Mokhtar O. Daddah, un symbole

26 March, 2015 - 00:39

Depuis quelques temps, à travers des médias (notamment des télévisions privées), certaines personnes émettent des appréciations et tiennent des propos peu objectifs sur des anciens responsables du pays, notamment feu Mokhtar O. Daddah, ancien Président de la République que les Mauritaniens ont d’ailleurs surnommé « Le Père de la Nation ».

 

De prime abord, s’il est légitime pour tout un chacun de donner sa position, de faire des critiques sur telle situation ou tel personnage public, il est de bon ton que ces critiques soient objectives et fondées ; en tout cas, qu’elles ne relèvent pas du subjectif et du désir de nuire uniquement.

 

Or, les propos que tiennent certaines de ces personnalités en question relèvent – plus à tort qu’à raison – d’une volonté de rabaisser la personne ciblée ; mieux, de travestir l’histoire, avec un ton parfois insultant et hors de propos.

 

En réponse à ce qui ressemble, de plus en plus à une croisade contre des symboles de notre passé, en particulier feu Mokhtar O. Daddah, est-il utile de rappeler que ce dernier, qui a eu un destin national, était un homme d’Etat hors pair, doté d’un sens aigu de la conduite des affaires nationales, dont la voix a hissé la Mauritanie au faîte des pays qu’on écoute, en plus d’être une référence pour l’Afrique et le monde arabe.

 

Cet homme dont l’activité diplomatique a renforcé la Mauritanie dans son statut de « pays trait d’union » entre l’Afrique noire et le Maghreb arabe  a défendu bien des pays encore sous le joug colonial pour le recouvrement de leur pleine souveraineté (Algérie, pays d’Afrique Australe, etc.).

 

Qui ne se rappelle pas des actions dynamiques déployées par feu Mokhtar O. Daddah pour l’OUA qu’il dirigea, et l’empreinte qu’il a laissée? Qui ne connaît sa mesure, son sens de l’écoute, du dialogue et du consensus tout au long de ses années de pouvoir ?

 

Le rayonnement que feu Mokhtar O. Daddah a donné à la Mauritanie ne souffre d’aucun doute et il serait pour le moins malencontreux de le vilipender, alors même que d’aucuns peuvent témoigner de sa valeur, sa probité, sa piété, son amour pour sa patrie et le respect de ses engagements.

 

Certes, comme tout homme, feu Mokhtar n’est pas parfait. Que pendant son magistère il eut à commettre des erreurs relève de la défaillance humaine. S’il faut le noter, la sagesse et la bienséance commandent de le faire avec respect ; d’autant plus que les présumées défaillances sont discutables : certains peuvent parler de fautes et d’autres minimiser tout et invoquer le contexte. A ce titre, le débat des pour et des contre est loin d’être clos s’agissant de certaines décisions prises par l’ancien Président dans le domaine économique (l’usine de sucre, l’usine de dessalement de l’eau de mer) ou sur la guerre du Sahara, pour ne citer que ces exemples.

 

Feu Mokhtar était-il fondé à rattacher le Sahara à la Mauritanie ? Les accords de Madrid approuvés même par l’Algérie étaient-ils mauvais ? Les liens historiques, linguistiques et culturels ne militaient-ils pas en faveur de ce rattachement ? La Mauritanie pouvait-elle rester les bras croisés alors même qu’elle était attaquée ? Avec le recul, la réponse n’est toujours pas bien tranchée.

 

Comment donc, sur des sujets aussi polémiques, quelqu’un peut-il perdre le sens du respect – surtout celui du aux personnes âgées et à celles qui ne sont plus de ce monde – au point de verser dans l’injure ? Et pourtant, c’est ce qui a été donné aux Mauritaniens d’entendre de la bouche d’un ancien cadre de l’Etat, qui a eu à occuper des postes de prestige dans le pays ; cette personne allant jusqu’à traiter feu Mokhtar O. Daddah de menteur.

 

Libre à cette personne – pour une raison ou une autre – de vouloir remettre en cause les acquis et les progrès réalisés sous le règne du Père Fondateur, mais l’honnêteté intellectuelle aurait dû lui dicter que nul pays, à commencer par les actuelles grandes puissances, n’est devenu grand, ne s’est développé sans sacrifices, sans des personnages de valeur pour le faire décoller. Libre à cette personne d’oublier que s’il fallait faire une comparaison entre la Mauritanie d’hier et celle post-1978 (Mokhtar fut renversé par la junte du 10 Juillet de cette année-là), la conclusion se serait vite imposée que les tares, les méfaits et les comportements condamnables qui handicapent la Mauritanie actuelle étaient plus ou moins inconnus hier…

 

Ayant eu,  très jeune, à exercer dans la diplomatie mauritanienne et connaissant donc quelle fut l’aura de la Mauritanie sous Mokhtar O. Daddah et avec quelle vertu l’Etat était géré, la sortie de notre frère et doyen Ahmed Baba Miské ne nous laisse pas sans étonnement ; nous qui avions quitté nos fonctions diplomatiques en 1979 après le constat que la Mauritanie amorçait, de notre point de vue, un tournant dangereux.

 

Sans prétendre avoir été un acteur principal de la vie de notre pays ni très proche de feu Mokhtar, en ces temps-là, la position que j’occupais étant modeste (secrétaire, conseiller dans différentes ambassades-Nigeria, Côte d’Ivoire, Maroc, RFA…), nous estimons à sa juste valeur, comme les nombreux Mauritaniens dans notre domaine, quelle dimension (en tout cas sur le plan diplomatique) Mokhtar O. Daddah a donnée à la Mauritanie. C’est cette même dimension de Mokhtar et son plaidoyer qui ont permis à la Chine (dont on loue aujourd’hui les investissements en Mauritanie) de se rapprocher des grands dirigeants de l’époque (Houphouët Boigny, Yacoubou Gowon, Omar Bongo…). A titre d’illustration, quand la Chine a été autorisée à ouvrir une ambassade au Nigeria (plus grand pays d’Afrique), son Chargé d’Affaires avait sollicité et obtenu une audience avec le Chargé d’Affaires de l’ambassade de Mauritanie dans ce pays. Au cours de cette audience, il avait déclaré : « Nous avons instruction de faire la 1ère visite de courtoisie, dans ce pays d’Afrique, à l’ambassade de Mauritanie, pour lui exprimer et, à travers elle, l’Etat Mauritanien, notre reconnaissance pour tout ce qu’elle fait dans l’intérêt de la Chine ».

 

Que dire de l’Algérie, qui venait de réussir sa révolution en sortant victorieuse de sa guerre de libération, mais peinait à se faire accepter des autres Etats africains ? Là aussi, la persuasion de Mokhtar est arrivée à bout de bien des réticences.

 

Même affaiblie par les années de guerre du Sahara, l’étoile de la Mauritanie n’a jamais pâli sous Mokhtar, alors même que l’Algérie et la Libye (avec leurs poids et leurs finances) faisaient tout, en vain, pour lui aliéner le soutien des autres pairs africains. C’est que les divers appuis apportés à certains Etats et à des mouvements de libération avaient fini de hisser Mokhtar et la Mauritanie à une place que beaucoup admiraient et respectaient.

 

Comment, alors, faire fi de tout cela et tenter de rabaisser le travail abattu par cet homme d’exception ?

 

Et ce n’est pas les propos du Conseiller de l’Ambassade de l’Inde à Rabat, rencontré juste après le coup d’Etat du 10 Juillet 1978 qui dira le contraire : « Cher Collègue, je suis désolé de le dire sachant qu’en diplomatie cela n’est pas correct, mais ce coup d’Etat en Mauritanie est une catastrophe car vous verrez et vous vous rendrez compte plus tard que vous avez perdu un homme d’Etat sans pareil ». Ce Conseiller a été, pendant plus de 10 ans, Directeur de Protocole dans son pays et avait eu à s’occuper de certaines visites d’Etat, privées ou de travail effectuées par de nombreux Chefs d’Etats africains, arabes et autres. De son avis, jamais l’occasion ne lui a été donnée d’apprécier à sa juste valeur un autre homme d’Etat intègre, bon, modeste, loyal et d’une telle hauteur d’esprit que le Président Mokhtar O. Daddah…

 

Mokhtar O. Daddah est un symbole et il nous semble inapproprié de s’en prendre à un symbole ; surtout si les détracteurs en question sont des hommes politiques ; les hommes politiques étant connus pour avoir de multiples défauts parmi lesquels la critique facile tient une place de choix.

 

Au moment où le présent du pays suscite quelques inquiétudes et que l’avenir appelle à plus de retenue, il serait seyant de ne pas piétiner un passé qui nous a donné une certaine fierté à laquelle « le Père de la Nation » a beaucoup contribué.

 

 

Maître Mine ABDOULLAH

Ancien Diplomate

Professeur d’Université

Avocat à la Cour

Président de la L.M.D.H.

Président de la Coalition mauritanienne « PCQVP »