Aménagement du Territoire et développement régional (2) Par Sylli Gandega

8 October, 2015 - 01:07

Le 3 Septembre 2015, à Mauricenter, monsieur Sylli Gandega, économiste planificateur spécialisé en aménagement du territoire, consultant indépendant et ancien ministre du Développement rural, durant la Transition 2005/2007, présentait une importante communication sur l’aménagement du Territoire et le développement des régions. Après le contexte et la genèse du concept, présentés la semaine dernière, voici l’état des lieux…

 

En dépit des efforts, importants, fournis par l’Etat depuis 1960, dans de nombreux domaines et dans tous les secteurs de développement : constructions d’infrastructures routières, mise en œuvre de grands projets structurants, etc. ; force est de constater que les résultats, en matière de mise en œuvre de la politique d’aménagement du Territoire, dans la volonté des autorités pour promouvoir un développement équilibré et harmonieux de celui-ci, restent encore en deçà des besoins et des attentes des populations. Entre points forts et faiblesses, ces résultats sont, par conséquent, largement mitigés.

Points forts

Prise de conscience et évidente volonté politique, d’une part ; stratégie de décentralisation et de déconcentration, d’autre part ; forment les deux acquis les plus prégnants des efforts antérieurs. En ce qui concerne le premier point, le Gouvernement s’est beaucoup appliqué, depuis 2010, à formuler et faire approuver, par le Parlement, plusieurs textes règlementaires. Il s’agit, surtout, de la loi d’orientation sur l’aménagement du Territoire – Loi n° 2010-001, en date du 7 Janvier 2010, visant l’organisation d’espaces, le soutien aux territoires en difficulté, le développement local et la fondation et/ou le renforcement de pôles de développement – et la mise en place de l’Observatoire National d’Aménagement du Territoire.

La première vise à préciser les principes et choix stratégiques de l’aménagement, énoncer les orientations majeures de la politique nationale en la matière et, enfin, définir les outils et les structures nécessaires à cette tâche. Le second doit assurer, entre autres missions, la validation de tous les outils à caractère stratégique, notamment le Schéma National d’Aménagement du Territoire (SNAT), les Schémas Régionaux d’Aménagement du Territoire (SRAT),le Schéma National des Infrastructures et Grands Equipements (SNIGE), les Plans Nationaux d’Affectation et d’Utilisation des Sols (PNAUS), ainsi que les outils à caractère financier et opérationnel de l’aménagement du Territoire, le suivi de l’équilibre régional et la formulation des directives de péréquation territoriale et d’harmonisation des interventions structurantes.

Plus concrètement encore, cet effort s’est traduit par l’élaboration participative des termes de référence du SNAT ; la réalisation d’une étude sur la sédentarisation et les axes majeurs d’une politique nationale d’accompagnement de la sédentarisation ; le lancement du Programme intérimaire de l’aménagement concerté du bassin du Karakoro ; le lancement d’un programme-pilote d’accompagnement de la sédentarisation, notamment dans le Hodh El Gharbi et, enfin, d’une étude des critères pour le regroupement des localités, dans plusieurs wilayas du pays pour ne citer que ceux -ci.

Cependant, malgré cette prise de conscience, cette volonté politique et les progrès importants réalisés, les politiques de développement mises en œuvre dans notre pays ont montré leurs difficultés et limites à intégrer la dimension aménagement du Territoire. Les plus essentiels outils – SNAT, SRAT, SNIGE, PNAUS, etc. …– ne sont pas tous encore au point – fortiori, réunis – et ni encore assurée la cohérence, entre planification économique et planification spatiale, les deux faces de la même médaille.

Pour ce qui est de la politique de décentralisation et de déconcentration, plusieurs actions ont été menées, dans le cadre de la réorganisation de l’administration territoriale.  Néanmoins, la mise en place de la décentralisation dont l’objectif vise à incarner la complémentarité et la cohésion interrégionale, l’harmonie et l’équilibre, au niveau de la répartition des compétences et des moyens, entre les différentes collectivités locales, les autorités et les institutions, n’a pas encore livré tous ses secrets, pas plus que la large déconcentration initiée, en vue d’une gouvernance territoriale et locale efficience. Des  déséquilibres territoriaux existent encore. Il est nécessaire de les corriger, par l’identification des potentiels et des opportunités qui s’attachent à chaque territoire.

Les faiblesses

En tout premier lieu, l’absence d’un document de planification spatiale pour concrétiser la  vision des autorités en matière d’aménagement du territoire. Une politique d’aménagement du territoire nécessite de disposer d’un SNAT, impératif outil stratégique pour planifier et gérer, efficacement, l’espace national ; contribuer à une meilleure orientation des investissements publics et asseoir une coordination plus efficace des actions de développement. Comme on l’a dit tantôt, le MPAT commença par lancer une telle étude, dans le cadre du Plan de Redressement Economique et Financier (PREF 1985-88). Ce premier schéma, conçu et réalisé, en grande partie, par un bureau d’études extérieur sur financement de la Banque Mondiale, n’a jamais été achevé, faute, à cette époque, de compétences nationales et d’engagement de plusieurs administrations concernées. La volonté politique des décideurs, au plus haut niveau, était réelle mais elle ne disposait de pratiquement aucune base technique pour se concrétiser.

La seconde faiblesse relève de l’insuffisance et/ou l’échec de la prise en compte des préoccupations de l’Aménagement dans les politiques et stratégies de développement. C’est au moment de la formulation des politiques publiques et stratégies de développement que la prise en compte de la dimension aménagement du territoire doit être relevée, pour donner plus de cohérence à la politique économique et aboutir, soit à la réduction des déséquilibres spatiaux, soit à privilégier ces espaces défavorisés, en les dotant de ressources matérielles, financières ou humaines, dans la perspective d’un développement harmonieux et équilibré du territoire national.

Certes des efforts ont été fournis, de l’indépendance à nos jours, en matière d’aménagement du territoire et, comme on l’a souligné d’entrée, aménager le territoire en tant que tel n’est pas si nouveau en Mauritanie. L’intention première des décideurs a toujours été de bien exploiter, au mieux, toutes les ressources du pays. Cependant, le lien, entre planification économique et planification spatiale, s’est lentement dégradé, jusqu’à ce que la prise en compte de la dimension spatiale ne soit plus que résiduelle. Or, c’est un impératif : aménager le territoire exige que les deux exercices – planification économique et planification spatiale – soient réalisés en même temps, dans un même mouvement.

Voilà pourquoi le Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP 2001-2015) n’a pas réussi, malgré son ambition en ce domaine, à asseoir une véritable politique d’aménagement du Territoire et la vision de la Mauritanie à l’horizon 2030, exercice de prospective à long terme qui aurait dû prendre à bras le corps cette problématique, n’a pas plus répondu aux attentes aussi bien des autorités que du partenaire financier (PNUD). En outre, la mise en œuvre de la Stratégie Nationale de Développement Urbain (SNDU) qui a permis de lancer une première génération de Schémas Directeurs de Développement Urbains (SDAU), à Nouakchott, dans plusieurs capitales régionales et villes secondaires, et d’y mener quelques projets structurants, a été également insuffisante pour répondre aux enjeux de fixation des populations dans leur terroir, avec un niveau de services et d’infrastructures convenables.

La troisième signale l’absence d’évaluation de la politique d’aménagement du Territoire. Cela fait plus de trois décennies que cet aménagement est au centre des préoccupations des gouvernements successifs, avec des missions confiées à plusieurs départements ministériels (MPAT, MIPT, MID, MUHAT) mais, aussi, à la Primature, pour ce qui concerne la coordination de la PNAT, via son Observatoire National/ONAT).Pourtant, aucune évaluation de celle-ci ni des différents dispositifs de mise en œuvre n’a été entreprise, empêchant ainsi les décideurs de disposer d’informations complètes et à jour pour agir et planifier convenablement le développement du territoire national.

L’incapacité opérationnelle des Programmes Régionaux de Lutte contre la Pauvreté (PRLP) constitue une autre faiblesse importante. Depuis plus d’une décennie, plusieurs programmes régionaux de développement (PRLP) ont été initiés et/ou réactualisés, dans la plupart des wilayas du pays, sur demande du Gouvernement, souvent avec l’appui des agences du SNU[1], dans le cadre de la décentralisation du CSLP 2001-2015. Ces PRLP étaient censés opérer une adaptation de la programmation au niveau régional. Malheureusement, la wilaya (région) n’a pas encore d’autonomie de décision et les communes demeurent sans moyens, pas plus humains que financiers, pour pouvoir réaliser les activités inscrites dans les PRLP ni, d’ailleurs, dans leur propre PDC (Plan de Développement Communal). Les PRLP sont réduits à des exercices intellectuels courants, sans réelle incidence sur le développement régional.

Enfin, le cadre même de programmation du développement et de l’aménagement du Territoire est inapproprié. Dans la nomenclature du Programme d’Investissements Publics (PIP) et du CSLP, l’aménagement du territoire est assimilé à un secteur de développement, ce qui est inadéquat et sources de toutes les confusions en ce domaine, depuis des décennies. L’aménagement du Territoire est, par essence, horizontale et doit être traitée comme tel. Ce n’est donc pas sectoriellement mais bien dans un cadre interministériel qu’il s’agit de l’appréhender. Comme la planification économique, cet outil de planification spatiale doit être pris en charge par une structure interministérielle d’arbitrage. De plus, les projets et programmes du PIP ne sont pas localisés (spatialisés), empêchant, de fait, les décideurs et les élus nationaux (Parlement) d’avoir une idée précise sur la façon dont le territoire est couvert par ces activités, avant l’approbation de la loi de finances dont le PIP  est une annexe. (A suivre)

 

[1] PNUD et UNICEF