Diversité culturelle : les raisons de l’optimisme (2)

26 March, 2015 - 00:33

Par  Ishaq Ahmed Cheikh Sidia (iahmed.cheikh.sidia@gmail.com)

 

Dans la première partie de cet article, l'auteur a abordé la place grandissante de la diversité culturelle dans les paradigmes du développement. Dans cette seconde et dernière partie, il va s'appesantir sur les multiples apports que peut induire cette diversité culturelle, pour le présent et l'avenir de notre pays.

 

  1. La parade oubliée ?

Lutter contre les inégalités n’est certes pas le rôle principal habituellement assigné à la culture. Et pourtant, comme on l’a vu, celle-ci est de plus en plus sollicitée pour y apporter sa contribution. C’est ce que le Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté-CSLP (stratégie nationale de développement en Mauritanie) a consigné : « Facteur de cohésion sociale, la culture comporte un important potentiel de contribution à la réduction de la pauvreté, notamment dans la mesure où l’exploitation de son potentiel touristique contribue à la création d’emplois et de richesse »[i].

Afin de mettre ce potentiel à profit, des mesures ont été prévues par le 3ème plan d’action du CSLP dont on peut citer : le développement du patrimoine culturel national et la promotion d’une culture ancrée dans les valeurs de la société.

J’ai mentionné dans l’intitulé de cette contribution «les  raisons de l’optimisme ». Je n’en démords pas. Même si on ne doit légitimement pas s’attendre à ce que la diversité culturelle résolve seule toutes les questions liées à la pauvreté, sa capacité à émanciper, individuellement et collectivement, à faire naitre et ancrer le sentiment de citoyenneté et donc de fierté nationale, sont autant de possibilités prometteuses si elles sont bien exploitées.

Pour traiter de ces aspects, la documentation existante (notamment celle disponible sur la toile) n’est que d’un secours limité. Tout au plus, y trouve-t-on des « préceptes » ou des « mesures » d’ordre général, le plus souvent d’ailleurs non applicables dans le contexte qui est le nôtre. Il n’y a donc guère d’autre choix que de replonger dans nos propres réalités culturelles, les disséquer, essayer d’y trouver et d’exploiter ce qui constitue ou pourrait constituer des facteurs à même de contribuer au recul de la pauvreté et des inégalités, renforcer la cohésion et la citoyenneté. Et pour peu que cet effort soit mené, les résultats peuvent surprendre. Et c’est d’ailleurs bien ainsi, car l’un des principaux reproches adressés par leurs détracteurs aux programmes et stratégies de développement, est justement leur caractère plus porté sur la « théorie » que tourné vers les réalités du « terrain », d’où parfois des résultats et des impacts jugés mitigés.

 

« Le vrai c’est le Tout » (Hegel)

Tout observateur de la scène culturelle nationale peut remarquer sa grande richesse et sa diversité. Mais comme évoqué plus haut, rien de mieux que de revenir aux sources, (re)plonger dans les traditions et les modes de vie des différentes entités qui composent ce pays, aller à leur rencontre là où elles ont toujours vécu, patiemment bâti leur histoire, leur présent et leur avenir. Les interroger sur leur passé, leurs manières de vivre, leur aptitude à faire face aux difficultés, leurs désirs, leurs craintes, leurs espoirs aussi. Partager avec eux leur quotidien.

C’est là une occasion de découvrir les multiples facettes d’un mode de vie millénaire, à bien des égards plus sain, plus économique et plus résilient que le nôtre. Exploiter dès lors ces « découvertes » devient chose aisée. Ainsi, pourrait-on, en premier lieu, répertorier toutes les techniques, tous les procédés ou outils utilisés et ayant fait leur preuve le long des siècles, puis en identifier ceux parmi lesquels qui pourraient toujours servir dans le contexte d’aujourd’hui, moyennant d’éventuelles adaptations, et enfin mobiliser les ressources qu’il faut pour les adapter et les vulgariser au sein d’autres composantes de l’ensemble national. En effet, au moment, où dans de nombreux pays (autrement beaucoup plus développés), on se vante d’exhumer des recettes séculaires, rien n’empêche aussi chez nous de « revisiter » notre riche patrimoine et d’en faire profiter les générations présentes et futures.

Pour ce faire, des visites d’échanges seront organisées entre les différentes régions du pays, différentes entités ou communautés. Mais pour qu’elles puissent porter leurs fruits, ces visites de « terrain » devraient durer le temps qu’il faut, pour rendre possible plus tard la duplication des expériences vécues.

Outre le fait qu’elles puissent aider à découvrir ou redécouvrir des méthodes, des moyens, des techniques simples et économiques (culinaires ou autres) pour contribuer à la lutte contre la pauvreté, ces rencontres intercommunautaires prolongées auront un autre impact beaucoup plus prégnant : elles favoriseront la confiance mutuelle, la proximité (des corps et des esprits) et partant la fraternité.

Ces expériences pourront également ouvrir la voie à des « compétitions » interrégionales où seront primées par exemple les meilleures recettes ou techniques (sur des critères de simplicité, reproductibilité, disponibilité des matériaux, etc). Ce sera ainsi une occasion de promouvoir la créativité, l’innovation et l’esprit d’initiative. De même, l’impact sur l’emploi (surtout pour les jeunes et femmes en âge de travailler) sera sensible à travers la promotion de produits ou techniques primés lors de ces manifestations.

Les Pouvoirs publics veilleront bien entendu au bon déroulement de ces différentes expériences et à leur suivi. D’ores et déjà, le festival des villes anciennes constitue une bonne occasion d’échanges, d’exposition de produits divers et surtout représentent une bouffée d’air pour ces villes historiques. Une possibilité serait de généraliser la tenue de ces festivals à toutes nos agglomérations importantes dont la quasi-totalité ont un passé historique riche et peuvent faire profiter toutes les autres de leur propre vécu. En outre, ces festivals favoriseront la valorisation du potentiel touristique des villes concernées.

Pour organiser ces festivals, il faudrait  mettre le secteur privé à contribution, pour alléger les charges incombant à l’Etat, mais aussi pour que nos entrepreneurs et commerçants participent directement et pleinement à la promotion de la culture nationale.

 

Discours contestataire et dialogue interculturel

Au moment où des débats sans fin, souvent exacerbés, portent, un peu partout dans le monde, sur des sujets d’ordre racial ou ethnique,  la diversité culturelle est plus que jamais à l’ordre du jour. Sachons en Mauritanie, loin du discours contestataire permanent (qui a tendance de mon point de vue, à anesthésier la culture cohabitationniste), tirer profit de cette diversité à l’aune du dialogue interculturel.

Les éléments de base de ce dialogue devront porter sur la promotion du patrimoine culturel laquelle passe nécessairement par la participation pleine et entière de tous les citoyens. Celle-ci est conditionnée par le rejet de toute attitude d’indifférence face aux différences ou spécificités de chaque entité ou composante. A cet égard, une attention particulière devra être accordée à nos langues nationales, celles-ci étant les vecteurs par excellence du message culturel.

La reconnaissance et le respect suscitent la participation et la motivation de tous et surtout font naître ce sentiment d’appartenance à un seul ensemble, celui de se sentir citoyen. Cette participation est de plus, sinon une condition, du moins un des préalables à la lutte contre la pauvreté. Pour la majeure partie de nos concitoyens, il n’est pas aisé, à première vue, de pouvoir faire le lien entre citoyenneté et réduction des inégalités. Ce lien réside justement dans la participation. Celle-ci est conditionnée par le respect des différences. Et c’est là qu’intervient encore une fois le rôle du facteur culturel. Pour que tous les citoyens participent pleinement à l’œuvre de construction collective, il faut qu’ils se sentent membres à part entière de la communauté nationale, jouissant d’une entière reconnaissance de leurs droits pour qu’ils soient en retour disposés à s’acquitter de leurs devoirs. Respecter les spécificités culturelles de chaque entité, promouvoir les droits d’égalité, de liberté et de justice, voilà les ingrédients nécessaires à l’édification de l’œuvre commune. On voit que toutes ces notions de participation, de reconnaissance, de citoyenneté sont étroitement liées et « se soutiennent mutuellement ».

Dans un contexte d’urbanisation galopante, il faudrait aussi faire de la place à la « culture des villes », fortement marquée par la mondialisation et les aspirations planétarisées. De plus, à la différence de celle décrite plus haut, caractérisée par l’enracinement, celle-ci se distingue par sa volatilité, la grande similitude de ses constituants et par son caractère générateur de divergences. Par les contradictions qu’elle peut générer, par son potentiel « subversif », par son aptitude à « assimiler » des éléments extérieurs, elle ne doit point être tenue à distance.

A la fois unité et pluralité, porteuse de valeurs individuellement et collectivement, la diversité culturelle doit être le rempart contre les fissurations de notre coexistence fragilisée. Malgré les incertitudes du temps, l’anémie civique et la cécité citoyenne, les raisons de l’optimisme sont potentiellement présentes. A nous, ensemble, de les concrétiser à travers le respect et la reconnaissance mutuels, le rejet de toute stigmatisation, la dissipation des malentendus, le refus des amalgames. Ainsi, à travers la perpétuation du dialogue, le poids de nos convictions finira par avoir raison du choc des oracles.

 

[i] CSLP 2011-2015, Mauritanie.