Mémoires de Boutilimitt /Par Brahim ould Ahmed Memadi

4 February, 2016 - 02:13

Chapitre 4 : Le fanal du savoir

Depuis très longtemps déjà, la nature aride, précaire et très hostile de notre immense désert, fut exceptionnellement extraordinaire… Elle fut même surprenante, du fait évident qu’on s’y éduquait et s’y cultivait impeccablement bien et, particulièrement en son authentique et très auguste pinacle, BOUTILIMIT…

Cependant que chez nous, broussards de la première heure, et malgré sa logique tranchée, ce paradoxe, fut de tout temps, défié et judiciairement aplani… Quant aux prédispositions morales et matérielles que nécessite, en général, l’acquisition accumulée et patiente du concept du savoir…

En ce vaste et terrible espace du néant, infréquentable et sans confins, notre antique et fabuleuse contrée ensablée, fut et demeure sans cesse, destination fatidique. Celle de tous ceux malades, essentiellement de l’ignorance, par carence du savoir, ainsi que d’autres innombrables et désemparés.

Bien sûr, la cité de crételle des près, a toujours été le repère des gens qui connaissent et savent communiquer ; les érudits…

En cette énorme vallée, l’art de la transmission des connaissances est hérédité ancestrale avérée. Une noble tradition de formation à dominante émancipative des esprits et sans aucune fin lucrative.. Au moyen d’un système solide et constant, érigé sur des bases motivées et bien adaptées aux substances ciblées… A travers des nomenclatures pédagogiques et applications méthodiques soutenant des contenus foncièrement probants. Avec prise en charge entière et jusqu’à la fin des cursus. Djenke fut ainsi synonyme du savoir limpide, approfondi et intarissable.

Réellement, elle fut par sa gigantesque structure éducative, aux dimensions traditionnelles et modernes, le vrai et brillant miracle du désert.

Celui que la providence installait sur terre, au sommet de la vénération du seul et souverain Seigneur. Lequel en fit, à sa guise inéluctable, un monumental fanal, en un océan de sable, afin d’orienter et de guider ses sujets égarés vers la délivrance…

Elle fut la merveilleuse citadelle du continent où, cinq verbes se conjuguent éternellement, avec un prénom indéfini ; (sans exclusion) : ON ENSEIGNE, ON APPREND, ON COMPREND, ON ACQUIERT et ON TRANSMET…

Un présent de narration que ponctue la souplesse en l’effort intellectuel intense. Au rythme de tout ce que l’éthique et la foi renferment et inspirent en termes de valeurs et règles morales, abstraites et évidentes… En toute sincérité, nul ne peut méconnaître, ni n’ose renier que le rayonnement de notre majestueux phare du désert, au socle interculturel solide, avait abondamment  et pendant longtemps inondé tous les horizons, des vertus et vérités éternelles…

Notre fierté, en cet état d’esprit noble et très précieux, déborde excessivement d’un creuset de compétences systématisées par apport mental fécond et hautement communicateur… Laquelle fécondité que génère un monumental patrimoine de références et notions religieuses, scientifiques, philosophiques, culturelles et foncièrement pédagogiques idéales…

D’où l’habileté didactique persuasive en la fiabilité habituelle des approches de proximité concluantes…

Au total, en toute évidence et quoi qu’il en soit, notre grande contrée est inévitablement le pivot de tout l’univers mauritanien, son cordon ombilical, en toutes ces caractéristiques fondatrices…

D’ailleurs, elle fut la pionnière – exploratrice, débarrassée de tout complexe primitif prosaïque, qui parvint à réaliser un brassage interculturel acquis et bénéfique…

Elle découvrait alors, dans la primeur et assez tôt, les incommensurables avantages, des trésors civilisationnels et intellectuels de l’humanité…

Grâce à son ouverture au monde, assez téméraire et certes précoce, par rapport à l’antan, encore obscurantiste ; elle profitait largement de l’évolution universelle, inéluctable et exponentielle…

Mais certainement, de celle positive et sans condescendance… Celle de l’émulation saine, parfaite et sans aspérités.

Laquelle percée et à la fois gageure, l’avait menée sur la voie du choix stratégique du partenariat et de la complémentarité rentable avec tous les voisins dans une intégration d’ensemble sans rejet, et en un respect sincère sans regret.

Ainsi donc, naquirent les opportunités objectives, pérennes et partagées d’une propulsion qui lui fut heureuse, puis source fastidieuse de projection… Dans un milieu qui fut excessivement rudimentaire, fruste et complètement indicible… Parallèlement alors, émergeait une société immunisée contre toutes influences nocives, par l’encrage solide du vivre ensemble, fort des valeurs d’un brassage raffiné et consistant… Sans caractères communautaristes ou chauvins… Dans la symbiose totale, sans considérations particularistes, ni attributs outrés ou excessifs…

Dans notre très vaste contrée, l’enseignement originel avait largement précédé la fondation de la sainte cité…

Les unités (mahadras) et confréries remontent à l’époque de l’ancêtre feu Bah Ebyéri, en son fief de N’TAMMERT du moyen âge… Au fond de l’Aoukar et bien avant l’auguste Tendewjé… C’était ainsi le démarrage du système éducatif érigé puis continuellement consolidé, pour aboutir, au fil des âges, à un cumul d’expériences et d’efficacité sans précédents… Une solide et assez longue méthodologie, exceptionnellement didactique et professionnelle, entièrement adaptée aux conditions et au mode de vie des braves bédouins que nous fûmes et demeurons !!

Les confréries et mahadras se situent en grand nombre à Djenke et ses environs immédiats : Ain Aelame, Zarr, Tenyarg, Tidemolline, Habibellech, Archane, El qam, bougabé, El khidhirr, El mabrouk, Nouagour, Elb-adress, Zem-Zem, El verqailiyé, etc. A djenke-ville, les unités à divers degrés, se situent essentiellement au nord parmi les familles Cheikh Sidia qui en comptaient quelques dizaines…

En périphérie, elles sont chez Ehel Daddah, Ehel Addoud, Ehel Nahriri, Ehel Nagi, mon grand père à H’sey-cheddad, Ehel Mahmoud Brahim, Ehel Sid’Ahmed, etc.

Au centre, chez Ehel Memadi où plusieurs furent regroupées. Elles avaient pour enseignants : les frères Mohamed El Khalivé, Ould Meyara, Ould Moualla, Hemimi, Lalle mint M’heiriz, Dhat-dine, Zahra mint Dewle, etc. La pitance régulière des autres centres leur venait de ce même point central…

Il y avait aussi celles de Ehel Hormatalla, d’Ehel Etfaqa el Mustava, Ehel Alem Ould Bechir, Ehel Bod, Ehel El Jouneid, Ehel Nadiv, Ehel H’mednah, etc.

Quant au célèbre Institut de Boutilimitt, fondé au milieu du siècle dernier, l’enseignement y fut en arabe… Du niveau supérieur général islamique.

Avant son abandon (lâché), pour raisons non élucidées encore, depuis l’avènement des treillis, en haut, l’honorable établissement défunt fut alors le centre de formation et pourvoyeur en hauts cadres compétents.

L’institut phare de tout  l’ouest, où convergeaient les pléthores d’étudiants qui rentraient, partout chez eux enthousiastes et mondains. Etant scientifiquement abreuvés et parfaitement taillés, à la mesure de toutes les tâches et fonctions pressenties…

L’enseignement y était dispensé par une pléiade d’érudits et professeurs universitaires du grand gabarit intellectuel. A titre d’exemple : les magistrats Ismael ould Cheikh Sidia, Haroun, Ishaq, les frères Addoud, Mohamed ould H’boyib, Mohamed Yahya ould Etfaqa Nalla, professeur et directeur des études etc. Il y avait aussi les deux éminents savants égyptiens détachés de Al-azhar, on dirait des jumeaux : Jewde ibn el âzbe et Mohamed Khalil el Houçary, lequel fut el Qari-e (lecteur) du Coran que Radio – Mauritanie diffusait sur ses ondes… L’instituteur Ousmane ould Eleiloubate, ancien chef de l’orchestre national, en fut l’économe ; à la surveillance, Brahim ould Memadi et ould Ebetty… A l’infirmerie Hammad ould Emir ; à la menuiserie ould Meilid ; Ahmed ould M’bareck et oud Deyoune… Aux services généraux, Rabah ould Sambe et sa clique… Au réfectoire, la mère gigogne Aichetou Fall…

Parmi ses sortants, il suffit de citer : notre valeureux premier ministre, feu colonel Ahmed ould Bouceif disparu (détourné) ; et l’honorable magistrat du siège, feu Mohameden ould M’boirick… Ceci pour souligner l’ampleur et la gravité incommensurables du dégât causé à la nation entière par la disparition du monumental et très célèbre établissement qui n’est plus qu’un amas de ruines très attristées… Apparemment, comme disait l’autre : « qui m’aima généreux, me haïrait infâme ».

L’enseignement du français fut en ces lieux sous une tente à Ain-selame, vers 1937… L’école qui fut transformée en celle des fils des chefs parmi le fort de Djenke… Plus tard déménagée en bas à vocation publique école 1.. Suivront quelques classes, en extension, qui furent attenantes à la mosquée centrale Medracett Alioune Kébé…

Plus au nord, l’école des filles, la première du pays, parallèle aux deux jumelles blanches, les villas de feu Souleimane ould Cheikh Sidia et feu Boune Mokhtar…

Parmi ses sortantes, premières cadres : Mariem mint Sid’el Moctar, Hafsatou mint Abdel Jelil, Khadaje mint Emir, Vivy mint Feijy, Mariem mint el Boukhari, Khadaje mint Meouloud, Mame Koniba, etc.

La notoriété des euphorbes et crételle enferment, en son mystérieux tréfonds, assez de merveilles, de notions, de légendes et coutumes, par l’exemple et la parole, qui lui sont propres et spécifiques… Djenke dispose à elle seule en son patrimoine socioculturel, d’une fabuleuse école toute particulière et fascinante. Une tradition séculaire haute didacto-culturelle où l’on est dispensé de l’écritoire et du papier… Plutôt, il faut être patient et écouter l’hémicycle nocturne de ‘’el barrat’’, les dociles…

Lors d’une veillée du tam-tam… Ces cérémonies notoires sont l’apanage strict de ces vieilles dames… Une spécialiste transmissible de mères en filles, sans aucun apport masculin. Un rituel oral accompagné de puissants mouvements de danse, au rythme du tam-tam… Les séances, jamais divines, commencent après le diner du mariage pompeux et sont ouvertes au public.

Ainsi, commencent les cours à pédagogie épique ; l’immortalisation par mise en exergue des qualités et dignes comportements de Cheikh Sidia lors de sa longue et glorieuse épopée…  Une instruction par l’assimilation à travers des chants d’ensemble, nostalgiques et glorifiants. Exécutés en chœurs, alternant poésies et proses empreintes de gravité et de respect… Sur roulement du tam-tam, en une revigorante symphonie béate, dépourvue de toutes notes aigues ou rêches… Une sorte de berceuses, aux refrains enchevêtrés au niveau de longues et étouffantes reprises d’haleine.

Ainsi, au petit matin, prenaient fin les cours d’initiation aux valeurs réelles des grands hommes, que prodiguaient nos grandes mères, accompagnées de leurs filles ‘’EL QUAIZAZATT’’ et leurs petites filles ‘’S’BEINIYATT’’…

C’était alors que sous la bise matinale, nos vaillantes veilleuses qui nous édifiaient, découvraient le nouveau jour qui se lève et que la belle cité qui dormait, dorlote, à leur tour, les héroïnes EL BARRATT qui se couchent… Une fantastique et regrettée école de gloire morale intense et irrésistible où, l’âme boutilimitoise profonde et sa progéniture se retrouvent et convolent en pleine et éternelle harmonie. C’était aussi un enseignement civilisationnel envoûtant où l’ardente flamme de l’orgueil en la grandeur submerge l’espace et le temps.. Lesquels perdaient d’emblée l’envergure et se confondaient… Puis seul, persistait le sentiment du mérite grandiose et revigorant qui revient et s’étale au rythme de la très belle parade… Nos très chères grand-mères qui nous gavaient de leur tendresse fascinante, et leur chaleur symphonique… Nos héroïnes qui nous dorlotaient sous les effluves, en cascades cadencées, de leur mélodie que les ténèbres répandaient aux  confins de l’ancestrale contrée de crételle… nos astres qui illuminaient nos nuits, par leur indulgence excessive… toutes ces scintillantes étoiles, se sont malheureusement éteintes, une à une… Pourtant elles seules savaient tellement susciter le sentiment ardent et l’émotion vivace de l’espèce supérieure et admirable…

Malgré l’effort énergique de Atiq ould Ebnou Oumar et sa vaillante troupe folklorique, la fabuleuse école de formation, par l’inspiration des valeurs et ingrédients de la dignité des hommes ; celle-là, paraît désormais, au crépuscule de son époque merveilleuse… Puisque nos fées ‘’dociles’’ ne sont plus de notre système dynamique… Elle se sont sûrement métamorphosées en HOURIYAT, pour continuer leur parade, désormais paradisiaque – éternelle et sans contraintes temporelles… Le corps de troupes des ‘’obéissantes’’ comptait essentiellement El Barra dont le pluriel donna celui de toute la légion. Puis : Emnat (filles) Bidjel, Emnat Aebeidak, Emnat Ramdhane, Emnat Idéchillawi, Emnat Cheddad, Emnat Ravée, Emnat Moisse, Emnat Sid’Ahmed, Emnat el Moloud, Emnat el Khabouzi, Emnat M’boirick, Emnat Ahmed Bilal, Beibe el Qazarye, Vatme mint Khouah, Moiné, Aichetou Fall, Noueine, Teslem mint el Mamoun, M’mongué, El Idiye, Hawe, Vatme M’barke, Aichetou, Khadjetou, Mahjoube, Mariye mint Seidou, etc.