Journée de réconciliation nationale : «Il reste beaucoup à faire», estiment les rescapés…

9 April, 2015 - 01:40

Le collectif des Victimes et Rescapés Militaires (COVIRE), une organisation divisée en deux tendances, a célébré la journée dite de « réconciliation nationale » décrétée, le 25 Mars 2009, à l’occasion de la prière aux morts de Kaédi, par le président de la République Islamique de Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz.

Les regroupements respectifs – COVIRE I, présidé par Sy Abou Bocar, et COVIRE II, présidé par Kane Mamadou Alhousseynou – se sont tenus  dans leur siège respectif, près de l’hôtel Ikram, non loin de l’ex cinéma Saada, au 5ème, pour les premiers ; non loin de la CAPEC du 6ème, pour les seconds. Chaque camp a battu le rappel de ses troupes. Et ce fut l’occasion, pour les uns et les autres, de rendre d’abord hommage aux victimes de la répression des années 86-90 du régime d’Ould Taya ; de passer, ensuite, en revue les acquis de cette réconciliation et relever, enfin, ses insuffisances. Tous ont salué la décision du président Ould Abdel Aziz d’entamer la résolution du problème mais déploré qu’elle n’ait pas été menée à bout. On regrette, également que cette journée réputée de réconciliation nationale ne concerne que les seuls victimes de la répression des années 80-90, sous le magistère d’Ould Taya. Car qui dit réconciliation implique deux parties, et, forcément, pardon.

 

COVIRE 1 ou le verre à moitié plein

Sy Abou Bocar, président de COVIRE I déplore les « lenteurs constatées, dans le traitement des dossiers d’indemnisations, par les commissions techniques de vérification ». Dans son discours, il a d’abord salué « le courage du président de la République » qui reconnut, en 2009, les crimes commis contre la communauté négro-africaine, avant de décréter le 25 Mars de la même année, Journée nationale de la réconciliation. Pour  le président de COVIRE I, la journée du 25 Mars est une journée de recueillement et d’hommage aux victimes de la répression des années 80 -90. Quant au règlement du passif humanitaire, il « découle », rappelle-t-il, « d’un accord-cadre, sur la base des doléances des collectifs composant COVIRE ».

Le président Sy a ensuite passé en revue divers acquis de ce règlement. Il s’agit, entre autres, de l’indemnisation des ayant-droits des militaires morts dans l’exercice de leur fonction, celles des rescapés militaires, des fonctionnaires et agents de l’Etat victimes des évènements de 1989 ; l’incorporation de six orphelins dans l’armée ; la représentation de COVIRE à la CNDH et le financement, par la CDD, de quelques projets au profit des veuves…

Sy Abou Bocar n’a pas manqué de rappeler que, face à ce bilan positif, COVIRE ne se laissera embarquer, par personne, dans des « aventures hasardeuses ou embrouillées, contre la volonté des victimes»  et que « lui seul [COVIRE I, s’entend, NDR] et ses membres sont à même de décider du sort du dossier avec les autorités concernées. Nous œuvrons pour le renforcement de l’unité nationale et de la cohésion sociale de la Mauritanie », a-t-il martelé.

« Mais il reste beaucoup à faire », a-t-il ajouté, « notamment le parachèvement des indemnisations aussi bien des militaires, des fonctionnaires et agents de l’Etat, que des travailleurs du privé et de l’informel, des élèves et étudiants victimes de la déportation ; ou le retour digne des réfugiés encore en exil au Mali, la restitution des terres spoliées dans la Vallée et l’insuffisance de moyens pour le fonctionnement de COVIRE ». Aussi le président Sy a-t-il un appel à la mobilisation de l’ensemble des membres et autres bonnes volontés pour rester forts et unis, jusqu’à la satisfaction de toutes ces légitimes doléances.

 

COVIRE II : COREMI réclame la mise en place d’une commission indépendante et autonome

Pour Sy Abou Dialtabé, le président du Collectif des Rescapés Militaires (COREMI), membre actif du COVIRE II, qui prend acte de la réponse apportée par le président de la République, aux doléances des rescapés, veuves, orphelins et déportés, le dossier s’est vite enlisé, à cause de la mauvaise manière dont il a été traité. Tout en saluant la « volonté politique » de l’actuel Président de trouver une solution à cet épineux dossier, « ses gestes symboliques » à l’endroits des victimes, rescapés, ayant-droits, déportés et autres fonctionnaires de l’Etat, l’ex capitaine Dialtabé a qualifié le cheminement du règlement du dossier du passif humanitaire de « tumultueux ». Pour celui-là, la décision, unilatérale, de liquider le différend sans véritable implication des victimes, a fini par donner l’impression qu’on voulait « banaliser » le dossier, pourtant « très sensible », dont le règlement « revêt un caractère capital, pour le renforcement et la cohésion de l’unité nationale ». Face aux incohérences et aux insuffisances constatées – comme les cas des quatorze mille déportés restés au Sénégal et des dix mille au Mali – le COREMI réclame la mise en place d’une commission indépendante autonome, conforme aux principes conventionnels. Une demande exprimée, précise-t-il, par la majorité des participants aux journées de consultations et de mobilisation de 2007, pour le retour organisé des déportés et le règlement du passif humanitaire. Sy Abou Dialtabé a également mis à profit la célébration de la journée pour appeler les autorités à libérer, sans condition, les militants des droits de l’homme emprisonnés, suite au procès de Rosso : Djiby Sow, président de Kawtal Yellitaare, Biram Dah Ould Abeïd, président d’IRA-Mauritanie, et Brahim Ould Bilal, vice-président de cette même organisation.

 

Témoignages

Au cours de ce rassemblement, d’autres personnes ont pris la parole : Houleye Sall, présidente du Collectif des veuves et mère du lieutenant Sal Abdoulaye, exécuté à Inal ; Hawa Mamadou Dia, orpheline de feu  Dia Abdoulaye, mort dans les geôles  de J’reïda, en 1990 ; et de l’ex capitaine Breïka ould M’Bareck.

Madame Houleye Sall a raconté, dans la douleur, le regret qu’elle éprouve d’avoir été « trahie », par ceux qui l’ont conduite, la nuit du 25 Mars 2009 à la Présidence où elle dut parapher, sans en connaître le contenu – « Je ne sais pas lire », dit-elle – l’accord-cadre entre le pouvoir et COVIRE. Revenant sur les montants des « réparations », elle raconte que le « Monsieur Passif humanitaire » avait annoncé d’importantes sommes – plus de seize millions pour les officiers –mais qu’au retour de Kaédi, elle fut surprise d’apprendre, de la voix même des responsables du COVIRE, que les sommes seraient fortement réduites. « C’est alors que j’ai décidé de quitter l’autre COVIRE, parce que je me suis sentie trahie », a précisé la maman de feu le lieutenant Sall Abdoulaye, dit Guédéguédé.

 

Abondant dans le même sens, Hawa Mamadou Dia, qui n’a pas connu son papa, liquidé à J’reïda, a déploré que l’argent des « réparations » ait déstabilisé le COVIRE, y semant divisions et haine, ce qui a entravé, ajoute-t-elle, « son combat pour le rétablissement dans leurs droits les victimes de la répression des années 80-90 ». Cette jeune fille qui a souffert, non seulement, d ‘avoir perdu son père avant sa naissance mais, aussi, des menaces et autres tracasseries, demande, aux uns et aux autres, moins de palabres et plus d’actions. Pour elle, le dossier du passif humanitaire est loin d’être clos : « On ne peut pas y trouver des solutions sans parler, directement, avec les principaux concernés ».

Quant à l’ex-capitaine Breïka ould M’Bareck, il demande au président de la République, après l’avoir remercié pour son geste, de recevoir  les victimes qui se plaignent des insuffisances constatées, dans la gestion du règlement du passif humanitaire, et de les écouter, afin de trouver, avec eux, une solution définitive à ce problème. « Personne ne peut dire que rien n’a été fait, dans ce pays où j’ai perdu des collègues, des amis », a-t-il fait remarquer, avant d’inviter l’ensemble des forces vives de la Nation à profiter du dialogue en perspective pour trouver une solution définitive aux problèmes qui assaillent celle-ci. « Le dialogue ne doit pas doit impliquer que les politiques mais tous les acteurs mauritaniens, sans exception, pour solder toutes les questions politiques  et sociales », a conclu Ould M’Bareck qui a regretté, au passage, l’absence des associations des retraités des forces armées et de sécurité à ce rassemblement, estimant qu’elles devraient être là pour soutenir le COVIRE [2, s’entend cette fois…].

DL