Mahfoudh Ould Bettah, président de la CDN, membre du FNDU dans une interview exclusive: ''Il n'a jamais été dans l'intention du pouvoir d'aller à un dialogue sérieux qui va permettre au pays de sortir de la crise politique''

24 March, 2016 - 03:29

Le Calame : Le FNDU a organisé une série de meetings dans les deux Hodh et en Assaba. Comment avez-vous été accueillis par les populations de cette partie de l’est du pays, réputé bastion du parti au pouvoir ?
Maître Mahfoudh ould Bettah :
Effectivement, le FNDU a effectué une tournée dans les chefs-lieux des wilayas à l’est du pays, les 11, 12 et 13 Mars courant. L’accueil fut chaleureux et enthousiaste. Les meetings, de véritable succès, malgré la volonté du pouvoir de  les  mettre en échec. Ili a dépêché
une partie de son gouvernement et divers cadres ressortissants de ces régions – SG, directeurs de sociétés publiques…  – en instrumentalisant l’administration  territoriale (walis, préfets, chefs de services régionaux…), en organisant, dans le même temps de nos meetings, des manifestations parallèles, dans l’espoir  d’empêcher les populations locales de venir massivement, comme elles le firent d’ailleurs, répondre à notre appel. Résultat des courses : si les deux Hodhs et l’Assaba étaient des bastions du parti au pouvoir, force est de constater, aujourd’hui, qu’ils ont basculé. Cela augure d’une prise de conscience de plus en plus grande, dans la Mauritanie profonde, et nous  pousse à l’optimisme,  quant à l’avenir politique du pays. Les populations mauritaniennes, en général,  et celle de l’Est, en particulier, ont cessé de fonder un quelconque espoir sur l’actuel pouvoir. C’est, me semble-t-il, le début de sa fin que je présume très  proche. Cette fois-ci, le changement sera l’œuvre du peuple mauritanien, un coup d’Etat ne saurait permettre, au système en place, de reproduire et  se pérenniser.

- Au cours de sa visite, le 15 Mars,  dans la banlieue de Nouakchott, le président Aziz a réaffirmé sa disposition au dialogue et son souhait de le voir se concrétiser sous peu. Que pensez-vous de cette
sortie, alors beaucoup semblaient résignés à enterrer cette hypothèse
?

- Vous savez, le dialogue en soi n’a jamais commencé pour qu’on en puisse en constater l’échec. Il y a eu, simplement, quelques rencontres  avec  la délégation du pouvoir, délégation qui nous  a,d’ailleurs,  semblé  peu informée des intentions du chef  au nom duquel elle s’est présentée. Elle s’est ainsi abstenue de tout  acte prouvant la sincérité  du pouvoir, notamment en refusant de signer, à chaud, les PV  constatant le contenu des  échanges des  deux délégations et de répondre par écrit,  à froid, au  mémorandum que
nous lui avions remis, dès notre première rencontre. Il est donc clair qu’il n’a jamais été dans l’intention du pouvoir d’aller à un dialogue  sérieux qui permette, au pays, de sortir de la crise politique. Ces porte-voix ont toujours soutenu qu’il n’y a pas de crise politique en Mauritanie et qu’il fallait, tout simplement, saisir l’occasion que le pouvoir daignait offrir. Pour conclure sur ce point, nous avons la conviction que le pouvoir cherche à gagner du temps, en espérant juguler la crise et les difficultés qu’il traverse. En ce qui nous
concerne, nous n’allons courir derrière cette arlésienne qu’est le dialogue avec le pouvoir.
Quant à notre présence dans la rue, elle est largement justifiée.

Les conséquences, sur les populations, de la situation catastrophique que vit le pays  ne sont plus à démontrer : hausse vertigineuse des prix des denrées de première nécessité, chômage, en particulier des jeunes dont 75% se voient ainsi privés de toute perspective. Nous avons donc le devoir, en tant que force d’opposition –  c’est cela, le rôle des partis politiques – de saisir et d‘exprimer  les attentes des populations, face à un pouvoir devenu sourd à leurs interpellations. C’est là le sens  de nos manifestations, depuis le 18 Décembre et qui se poursuivent, avec les missions à l’intérieur du pays. En prenant,  à  bras le corps, les préoccupations des populations, le FNDU donne signification  à son action politique.
On se rend compte, à chaque étape, que cette attitude rencontre l’adhésion massive des populations  et répond positivement à leurs attentes. Notre message est clair : c’est la nécessaire fin du pouvoir despotique, du règne de la corruption, de la gabegie, de l’injustice, de l’instrumentalisation des institutions publiques, c’est la fin de l’échec des politiques  économiques sociales hasardeuses. Ce message exprime, manifestement, l’attente des populations ; le peuple mauritanien n’en peut plus, il a assez souffert,  il aspire au changement  et le réclame haut et fort.

- Pourquoi le FNDU  tient tant à une réponse écrite à son mémorandum ?
 L’accord de Dakar et celui  de 2011 n’étaient-ils pas écrit, parrainés,  même, par la Communauté internationale, en ce qui concerne le premier ?

- Question tout-à-fait pertinente à laquelle la réponse est évidente.
Devrions-nous nous suffire  de quelques paroles dans le vent, parce que le pouvoir n’a pas respecté l’accord de Dakar, parrainé par la Communauté internationale, et le fameux dialogue de 2011 ? Exiger un
écrit ne veut pas dire qu’on ait confiance en ce que le pouvoir respecte ses engagements, loin s’en faut et pour les raisons, d’ailleurs, que vous évoquez : il a bel et bien démontré qu’il ne respecte pas ses engagements, fussent-ils  écrits. Exiger un écrit, c’est, pour nous, une manière de nous prémunir contre les
contestations et les reniements constatés, dès notre première rencontre avec la délégation du pouvoir qui changeait d’avis, sitôt que nous cherchions à vérifier sa position. C’est, aussi, pour prendre à témoin le peuple mauritanien. On ne peut pas se fier à des engagements sans consistance ni référence. C’est, enfin, la meilleure manière de tester le degré de sérieux du pouvoir. Occasion de faire constater qu’il n’est pas sérieux dans sa démarche, dans son engagement ; refusant de se défaire de l’oralité, il assume ainsi la
responsabilité de l’échec des tentatives de dialogue et, partant, l’impasse actuelle.

- Sur quoi vous fondez-vous,  en affirmant, à vos amis politiques, que  Mohamed ould Abdel Aziz  n’est pas « dans une logique de quitter le pouvoir mais cherche, plutôt, les moyens de le conserver  pour longtemps » ?
- C’est un point de vue que je soutiens pour une raison qui me semble évidente. Mohamed ould Abdel Aziz s’est emparé du pouvoir par la force, son pouvoir demeure autoritaire, il considère que la Mauritanie
se porte très bien, s’attribue ce qu’il considère comme une avancée et se croit investi d’une mission presque divine. A l’instar de tous les tenants d’un pouvoir autoritaire qui se considèrent indispensables et
irremplaçables. Tous  ceux qui s’opposent à lui paraissent, en conséquence, des envieux et des aigris, il ne voit donc aucune raison de leur consentir une quelconque concession.  Si vous ajoutez, à cela, la logique du pouvoir qui est une logique de force physique, vous ne me donnerez pas tort de soutenir et continuer à soutenir que Mohamed ould Abdel Aziz n’est pas mentalement disposé à envisager de quitter le pouvoir et qu’il continue à rechercher à le conserver, par tous les moyens. Je suis désolé de le dire, mais je n’ai pas vu le moindre fait qui puisse corroborer le contraire.
La répression des contestations et mouvements sociaux, l’interdiction, aux hôtels, ne plus abriter les conférences de presse des  partis politiques de l’opposition, les tracasseries infligées au FNDU, à
Guerrou, Aïoun et Néma, les consignes données pour torpiller  nos meetings et les actions parallèles de la délégation gouvernementale sont des signaux qui confortent l’idée que je soutiens et selon laquelle Mohamed ould Abdel Aziz n’est aucunement disposer à quitter le pouvoir. Je crains fort qu’il ne  soit, en définitive, contraint, en même temps que je ne lui souhaite pas, à un départ forcé. Comme ce fut le cas de certains chefs d’Etat qui s’accrochèrent au pouvoir jusqu’au bout. Quand on méprise son peuple et ses élites, on ouvre les yeux trop tard, « quand les carottes sont cuites », comme on dit.

- Si l’on vous suit dans votre logique, le Président n’aurait-il pas d’autres  moyens pour  conserver  le pouvoir ? Pourquoi n’attendrait-il pas la veille de la fin de son mandat, pour «recourir au peuple», comme ses  homologues du Rwanda, du Burundi et du Congo  Brazzaville, dans la mesure où l’opposition que vous êtes peine à renverser  le  rapport de forces  en  sa  faveur ?
- Quel moyen ? Je n’en vois pas d’autre que celui de tenter de continuer à le conserver par la force.
Théoriquement, Ould Abdel Aziz ne peut pas se représenter en 2019.
N’ayant que mépris pour les textes et le serment qu’il a prêté, il n’hésitera pas à tenter de s’imposer au pays. Un exercice désormais périlleux, comme je l’ai dit tantôt, car jamais le peuple mauritanien n’aura été dans un tel état d’esprit de rejet d’un régime en place.
Pour cette raison, il ne laissera pas le responsable de  la situation dramatique qu’il vit continuer à s’imposer à lui.
Les changements qui ont lieu, en réaction à ces  comportements des pouvoirs, n’ont jamais été le fruit d’un rapport de force pouvoir/opposition mais, plutôt, le couronnement d’une réaction violente des forces vives du pays. Les oppositions politiques finissent souvent par prendre le train en marche et c’est tant mieux, parce que cela permet, à l’action collective des forces vives, d’être canalisée et conduite vers un changement positif.
Le tort de ceux qui sont tombés à la suite de ces mouvements n’est pas d’avoir mal évalué les rapports de forces entre pouvoir et opposition mais, plutôt, de n’avoir pas saisi, à temps, la lame de fond qui travaillait leur société, dans son ensemble et, en particulier, la jeunesse ; une lame de fond nourrie du ras-le-bol à l’encontre du pouvoir, des frustrations incessantes, des demandes toujours insatisfaites et qui finit par exploser, lorsque le pouvoir  en place veut se maintenir, contre tous et tout, flouant tout espoir de changement démocratique.

- Que pensez-vous de la cascade d’accusations portées à l’encontre du pouvoir : tentative de nouer, moyennant finances, un pacte de non-agression avec Al Qaïda au Maghreb Islamique, en 2010,  pour se prémunir des attaques terroristes, affaire Senoussi, impressions frauduleuses de cartes d’électeurs et arrestation du SG du ministère de l’intérieur, etc. ?
 - Toutes les affaires  que vous citez sont la preuve que le pouvoir en place n’a pas de principes et est devenu, pour cette raison, insaisissable. Le présumé pacte du pouvoir avec  AQMÏ  le décrédibilise, aux yeux de ses partenaires internationaux, et suscite la suspicion, chez nos voisins qui nous reprochent de n’être pas transparents,  dans nos rapports avec les mouvements  armés qui ont déstabilisé, en particulier, le nord-Mali. C’est aussi la preuve que la stabilité de la Mauritanie n’est pas le résultat d’une réorganisation de l’armée, comme l’a prétendu, jusqu’ici, le pouvoir en place. S’il existe, ce pacte peut être dénoncé, à tout moment,  par Al Qaïda, exposant le pays aux  représailles de cette organisation.
Les conséquences de cette éventualité sont graves pour la Mauritanie. L’affaire Senoussi est, pour sa part, moralement scandaleuse. Elle heurte  la conscience collective de notre peuple qui voudrait que,
lorsqu’on s’engage à assurer la sécurité d’une personne, on s’y tienne jusqu’au bout, quel que soit le sacrifice à consentir. Mais, pour le pouvoir, l’argent,  c’est affaire de gros sous, justifie tout, fait sauter tous les verrous. Senoussi n’a pas pu se défendre devant  un tribunal impartial, il n’a  même pas comparu devant un juge, alors qu’Ould Abdel Aziz avait déclaré, à Atar, que cet homme avait quelque
chose à se reprocher en Mauritanie et que, par conséquent, il ne serait pas extradé. Senoussi fut l’objet d’un marchandage sordide, à l’issue duquel le gouvernement libyen a payé l’énorme somme de 250 millions de dollars dont seuls 200 millions, selon des sources, furent versés au Trésor public. Dans tous les cas, cette affaire ne grandit pas notre pays. C’est une lâcheté et un cynisme qui continueront, pendant longtemps, à coller à la peau de tous les Mauritaniens. Il eût été plus raisonnable de l’extrader vers la Libye pour les crimes qui lui étaient reprochés. Après lui  avoir donné l’occasion de se défendre devant les tribunaux, au lieu de le vendre  ainsi. Quant à l’affaire du SG du  ministère de l’Intérieur, c’est celle de
tout le système en place et je crains que Macina n’en soit qu’un bouc émissaire. Le fait est qu’il reste le seul, à ce jour, à avoir été arrêté. J’ose cependant croire qu’il n ait pas été le seul à avoir mordu à l’appât. Dans tous les cas, c’est la preuve que nos élections sont entachées de malversations et de trucages.

 - Il y a quelques semaines,  d’importantes quantités de drogue ont été saisies  chez nous. Treize personnes  seraient déjà  arrêtées et l’enquête se poursuit,  selon les autorités. Pensez-vous que les
Mauritaniens connaîtront, un jour et comme pour la question précédente, la vérité dans cette affaire qui brasse des milliards d’ouguiyas et qui pourrait impliquer de gros bonnets ?

- Les faits que vous venez de citer ont effectivement défrayé la chronique, ces dernières semaines. Certains pensent, en effet, qu’il ne s’agit que de la partie visible de l’iceberg. En tout état de cause, les affaires de drogue, dans ce pays, finissent toujours en queue de poisson : je suis sûr que celle-là ne fera pas exception. Les enjeux sont apparemment énormes et c’est pourquoi la transparence ne sera-t-elle pas plus de mise, cette fois encore. Le danger de voir le pays se transformer en une plaque tournante de la drogue ne devrait pourtant échapper à personne. Le risque de nous retrouver sous l’emprise d’un Etat et d’une administration instrumentalisés par le cartel de la drogue  est grand. Quand on se retrouve en telle situation, la violence, les meurtres, le dévoiement des politiques au service des intérêts de ce cartel sont de règle. Les tristes exemples de certains pays latino-américains devraient interpeler tous les Mauritaniens.

- Vous  avez marché pour dénoncer, entre autres, la flambée des produits des produits de première nécessité dont les prix n’arrêtent de grimper, en dépit de la dégringolade des prix du baril de pétrole. Comprenez-vous pourquoi le gouvernement refuse d’accéder à votre demande et à celle des citoyens qui peinent, comme on dit,  à joindre les deux bouts ?
- C’est à juste titre qu’on continue de soutenir, tant dans le discours que dans l’action sur le terrain, la revendication légitime des populations à voir les prix des produits de première nécessité – du carburant en particulier – révisés à la baisse. Le peuple et nous avec, ne comprenons pas pourquoi ceux qui nous gouvernent s’entêtent à ignorer cette demande pressante qui, comme vous le dites si bien, est largement justifiée par l’incapacité des citoyens à soutenir un tel niveau des prix, eux qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts.
L’incompréhension est d’autant plus grande que les arguments avancés, par le gouvernement, pour justifier son refus, sont, tout simplement, ridicules. Comparer les prix du carburant en France et en Mauritanie,
les justifier par le programme Emel ou l’augmentation des taxes sur les produits pétroliers en Arabie Saoudite, c’est totalement fallacieux. La Mauritanie n’est en rien comparable à ces pays et le programme Emel ne coûte que quelques milliards, alors que les taxes perçues, par l’Etat, sur le carburant (200 à 250 UM/l) procurent, à celui-ci, des recettes comprises entre 120 et 150 milliards de dollars.
Calculez, à partir de ces données, ce que le gouvernement mauritanien suce, réellement, du peuple mauritanien… Comment celui-ci peut-il mener, dans ces conditions, une vie décente ? Apparemment, le seul souci du pouvoir est de maintenir le niveau de ses recettes sur le dos du peuple mauritanien, après avoir dilapidé, durant les quelques années dites de « vaches grasses », les fruits de la hausse des prix
des matières premières : fer, or, pétrole… Le pouvoir a peut-être les muscles, il n’a apparemment pas de cœur.

- Le gouvernement vient d’instituer une Journée nationale de lutte contre l’esclavage. Qu’en pensez-vous ?
 - Ce ne sont ni  les journées  commémoratives, ni les lois, nouvelles ou anciennes, qui décident un gouvernement à apporter des solutions aux  problèmes  qu’il  prétend  régler. Il faut une  volonté politique
 réelle et sincère. Or celle-ci fait malheureusement défaut à celui actuellement en charge de la Mauritanie. Tout en continuant à nier l’existence de l’esclavage, le pouvoir institue des tribunaux spéciaux,  rend  le crime d’esclavage imprescriptible, organise des journées de concertation et tutti quanti. Tout cela prouve que le pouvoir n’est pas déterminé, comme il le faire croire, à éradiquer cette pratique.
Permettez-moi d’ajouter, dans un ordre d’idées voisin, un mot sur la loi contre la gabegie. Elle n’apporte rien de nouveau. Le pouvoir étant, en lui-même, gabegique, comment voulez-vous qu’il  s’attaque à celle-ci  et à la corruption ? La loi existait déjà, le Code pénal réprime les auteurs de détournements de deniers publics, il suffisait de l’appliquer : c’est précisément cela que le pouvoir ne veut pas faire. Il lui arrive d’envoyer quelques boucs émissaires en prison mais loin de lui la volonté de s’attaquer véritablement à la gabegie.
On ne peut pas y croire, parce que le pouvoir en place est un pouvoir extrapatrimonial. Ould Abdel Aziz considère que ce pays est sa propriété privée, il enrichit qui il veut, appauvrit qui il veut et ne se sent lié par aucun principe moral. Il s’approprie les domaines publics de l’Etat, selon de prétendues ventes aux enchères (école de police, écoles publiques, stade olympique, etc.).

 

Propos recueillis par Dalay Lam