Réfutation de la maxime d’Abou Temmam ou l’Islam religion de paix

12 March, 2015 - 01:18

Conférence sur les œuvres de Cheikh Ahmadou Bemba

 

Dr Cheikh Ould Zein Ould Limam

Membre du Haut conseil islamique de la République Islamique de Mauritanie,

Secrétaire général du Forum sur la pensée islamique et du dialogue entre les cultures

 

Au Nom d’Allah Le Tout Puissant, Le Tout  Miséricordieux

Paix et Salut sur Son Prophète

 

 

 

Le poète abbasside, Abou Temmam, est l’auteur d’un célèbre vers qui inspirera au fil des temps un dicton prétendument  indiscutable:

 

 « L’épée est plus éloquente que la plume, Elle tranche et permet de distinguer entre deux antagonismes.

Disons oui au tranchant des lames et renonçons aux écrits, car seul le recours au sabre permet de dissiper les doutes et les ambigüités».

 

Selon cet adage, seul le mal peut réparer le mal, et à la violence, il conviendrait d’opposer la violence.

L’histoire de l’humanité, semble d’ailleurs confirmer le paradigme de l’usage de la force. Cependant lorsque l’on scrute la voie tracée par les prophètes, les messagers et autres réformateurs, une multitude d’exemples invalident totalement le précepte héritée d’Abou Temmam. Il ne faudrait donc pas ignorer que l’histoire regorge aussi de faits tendant à prouver qu’opter pour une approche pacifique s’avère souvent judicieux et que paradoxalement, les conséquences qui en découlent sont plus âpres pour l’adversaire que la dureté du sabre.

 

En fait nous allons voir que la voie de non-violence a de tout temps été la plus efficace quand il s’agissait pour ses partisans d’atteindre leurs objectifs.

 

Citons pour commencer l’attitude initiée par Abel le fils d’Adam. Le geste d’Abel fut indiscutablement empreint de piété et de crainte d’Allah. Son attitude fut la plus appropriée pour vaincre le mal. 

Pourquoi le Saint Coran aurait-il mentionné cette voie, si ce n’est en signe d’approbation ? En entérinant  l’attitude d’Abel, le Coran nous indique la voie qui devrait prévaloir dans les relations des humaines pendant  notre bref passage dans ce monde fait d’épreuve.  Allah dit dans le Saint Coran :

 

« Si tu étends vers moi ta main pour me tuer, moi, je n'étendrai pas vers toi ma main pour te tuer : car je crains Allah, le Seigneur de l'Univers. (28)  Je veux que tu partes avec le péché de m'avoir tué et avec ton propre péché : alors tu seras du nombre des gens du Feu. Telle est la récompense des injustes(29)» Sourate La Table servie.

 

C’est ainsi que la non-violence de l’un des deux fils d’Adam resta dans la postérité, tandis que son frère portera le poids de son crime en sus de celui de tous ceux qui le suivront.

 

La voie de la paix et de la miséricorde a de tous temps été celle des nobles Messagers et nous en comprendrons bientôt la raison.

 

Nous ne pouvons pas appréhender l’exemple que nous ont  laissé les messagers sans évoquer Abraham(PSL).Son peuple le condamna à mort. Son exécution devait se dérouler devant une foule assemblée pour assister à sa mise à mort par le feu ; Mais c’était compter sans l’intervention divine.

« Ils dirent : “Brûlez-le Secourez vos divinités si vous voulez faire quelque chose (pour elles)”.

(68). Nous dîmes : "Ô feu, sois pour Abraham une fraîcheur salutaire”(69).  Ils voulaient ruser contre lui, mais ce sont eux que Nous rendîmes les plus grands perdants »(70) Sourate Les Prophètes.

 

On pourrait fort bien imaginer qu’Abraham décide suite à cela de passer dans la dissidence armée et de se rebeller contre le tyran Nemrod et sa suite.

L’histoire ne fait état d’aucune réaction de ce genre.

Au contraire sa réaction fut un modèle de pondération tant sur le plan humain que sur celui des préceptes religieux : Il délaissa son peuple et s’éloigna de leurs idoles.

L’attitude pacifique du messager d’Allah eut un effet qu’aucune guerre n’aurait pu avoir: Ce fut le déclin et la disparition définitive de Nemrod, de son pouvoir et de sa société.

A elle seule, la voie pacifique choisie par Abraham sut détourner son peuple du culte des fausses divinités, et déclencher la chute d’un potentat inique dont l’associatisme était l’un des fondements. Abraham et sa sainte voie sont devenus des modèles de justesse et de clairvoyance pour l’humanité.

 

La voie prophétique de Lot fut de la même veine que celles de ses pairs les messagers d’Allah ; Elle se résuma à une exhortation  empreinte de sagesse et de sollicitude suivie, d’une émigration lorsque toutes les solutions de conciliation furent épuisées.

 

  Le Saint Coran dit :

« Je déteste vraiment ce que vous faites. Verset168. Seigneur, sauve-moi ainsi que ma famille de ce qu'ils font». (169). Nous le sauvâmes alors, lui et toute sa famille» (170) Sourate Les Poètes.

 

Le prophète Saleh a également  embrassé cette voie lorsque les Thamūd, sa communauté, ont tué la chamelle sacrée devant lui.

N’était-il pas en mesure de défendre la chamelle, si cela était vraiment sa mission ?

Il aurait pu combattre ceux qui ont décidé de nuire à la chamelle. Cependant sa mission réelle et son message était d’une toute autre nature.

Dans la Sourate ‘Hûd’’ (versés 63-66), Le Saint Coran relate le sort de ceux qui tuèrent la chamelle :

 

« Ils la tuèrent. Alors, il leur dit : “Jouissez (de vos biens) dans vos demeures pendant trois jours (encore) ! Voilà une promesse qui ne sera pas démentie”. (65). Puis, lorsque Notre ordre vint, Nous sauvâmes Saleh et ceux qui avaient cru avec lui, - par une miséricorde venant de Nous - de l'ignominie de ce jour-là. En vérité, c'est ton Seigneur qui est le Fort, le Puissant. (66)»Sourate Hûd

 

Les messagers d’Allah et les réformateurs poursuivent tous, sans exception, un seul et même objectif : Annoncer le message d’Allah et prévenir les hommes afin que chacun agisse en parfaite connaissance de cause et décide de la direction que prendra sa vie. C’est là que commence et se termine leur mission.

 

L’histoire de Moussa (PSL) et de la voie qu’il choisit en sont la parfaite illustration.

Il exhorta pacifiquement et expliqua avec sagesse et ce, même lors des plus âpres altercations avec ses opposants.

 

« Allez donc vers Pharaon : Il s’est vraiment rebellé. (43) Puis, parlez-lui gentiment. Peut-être se rappellera-t-il ou (Me) craindra-t-il ?(44) Ils dirent : « Seigneur nous craignons qu’il ne s’emporte contre nous ou ne s’obstine dans l’outrance  » (45) Sourate Ta-Ha

 

Issa (PSL), modèle du pardon et de la mansuétude, disait à ses disciples : «Si on vous gifle sur la joue droite, tendez l’autre joue ».

Pourtant il subit les pires exactions, on a attenté à sa vie  et on a même prétendu l’avoir tué…

Mais le Saint Coran nous informe qu’il n’en est rien :

« …  ils ne l'ont certainement pas tué. Verset 157. Au contraire mais Allah l'a élevé vers Lui. Et Allah est Puissant et Sage. Verset 158» Sourate Les femmes.

 

Le Sceau des prophètes, Imam des Messagers d’Allah, Mohamed (PSLB) donna en la matière les plus beaux des exemples. Rappelons-nous de l’incident de Taif, et de la prière qu’il fit à l’abord de la ville quand les habitants le rejetèrent et les enfants l’accueillirent avec une volée de pierres :

«Oh, Allah ! C’est à Toi que je me plains de mon indigence, du peu de recours que j’ai. Oh, Toi Le Tout Clément ! C’est Toi Le Dieu des faibles et des opprimés, Oh Mon Dieu ! A quelle fatalité m’abandonnes-Tu ? A des inconnus qui me repoussent et me rejettent ou à un contradicteur auquel tu auras accordé de décider de mon sort ?

Seigneur si je n’ai pas provoqué Ta colère, alors peu m’importe ce qui adviendra, cependant être préservé et protégé par mon Seigneur serait une grâce sans fin. Je me refuge auprès dans Ta lumière au nom de Laquelle même les ténèbres brillent et sans Laquelle ni l’au-delà, ni ce bas monde ne seraient. Je cherche refuge auprès de Toi contre Ta colère. Préserve-moi d’attirer sur moi ton châtiment. Louanges à Toi comme il se doit et comme cela te sied. Sans Toi, Il n’existe ni capacité, ni force ».

 

Voyons à présent quelle fut la réponse du Prophète(PSLB)   quand l’Ange Gabriel  lui proposa de requérir une lourde punition contre les habitants de Taïf. Si ce n’était au Prophète Mohamed que ce choix fut proposé, Taif aurait certainement été à jamais anéantie.

 

Le Prophète a dit : « L’ange chargé des montagnes m’a appelé, salué et m’a dit : Oh, Mohamed, cela ne dépend que de Toi, si Tu veux, je les écrase entre ‘’les Akhchebeyn’’ (deux collines)». Mais le Prophète répondit: « Je souhaite plutôt (qu’on les laisse vivre) et qu’il y ait, parmi leur descendance, des gens qui adorent uniquement Allah le Très haut, sans rien lui associer ».

 

Comment prétendre après ces quelques exemples que la résolution pacifique des tensions et des conflits n’est pas aussi un des fondements premiers de l’Islam ?

 

Le Prophète (PSL) a passé la première moitié de sa mission de Messager  à la Mecque. Il pria à la Mecque et  à l’intérieur de la Kaaba entouré d’idoles et de statues…

Connaissez-vous un homme plus courageux que Lui ? Qu’est ce qui l’empêchait de détruire ces idoles à ce moment-là s’il le désirait ?

Ses compagnons dont Abou bakr, Omar, Othman, Ali et autres n’étaient-ils pas assez courageux ?

Pensez-vous réellement que le prophète s’est abstenu de détruire les idoles à ce moment-là par peur de représailles éventuelles contre lui et ses compagnons? Personne ne peut se laisser aller à le penser.

Non ! Il a tout simplement attendu que toutes les idoles symboliques enfouies dans les cœurs et les esprits soient défaites, avant de le matérialiser par la destruction des idoles de pierres.

 

Enfin, nombreuses personnalités historiques porteuses d’un message fort et fondamental optèrent pour la non-violence.

 

C’est bel et bien la force de sa voie et non la voie de la force qui permit à Cheikh Hamahoullah de remporter le conflit qui l’opposait aux forces coloniales…

 

Cette même orientation explique la victoire du dogme sunnite sur les doctrines mutazilites. Et c’est d’ailleurs la force de leur doctrine qui a soufflé aux savants sunnites la résilience nécessaire face aux châtiments subis jusqu’à l’effacement doctrinale de ceux qui prétendaient que le verbe Coranique est créé.

 

Lorsque sa clavicule rompit sous la force des coups du gouverneur qui le torturait, seul sa foi en la force  de la vérité permis à Malik Ibn Anas de répéter inlassablement qu’un divorce obtenu sous contrainte n’a pas de valeur légale.

Malik Ibn Anas qui ne craignait pas pour sa propre vie aurait pu songer à  fomenter une révolte armée et mener une insurrection contre le gouverneur, mais il n’a pas voulu agir de cette manière. Sa foi l’en empêchait.

 

En ces jours où nous sommes face à une multitude de troubles et de dissensions, en ces temps où même le plus avisé des hommes ne saurait pas comment s’orienter, la communauté musulmane a plus que jamais besoin de revenir à ses sources en s’inspirant de toutes les dimensions de sa voie originelle, de réemprunter la dialectique de la pondération, et celle de la non-violence chaque fois que possible.

 

Nouakchott, le 31 janvier 2015

Dr Cheikh Ould Zein Ould Limam