Enjeux des défaillances bancaires/Par Maître Taleb Khyar Ould Mohamed Maouloud *

2 April, 2015 - 02:50

«Wall Street a échoué ! » C’est à Barak Obama, l’un des présidents les plus charismatiques de toute l’histoire des Etats-Unis, que l’on doit cette exclamation qui raisonne comme une bravade, à l’image de celle de Jules César franchissant le Rubicon. Elle sonne le glas de la défaite de tous ces argentiers de la planète qui ont fait de Wall Street un haut lieu de la finance toxique.
L’éternité se souviendra de cette exclamation qui annonce un autre « New Deal », au lendemain de l’adoption définitive de la réforme bancaire et financière, dont Barak Obama est l’inspirateur et qu’il a menée contre deux pôles prépondérants de la finance ; les banques et les assurances ; deux pôles qui avaient la réputation de faiseurs de rois et contre lesquels, l’actuel président des Etats-Unis, va croiser le fer avec comme seules armes, un humanisme débordant et une intelligence insoupçonnée de l’histoire, que ce duel allait révéler au grand jour.
Au plan bancaire, la réforme initiée par Barak Obama va consister pour l’essentiel et de manière sommaire, à empêcher le sauvetage des banques aux frais du contribuable, interdire aux banques de jouer avec l’argent des déposants en rétablissant la loi dite du        « Banking Act » qui prévoit le cloisonnement des activités bancaires, ne plus battre le rappel de l’Etat chaque fois qu’une banque présente un certain risque vis-à-vis de ses clients, combattre les comportements manipulatoires qui consistent à répandre de fausses informations pour amener le cours d’un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel au regard de sa valeur , créer au niveau de la Federal Reserve (Banque Centrale des Etats- Unis) un organisme chargé de la protection des consommateurs de produits financiers, incriminer l’opacité des opérations financières .
Cette réforme va inspirer l’Union Européenne qui ne tardera pas à l’intégrer dans son arsenal juridique prudentiel.
Au grand dam des marchands de la finance toxique, l’économie de la réforme initiée par Barak Obama, sera de privilégier une régulation dont le cœur est le financement d’une économie de croissance s’appuyant sur une finance responsable.
Ceux d’entre les observateurs, qui qualifiaient le combat de l’actuel président des Etats-Unis, de cause perdue, n’avaient pas tout à fait tort. L’enjeu était de taille et le défi paraissait insurmontable.
1) Malgré la grande crise économique de 1929, les thèses des théoriciens de la régulation sont restées marginales.
La pensée dominante demeure que les crises financières viennent assainir le marché et qu’elles permettent à l’économie de repartir sur des bases solides. La récession ne serait que le fruit naturel de la croissance qui l’a précédée et que la loi immuable de l’expansion et du repli qui constitue l’essence des cycles économiques, explique suffisamment.
Avec l’accession au pouvoir de Margaret Thatcher en Grande Bretagne et Ronald Reagan aux Etats-Unis, l’interdépendance qu’implique la mondialisation est présentée comme une dynamique de fragmentation, de turbulence. Hobbes et Grotius sont tournés en dérision et l’on dénonce de manière plus virulente et de plus en plus acerbe la logique organisée de l’Etat-Protecteur, qui serait en faillite partout, obligé de privatiser, de renoncer à sa souveraineté. Des voix se font entendre pour soutenir que le transnationalisme devrait se substituer à l’interétatique, l’interdépendance à la coexistence.

Ce courant connaît un léger frémissement avec la grande crise économique qui s’empare de l’Asie à la fin des années quatre-vingt-dix, puis reprend du poil de la bête en prônant avec plus de vigueur le dépassement du modèle Westphalien.                                                    Trois idées majeures vont constituer le soubassement de cette mondialisation assaisonnée à la sauce ultra-libérale :
a) L’Etat doit se retirer de toute activité économique et laisser aux acteurs privés la responsabilité de la régulation économique.
b) la seule solution aux défis économiques réside dans la privatisation.
c) Il faut mettre fin aux subventions publiques.
Il va de soi que dans ces conditions, prôner la régulation de marché comme va s’y atteler Barak Obama, c’est ramer à contre-courant de la doctrine économique dominante et de son pendant idéologique qu’est le libéralisme sauvage. Le mérite n’en sera que plus grand.

2) Le président Bill Clinton, avec lequel Barak Obama partage la même famille politique, avait tenté de manière courageuse et louable, mais vaine, de réduire l’ascendant de Wall Street en démocratisant le crédit immobilier, en facilitant son accès aux couches les plus défavorisées de la population, afin de permettre à chaque citoyen américain d’acquérir un logement en pleine propriété. Cette accession à la propriété constituait aux termes de la vision de Bill Clinton, de son « business model », un instrument d’émancipation ; élan généreux qui allait être détourné de son objectif par les spéculateurs de Wall Street, tant et si bien qu’ils finiront par faire de cet instrument d’émancipation, un instrument d’appauvrissement.
Si les banques s’étaient résignées à faciliter l’accès des couches défavorisées au crédit immobilier, elles avaient affecté cette accessibilité d’ une prime de risque plus élevée que celle communément retenue pour ce genre de crédits, exclusivement réservés avant la réforme de Bill Clinton, aux couches les plus favorisées de la société. Cette prime était présentée comme la rémunération du banquier pour une prise de risque supérieure à la moyenne, la propension du défaut de remboursement des emprunteurs issus des couches défavorisées, étant plus élevée que celle des classes privilégiées.
La réforme initiée par Bill Clinton allait donc conduire, sous l’effet du lobby bancaire , à l’inverse de l’objectif recherché , instituant de la sorte deux régimes juridiques distincts du crédit immobilier ; celui qui régit le crédit souscrit par un emprunteur qui offre d’excellentes garanties de remboursement, qualifié de crédit « prime », et celui qui régit le prêt accordé à l’emprunteur issu de classes défavorisées ,considéré comme un emprunteur à risque, qualifié de crédit « subprime ».
Cette distinction, entre les crédits « prime » et « subprime », en fonction de l’origine sociale de l’emprunteur, montre la puissance du lobby bancaire qui va dévoyer la réforme de Bill Clinton, en lui donnant une coloration ségrégationniste, alors même qu’aux Etats-Unis, le remboursement des crédits hypothécaires est dans tous les cas garanti par des agences gouvernementales spécialisées. Celles- ci reprennent à leur compte les crédits accordés, en les rachetant aux banques grâce à la technique de titrisation, dont le propre est de permettre aux banquiers de transférer le risque de crédit. Il faut préciser à cet égard que la titrisation est une opération financière qui consiste à transformer des prêts bancaires en titres négociables par l’intermédiaire d’une entité juridique ad hoc. Cette technique est restée proprement anglo-saxonne avant de s’étendre récemment à l’espace européen, pour son efficacité à financer l’économie.
Pour en cerner les contours, il faut revenir au cœur du métier de banquier qui est d’octroyer des prêts aux agents économiques. Ces prêts peuvent être conservés et gérés par le banquier dans le bilan dont ils gonflent la taille, souvent faut-il le souligner, au détriment d’une bonne lisibilité des fonds propres et des tests de résistance conçus pour évaluer la vulnérabilité d’une banque à des scénarios de stress économique ; Ils peuvent également être « repakagés » et vendus notamment via une opération de titrisation permettant ainsi à l’opérateur bancaire ou financier qui cède les crédits dont il est à l’origine de poursuivre ses activités avec une base en fonds propres intacte ; c’est ce qui se passe aux Etats-Unis où les crédits immobiliers sont rachetés par des agences d’Etat spécialisées, qui finalement portent le risque.
La titrisation marchandise le risque et constitue un accélérateur du financement de l’économie, mais on peut en faire un usage pervers , comme ce fût le cas, lorsque son extension aux « subprime » va permettre aux banques de disposer d’un excès de liquidités qu’elles vont structurer en produits financiers de plus en plus sophistiqués, de plus en plus complexes, grâce à l’apport de l’ingénierie financière, créant une véritable asymétrie entre le vendeur du produit financier (sell -side) et son acheteur (buy- side). C’est également le cas lorsque les actifs concernés par la titrisation sont fortement corrélés entre eux, comme ce fût le cas pour les prêts « subprime » qui, à défaut de diversification, ont tous réagi de manière identique à la crise immobilière, ce qui a accentué et amplifié le caractère systémique de la crise dite des «subprime ». C’est aussi le cas, lorsque la titrisation est suivie du rachat des actifs titrisés, ce qui anéantit tous les effets recherchés à travers l’opération de titrisation.
On le voit ; les abus guettent et les tentations de dissimulation du risque sont fortes. Il n’est d’ailleurs pas rare que le produit financier destiné à la consommation du client soit structuré au détriment des intérêts de ce dernier et au seul profit de la banque et de ses actionnaires, la complexité du produit empêchant le client d’en apprécier les effets dévastateurs.
C’est l’un des enjeux de la régulation financière, et pas des moindres, que d’apporter une réponse positive aux utilisateurs de la finance en simplifiant le processus de risque. Ce défi n’en est que plus valorisant pour l’actuel président des Etats-Unis.

3) L’autre argument qui militait en faveur de la défaite de Barak Obama dans son combat contre la finance toxique, résidait dans l’attitude de la Federal Reserve (Banque Centrale des Etats-Unis) qui avait fait sienne la doctrine néo-libérale, alors à son apogée, suite à la chute du mur de Berlin. On assiste à la conjonction d’une mondialisation qui s’installe et d’une idéologie ultra-libérale qui va se nourrir de l’effondrement du système soviétique.
La Banque Mondiale va se mettre de la partie avec le fameux « Consensus de Washington » » pour donner à l’auto-régulation, une nature politique et militante, mettant en évidence la suprématie du marché sur celle de l’Etat, suprématie que la Banque Mondiale considère comme un critère de bonne gouvernance « good governance ».
Quant à la Federal Reserve, elle est à ce point acquise à l’autorité du marché qu’elle fera sienne l’ultime dérive du courant néolibéral, selon laquelle l’apport de la modélisation et des mathématiques aux sciences économiques est de nature à émanciper l’homme de la fatalité des contraintes cycliques.
Au plus fort de cette doctrine de la déréglementation, on veillera de manière soignée à reléguer au placard, pour ses appréhensions vis-à-vis de la spéculation, les enseignements du grand économiste John Maynard Keynes dont la réputation n’est plus à faire depuis qu’il s’est découvert comme le chantre de politiques d’investissements publics propres à rétablir l’équilibre entre l’épargne et l’investissement et qui clamait haut et fort : « Lorsque dans un pays, le développement du capital devient le sous-produit de l’activité d’un casino, celui-ci risque de s’accomplir dans des conditions défectueuses ».
Cette doctrine du marché efficient, portée par la vague néo-libérale, adoptée par la Federal Reserve , remise au goût du jour par le consensus de Washington et dont la Banque Mondiale allait devenir le puissant relais, va s’enrichir du nouveau concept de « market state» à l’image de ce que soutenaient les libéraux du dix-neuvième siècle, Adam Smith ou Stuart Mill, pour lesquels le rôle de l’Etat est de veiller à l’indépendance du marché, à son autonomie.
Que reste-t-il de la légitimité d’un Etat qui n’est plus que l’instrument d’un marché au lieu d’en être la force organisatrice, régulatrice ? Autre défi, autre mérite de Barak Obama.

4) Le caractère systémique des banques concernées par la grande crise de 2007-2008, (Northen Rock, Lehman Brother…..), explique que celle-ci ait eu des incidences sur toute la planète, y compris dans les pays de l’euro, qui se croyaient immunisés contre de tels aléas par le fait même d’une monnaie commune.
L’Euro est considéré comme un substitut miracle à la politique économique. En effet, une doctrine dominante soutient qu’il n’est pas nécessaire d’accompagner son adoption par une politique permettant de faire converger le degré de compétitivité entre les pays concernés par la monnaie commune , certitude que le caractère systémique de la crise de 2007- 2008 et ses répercussions internationales, allait remettre en cause.
La crise va conduire dès 2008 à une recapitalisation des banques européennes, puis c’est autour des banques américaines en 2009, avant que la dette souveraine grecque ne soit affectée en 2010, suivie d’une crise de liquidité en 2011, accentuée par la fréquence des plans de sauvetage (Grèce, Chypre…..) …. crise de l’euro, opération de rachat illimité à partir de 2012 des emprunts par la Banque Centrale Européenne, avoisinant la soixantaine de milliards d’euros…..etc. L’effondrement du système financier mondial est inéluctable.
On le voit, l’ampleur de la crise de 2007-2008, est un autre facteur qui plaide en faveur du caractère titanesque de l’œuvre de Barak Obama.
Tels sont, exposés de manière sommaire les défis que devaient affronter l’actuel président des Etats-Unis ;                                                                                                                    Répondre par la souveraineté qui est un principe d’ordre à la mondialisation présentée par le courant néo-libéral dominant comme un principe de désordre ; rompre le cercle vicieux entre Banques et Etat, en énonçant clairement que les banques doivent pouvoir faire faillite sans recourir, à l’Etat, ou aux contribuables ; enterrer à jamais la fameuse maxime«too big tofail », (trop gros pour faire faillite) que les banques en détresse agitaient à tout bout de champ, pour susciter des « bailouts »(plans de sauvetage)financés parles « taxpayer »                         ( contribuables) ;
Faire en sorte que l’ensemble de l’industrie financière devienne une industrie transparente et que ses produits ne soient plus présentés de manière à tromper la vigilance du consommateur, à surprendre son consentement , que le rendement du produit financier ne soit plus différent de son image risque, et qu’il soit une réplique parfaite de la performance du marché ; diversifier les actifs concernés par la titrisation qui ont tous réagi de manière identique à la crise immobilière, ce qui a accentué et amplifié le caractère systémique de la crise de 2007-2008 ; combattre la manipulation de l’information financière par l’incrimination pénale des opérations d’initié qui permettent à leurs auteurs d’utiliser les informations stratégiques dont ils disposent pour se positionner sur l’instrument financier et faire des profits contre le reste du marché ;
Eviter que les informations privilégiées détenues par une banque sur une entreprise (fusions, acquisitions, opérations en capital…..etc )ne soient utilisées pour son propre compte par la banque dépositaire de telles informations ; renforcer la solidité des banques en exigeant qu’elles relèvent le plafond de leurs fonds propres pour faire face aux différents risques de crédit, de marché, et autres risques opératoires ; recourir au ratio de levier afin de contrôler l’accessibilité des banques à l’endettement pour financer les crédits ; appliquer des ratios de liquidité à court et moyen terme afin d’ apprécier la résistance des banques aux crises de liquidités pour les périodes de référence. (à suivre)

*Avocat à la Cour

Ancien membre du Conseil de l’Ordre National des Avocats