Hussein Dieng*, dans une interview exclusive: ‘’Par principe, ceux qui défendent les droits de l'homme sont peinés, chaque fois que ceux-ci sont menacés, que des hommes et des femmes sont jetés en prison pour le combat qu’ils mènent’’

18 June, 2015 - 01:57

Le Calame : Vous êtes connu comme secrétaire général d’IRA-Mauritanie que vous avez fini par quitter. En claquant la porte et vous rapprochant du pouvoir de Mohamed ould Abdel Aziz. Beaucoup vous ont alors qualifié de « traître » et de « vendu ». Quelques années plus tard, quels enseignements retenez-vous de cette époque ? Pouvez-vous expliquer, aux Mauritaniens, ce qui vous a à ce point opposé à Biram pour claquer la porte et fonder votre propre IRA ?

Hussein Dieng : Décidément, vous les journalistes, vous êtes très coriaces ! Vous ne lâchez pas facilement. Mais permettez-moi de ne plus revenir sur cet épisode douloureux sur lequel je me suis largement expliqué. Je considère que c’est une page de tournée. Je m’en arrête là.

 

- Biram Dah ould Abeïd, cet ancien compagnon, croupit en prison depuis quelques mois et pour une peine de deux ans. Avez-vous une pensée pour lui ?

- Je n’ai pas besoin de vous rappeler que, par principe, ceux qui défendent les droits de l'homme sont peinés, chaque fois que ceux-ci sont menacés, que des hommes et des femmes sont jetés en prison pour le combat qu’ils mènent.

 

Demandez-vous sa libération, comme les partis de l’opposition et certaines organisations de défense des droits de l’homme ?

- Je vous renvoie à la ma précédente réponse que je pensais suffisamment explicite.

 

- Vous continuez à vous activer dans le domaine de l’humanitaire. Quelle position occupe justement  votre organisation dans ce combat pour lequel se bousculent de nombreuses associations de défense des droits de l’homme ?

- Tout d’abord, je tiens à saluer tout lecteur qui aura l’occasion de lire ce numéro où je tente d’apporter des réponses aux questions qui font l’objet de cet entretien. Je confirme que notre organisation est une des organisations qui font, non seulement, un travail de qualité mais, aussi, nos réalisations sont visibles et concrètes sur le terrain.

En 2008, plusieurs personnalités et partenaires au développement ont ainsi visité nos centres d’écoute, d’alphabétisation et d’initiation à l’informatique, installés dans chaque moughataa de la capitale. Notre organisation développe aussi des activités économiques durables, pour soutenir les familles enregistrées lors d’enquêtes. Nous avons choisi d’intervenir sur l’éducation et la formation, adoubées de campagne de sensibilisation, pour mieux faire face à la situation des droits de l’homme.

La Mauritanie est un Etat très jeune qui n’aura pas la force de faire face aux secousses de l’éventuelle révolte souhaitée par certains. Aujourd’hui, notre organisation a contribué à la formation et à l’éducation pour plus de 2 174 adultes, jeunes et femmes, avec des attestations de fin de formation. Cela, nous l’avons réalisé avec plusieurs partenaires, comme le SCAC (Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’ambassade de France), World Vision (formation des jeunes d’Arafat) et Caritas. Nos zones d’intervention se situent dans les quartiers périphériques. Chaque année, nous recevons un don de produits informatiques d’un partenaire étranger. Cela nous encourage à croire que nous atteindrons, prochainement, l’intérieur du pays.

 

- Parmi les slogans politiques d’Ould Abdel Aziz, à son arrivée au pouvoir en Août 2008, figurait le renouvellement de la classe politique, en y faisant place à la jeunesse. Quel bilan tirez-vous de cette promesse, sept ans plus tard ?

- D’abord, sachez que la Mauritanie a besoin d’une plus grande implication de sa jeunesse. C’est la couche la plus numériquement importante du pays et l’avenir de la Nation repose sur elle. Je suis de ceux qui pensent que son Excellence Mohamed ould Abdel Aziz fait partie des rares présidents africains, voire du Monde, qui ont compris que la jeunesse doit être au centre de toutes les préoccupations de l’Afrique et du Monde. C’est ainsi qu’il a prouvé, en plusieurs occasions, son attachement et sa confiance envers la jeunesse du pays. Sa volonté d’appuyer ses efforts, afin de les valoriser, n’a jamais fait l’ombre d’un doute.

Aussi, son engagement d’octroyer, à cette jeunesse, une éducation de base et une formation de qualité, pour répondre aux besoins du marché local et international, constitue le fondement du programme de société qu’il vient de proposer, aux Mauritaniens, lors de l’élection présidentielle de 2014. Les efforts du gouvernement, visant à accompagner les activités et autres actions de la jeunesse mauritanienne, marquent la réelle volonté politique de faire, de cette frange de la société, l’une de ses priorités, au moment où les regards sont braqués vers la mise en activité du Haut conseil de la jeunesse.

En ce qui concerne le bilan du renouvellement de la classe politique, en vue d’une plus grande implication de la jeunesse sur l’échiquier politique, personne n’a ignoré son soutien, indirect, au parti Sursaut qui n’était composé que de jeunes mais qui, par l’appétit acéré et les tiraillements inutiles des uns et des autres, s’est vite effondré comme un château de cartes. C’est dommage. La nomination de jeunes ministres et de cadres à des postes électifs, aussi bien à l’intérieur du pays que dans nos ambassades, est une réalité qui traduit sa volonté et son engagement. Aujourd’hui, nous avons de jeunes maires, députés et sénateurs qui brillent par leur capacité de contribution au débat national. Malgré tous ces efforts d’accompagnement, la jeunesse mauritanienne reste encore exigeante pour plus de progrès. D’ailleurs, un adage dit : « Dis-moi le niveau d’implication de ta jeunesse dans ton pays, je te dirai ton niveau de développement et ta place dans le Monde ».

 

- La lutte contre l’esclavage ou de ses séquelles cristallise l’attention de l’opinion en Mauritanie. L’Etat nie son existence et parle de séquelles, tandis que la plupart des organisations de lutte contre ce fléau affirme qu’il existe toujours dans le pays et brandit souvent des cas avérés en ce sens. Où vous situez-vous ?

- Il existe encore des poches résistantes par rapport à l’esclavage, ce qui fait que, de temps en temps, des cas sont décelés et brandis devant l’opinion nationale et internationale. Cela dit, il faut reconnaître que c’est la première fois que, sous le magistère de SE Mohamed ould Abdel Aziz, un esclavagiste a été jugé et emprisonné. Cela dénote une volonté d’en découdre avec ces pratiques exécrables et dépassées qui, du reste, n’honorent pas le pays. Au moment où je vous parle, le ministère de la Justice est en train de suivre au moins vingt-sept cas liés à cette question : plus de vingt à l’intérieur du pays et sept à Nouakchott. L’existence d’une Haute cour de juridiction sur la question, installée et présidée par le Chef de l’Etat, est une preuve formelle de l’engagement du gouvernement à mieux faire face au problème. La mise en exécution de la feuille de route sur cette question, entre le gouvernement mauritanien et le Système des Nations Unies (SNU) vient confirmer la volonté des hautes autorités du pays d’en finir avec ce fléau.

 

- Le pouvoir et son opposition dite radicale (FNDU) tentent, depuis quelques mois, de nouer un dialogue « inclusif, franc et sincère ». Que vous inspirent ces manœuvres qui peinent à prendre forme ?

-Il y a une volonté manifeste des hautes autorités d’entreprendre un dialogue inclusif, pour permettre, à l’opposition dite radicale, de jouer sa partition dans le développement du pays. Le niveau d’avancement du dialogue, qui est resté, d’ailleurs, très discret, entre les deux parties, semble entrer dans une phase intéressante. Tous les Mauritaniens en attendent une issue heureuse où toutes les filles et fils du pays s’attèleront au développement de leur patrie.

Toutefois, ce dialogue doit avoir lieu dans un contexte d’apaisement où toutes les forces libres du pays pourront participer. C’est le lieu et l’occasion de lancer un appel au sens élevé de sagesse et de responsabilité de SE Mohamed ould Abdel Aziz, pour plus d’actes qui iront dans le sens de l’accalmie, en ce début du mois béni de Ramadan.

 

- Vous avez lancé un mouvement de soutien à la candidature de Mohamed ould Abdel Aziz en 2014. Quelle évaluation faites-vous de l’exécution de son programme électoral ?

- Les visites d’informations et de prise de contacts initiées, depuis quelques temps, par SE Mohamed ould Abdel Aziz, auprès des populations des différentes wilayas du pays, ont permis de réévaluer les besoins mais, aussi et surtout, de mesurer l’ampleur des réalisations et l’orientation vers d’autres projets de développement. Notre mouvement de soutien pour la réélection de SE Mohamed ould Abdel Aziz a travaillé, avec le directeur national de la campagne, le responsable régional et la direction de la jeunesse, à sensibiliser l’essentiel des populations des quartiers périphériques du pays, notamment à Nouakchott, tout en initiant plusieurs séances de sensibilisation, d’enregistrement et d’informations sur le terrain et, particulièrement, dans les réseaux sociaux.

 

- La Mauritanie enregistre, depuis quelques années, une montée effrénée du discours communautariste. Quelles en sont, selon vous, les raisons ?

- La Mauritanie regroupe, en son sein, plusieurs communautés qui, même si elles s’approchent et se côtoient tous les jours, ne se connaissent pas réellement. Chacune d’entre elles ignore la culture de l’autre, même si elle en a des notions. Ce qui fait que chaque communauté n’est intéressée que par ses propres problèmes. C’est l’Etat qui a la lourde responsabilité d’harmoniser et de gérer tous ces problèmes. A ce titre, je suis de ceux qui pensent qu’il est temps qu’un ministère exclusivement chargé de la cohésion sociale et du civisme voit le jour.

La montée effrénée du discours communautariste se comprend par la méfiance envers l’Autre et la volonté de mieux faire entendre ses préoccupations. C’est un danger national mais il faut le positiver, au même titre que les mouvements sociaux qui s’agitent actuellement, en prenant en considération l’essentiel de ses revendications, pour apporter les meilleures réponses qui doivent entrer dans le cadre d’une nouvelle politique de cohabitation sociale. Les déséquilibres sociaux nés des régimes passés constituent un lourd héritage qui continue de saper les efforts entrepris par l’actuel pouvoir.

 

- L’unité nationale a fait couler beaucoup de salive et d'encre. Colloques, séminaires, tables rondes... lui ont été consacrés, particulièrement du côté du pouvoir. Quelle est votre vision de cette unité nationale qui fait tant jaser ? Serait-elle menacée ?

- Il existe, dans tous les compartiments du pays, des hommes et des femmes qui n’œuvrent que dans l’extrémisme et la division. Les efforts entrepris, sous le magistère de SE Mohamed ould Abdel Aziz, pour le règlement du passif humanitaire et la lutte contre l’esclavage, sont sans appel mais jugés insuffisants. Il faut cependant reconnaître que le pouvoir de SE Mohamed ould Abdel Aziz n’est pas comptable de la situation qui prévaut actuellement dans le pays : il l’a héritée des régimes précédents. Au contraire, il a essayé, par plusieurs mécanismes, de lui trouver des solutions. Il faut savoir reconnaître les mérites de l’homme qui n’a ménagé aucun effort, depuis qu’il a pris le pouvoir.

La fondation de l’ex-Agence Nationale de l’Appui et d’Insertion des Réfugiés (ANAIR) et la nouvelle structure de Tadamoun sont des preuves vivantes de la volonté du chef de l’Etat d’apporter sa contribution à la solution des problèmes cités tantôt. Il faut remarquer que c’est le seul chef d’Etat qui a osé ouvrir les dossiers et y apporter des solutions, après la tentative de son prédécesseur.

Maintenant, devons-nous préférer des procès « vérité, justice et réconciliation », qui nous divisent pour de bon, comme le souhaitent certains, plutôt que des solutions à l’amiable ? Je pense que l’unité nationale doit être un acte posé, tous les jours, de tous les citoyens, de toutes les communautés, où qu’ils vivent, par la tolérance et le sacrifice d’impliquer l’autre dans ce que je fais pour l’intérêt supérieur de la Nation.

 

Que pensez-vous de la naissance du Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Harratines ? Avez-vous assisté aux marches qu'il a organisées en 2014 et 2015 ? Qu'en pensez-vous ?

- Il arrive, dans la vie d’un leader, qu’il voit ou marche plus vite que les populations, en termes de vision. Dans ce cas, son combat risque ne pas être compris par celles-ci. Pour qu’un combat réussisse, il faut que le peuple se l’approprie et marche sur la même longueur d’ondes que les (ou le) leaders. Toutefois, chaque communauté a le droit de se faire entendre, quand elle pense que ses droits politiques, économiques et sociaux sont menacés ou n’existent même pas. Les Harratines ont la particularité, dans ce pays, de vivre ce qu’aucune autre communauté n’a vécu. Le retard accumulé de plusieurs années, en termes d’éducation, de formation et de développement, est à reconnaître. Des solutions idoines doivent y être apportées. Cependant, Il faut préciser que les revendications doivent se faire avec tact et stratégie, dans un cadre républicain, en reconnaissant que toute forme de discrimination est à bannir, à jamais, dans notre pays.

S’agissant de votre question relative à ma participation aux différentes marches du Manifeste en 2014 et 2015, je tiens à préciser que je suis partant pour toute activité visant à bâtir une Mauritanie forte, unie, réconciliée en elle-même et avec toutes ses composantes. Mais en revanche, je ne suis pas partant pour tout ce qui divise les Mauritaniens, déstabilise notre développement et compromet notre sécurité.

 

Propos recueillis par Dalay Lam

 

* ex-secrétaire général de l'IRA et président de l’organisation Initiative Pour Tous (IPT) de lutte contre l’analphabétisme et la pauvreté, coordinateur OSER-Afrique Mauritanie et d’Utopia-Mauritanie (une organisation mondiale de citoyenneté universelle)