de paix, de cohésion et d’inclusion. Il ne saurait y avoir de la place pour les particularismes et les extrémismes. Que des problèmes existent, nul ne peut le nier mais il faut les discuter avec intelligence. Les questions posées sont des questions nationales. Personne ne peut avoir la prétention de les régler sous un angle ethnocentrique ou raciste.

Et puis la vérité, c’est aussi que le baromètre de la légitimité politique, pour un acteur politique, c’est quand même le suffrage. On ne peut pas prétendre parler aux noms des populations quand on n’est même pas en mesure d’en drainer un seul. C’est de la malhonnêteté intellectuelle. De deux choses l’une : soit vous n’êtes pas le leader que vous prétendez être, car les populations ne vous reconnaissent pas ce statut ; soit votre discours et votre approche ne correspondent pas à ce que veulent ces populations. Dans les deux cas, il faut tirer les conséquences qui s’imposent. Le patriotisme, le vrai – le Ngendiyankaagal – chanté à tout bout de champs, c’est d’abord et avant tout d’éviter que son ego personnel ne fasse ombrage au destin des populations.  Malheureusement, ceux qui s’agitent actuellement et dont l’activisme politique ne dépasse que rarement les limites géographiques de ma personne [rires…] sont si limités intellectuellement et politiquement que leurs fautes et errances vont avoir forcément un prix… un lourd prix, hélas ! Ce peuple ne veut pas de l’aventurisme.  Le président Ghazouani a mis le cap sur un futur inclusif. Il détient la solution aux problèmes encore à résoudre et nos populations ne perdent pas cela de vue. « L’avenir appartient à ceux qui croient à la beauté de leurs rêves », disait l’auteur.  Les miens sont faits de grandeur, de tolérance et de partage, dans une Mauritanie unie et forte.

 

 

Propos recueillis par Dalay Lam