C’est reparti pour cinq ans

4 August, 2014 - 13:20

Samedi 2 août 2014, la mobilisation était totale. Le stade olympique de Nouakchott était plein. C’était à l’occasion de l’investiture du président Mohamed Ould Abdel Aziz pour un second mandat. Visiblement, les organisateurs n’ont rien laissé au hasard pour impressionner. Tous les arrangements de tables et de façade étaient minutieusement calculés. Là, au centre de la tribune, les hôtes de marque. Là bas, juste derrière, les membres du gouvernement et assimilés. Un peu plus loin entre les présidents invités, les premières dames dont Marième Mint Ahmed alias Tekeiber, placée selon le protocole à l’extrémité pour permettre au PM sortant et probablement entrant de s’asseoir à ses côtés. Ça peut toujours servir à quelque chose surtout en ces moments particulièrement décisifs. Dans un petit carré qui ressemble à un petit enclos, il y a les députés, les très hauts responsables de la justice, les membres du conseil constitutionnel et leur grand Sghair Ould Mbarek.Selon un confrère journaliste : « quatre mille cinq cents invités, tous les pays du monde sont représentés, des dizaines de milliers de participants. C’est une première dans l’histoire du pays ». Rien à dire sauf que ce confrère est de courte mémoire. Et d’ajouter que : « les responsables du Forum de National pour la Démocratie et l’Unité sont des gens qui marchent sur leurs têtes et ont leur avenir derrière eux ». Comme prévu, Mohamed Ould Abdel Aziz a été de nouveau investi pour conduire les destinées du pays encore pour cinq ans. Après les traditionnels discours du président du conseil constitutionnel et la lecture du curriculum vitae du président investi, celui-ci a prononcé à son tour une allocution bilan d’une part et prospective de l’autre. L’homme serait né en 1956 à Akjoujt. Etudes primaires et secondaires. Sans détails ni commentaires. Grades successifs dans l’armée. Stages à Alger et autres. Conduite du changement de 2005 puis du mouvement de rectification de 2008. Voilà comment être plus royaliste que le roi. Alors que Mohamed Ould Abdel Aziz lui-même a reconnu depuis qu’il a conduit deux coups d’état, certains dont le membre du conseil constitutionnel qui a lu le CV continuent à parler de reforme ou de rectification. Dans son discours, Mohamed Ould Abdel Aziz semble satisfait de ses prestations dans tous les domaines au cours du mandat écoulé. Or, les réalités sont malheureusement toute autre. Les taux du chômage, surtout chez les jeunes sont éloquents, ceux de la pauvreté dans les villes et dans les zones rurales se passent de commentaires. Le secteur de l’éducation n’a jamais connu plus grande déchéance. Celui de la santé est en agonie et ce ne sont pas les quelques centres construits ici et là qui prouvent le contraire. Les conditions de vie et de travail de ces deux secteurs qui emploient 80% des travailleurs de la fonction publique sont catastrophiques. L’accès aux services de base comme l’eau, l’électricité ou la prise en charge sanitaire primaire est loin d’être réalisé. Les grandes retombées des ressources nationales, minières, halieutiques et autres ne profitent toujours pas suffisamment aux populations. Les mêmes mécanismes de partage et de profit continuent : Les lobbies opèrent en complicité avec la haute oligarchie civile et militaire dont les responsables ne savent plus où mettre leur argent, alors que plus de 90% des Mauritaniens ne savent plus comment cacher leur pauvreté. Le pays est au bout de l’implosion pas seulement à cause de la crise politique qui perdure, mais surtout à cause des sectarismes et des communautarismes malsains qui s’exacerbent de plus en plus face à un Etat faible incapable ni de les gérer ni de les contenir. Sur le plan sécuritaire, inutile de trop tirer et de trop jubiler. Même si depuis quelques temps, notamment quelques trois ans, aucune infiltration des terroristes n’a été enregistrée et que l’armée a été dotée de quelques équipements grâce, a prétendu Mohamed Ould Abdel Aziz, aux cinquante millions de dollars saoudiens gérés dans l’illégalité et l’opacité totales. La sécurité à l’intérieur reste précaire. Pas un jour où des assassinats ne sont déplorés. Pas un jour où des vols et des viols ne sont signalés dans toutes les capitales régionales. Pas un jour où des suicides ou des morts suspectes ne sont déclarés. Le dernier accroc du tir à la balle sur le fils du président en dit long sur l’insécurité qui prévaut. Ne dit on pas que si l’Imam est frappé, le muezzin prend peur ? Diplomatiquement, les choses ne sont pas aussi roses comme essaient de le faire penser le pouvoir et ses thuriféraires. Les réguliers incidents avec le voisin du sud, les incompréhensions avec le Mali, les chamailles avec le Maroc où l’on est sans ambassadeur depuis plusieurs années ne plaident pas en faveur d’une diplomatie qui marche. L’élection par défaut de Mohamed Ould Abdel Aziz à la tête de l’Union Africaine n’est pas un paramètre de bonne santé diplomatique ni d’une quelconque envergure régionale ou internationale. Tout comme la participation au sommet afro américain auquel participent quasiment tous les présidents africains (47/53) y compris les plus illustres putschistes ne doit pas constituer un argument pour se prévaloir d’une quelconque notoriété. L’assainissement de la gestion de la chose publique a été plus un slogan qu’une réalité. Ce qui se passe au sein des grandes institutions étatiques, notamment à la Boutique centrale de Mauritanie, à la SNIM, à la Direction générale des impôts et autres. Les grosses irrégularités constatées au niveau de l’agence du développement urbain et les massacres que ses lobbies font en engrangeant des milliers de terrains au profit des plus offrants démontrent que la malversation n’a jamais connu des jours aussi florissants. La naissance d’une classe de nouveaux riches hommes d’affaires aux liens de parenté douteux ne peut s’expliquer que par la floraison du trafic d’influence, de la gabegie, du népotisme, de l’affairisme et autre corruption et attribution de très juteux marchés de complaisance aux proches et protégés du pouvoir et de ses acolytes. Dans son discours d’investiture, le président Mohamed Ould Abdel Aziz a juré de respecter la constitution et de se mettre au service de tous les Mauritaniens sans exclusive. Le président entrant a aussi promis de reformer l’éducation et de promouvoir la santé. La lutte contre la gabegie va se poursuivre et les ressources nationales profiteront à tous. Les jeunes, les femmes, les couches les plus vulnérables, l’unité nationale, les rapatriés, tout sera réglé. La Mauritanie sera un paradis. La langue est dans l’ombre et il est très facile de promettre n’importe quoi n’importe comment. C’est connu, il est cependant déconseillé de mentir à la tente où on compte encore revenir. Ce qui ne semble pas être le cas de Mohamed Ould Abdel Aziz puisqu’en principe il ne pourrait plus revenir après cinq ans. En principe. Le succès du mandat qui commence dépend d’abord de la capacité de son titulaire de regarder courageusement les multiples problèmes auxquels fait face la Mauritanie et d’engager la prochaine équipe gouvernementale à concevoir les politiques appropriées pour les résoudre, mais aussi de sa volonté de s’ouvrir sérieusement sur l’opposition à travers des propositions concrètes qui aboutiront à terme sur un véritable dialogue qui permette de trouver les moyens de faire redémarrer le processus démocratique en vue d’un exercice apaisé de ce second mandat et de la perspective d’organisation d’élections municipales, législatives puis présidentielles cette fois véritablement justes et transparentes.

Sneiba El Kory