Tribune libre à propos du conflit du Sahara et ses implications /Par Lehbib ould Berdid, Professeur d’économie à l’ISCAE de Nouakchott

29 March, 2016 - 11:11

Lors de la visite de monsieur le secrétaire général des Nations Unies, dans la première dizaine du mois de Mars 2016, en Algérie et dans les camps des séquestrés de Tindouf et des séparatistes du Polisario, le monde entier a été étonné et surpris par ses propos malveillants et autres doigts en  « V », significatifs d’un manifeste parti pris hostile, à l’encontre du Maroc, principal protagoniste du conflit saharo-occidental.

Venant d’un homme de l’envergure du Secrétaire Général des Nations Unies, qui ne peut être à la fois ‘’juge et partie’’ et qui  doit donc se prévaloir d’une stricte neutralité, en sa qualité de rapporteur, puisque les décisions onusiennes sont du ressort du Conseil de sécurité ou de l’Assemblée  générale des Nations Unies, voilà qui est d’autant plus étrange que ce conflit oppose deux pays frères, consanguins même, qui ont tout en commun : histoire, géographie, culture, langue et religion.

Monsieur Ban Ki Moon a failli à ses obligations de réserve. Une entorse d’exception, après n’avoir jamais fermement condamné l’occupation sioniste des territoires palestiniens, le massacre des innocentes victimes de Gaza ni, encore moins, les destructions de l’Irak, de la Syrie, de la Libye et de bien d’autres pays, par des puissances fermement établies, il est vrai, à l’ONU .

Que monsieur le secrétaire général demande donc, à la soldatesque algérienne qui se veut un soutien à la lutte, prétendue « de libération des peuples », pourquoi leur pays n’appuie-t-il pas le mouvement touareg en Azawad et au nord-Mali ? Serait-ce que ces régions ne disposent d’aucune ouverture sur l’Atlantique, susceptible d’ouvrir de nouveaux débouchés au pétrole et au gaz algériens? Candeur, pour ne pas dire  naïveté, à défaut de plus noirs desseins, monsieur Ban Ki Moon s’est vraiment trompé.

 

Séquelles toujours vives de la guerre

Quant aux voisins, les Mauritaniens, d’une manière générale, n’aiment pas les séparatistes du Polisario. Pour la simple et bonne raison que ceux-ci sont à l’origine de tous leurs malheurs. Les coups d’Etat successifs – notamment celui de 1978, contre le Père de la Nation, Mokhtar ould Daddah,  propulsant les militaires au pouvoir qu’ils n’ont plus lâché, depuis – furent une catastrophe pour le pays. Ces gens ont ruiné la Mauritanie par leur mauvaise gestion, gâté son système éducatif sans lequel il n’y a aucun progrès, généralisé la corruption et tout dénaturé. Comme Attila, dont là où le cheval passait, l’herbe ne repoussait plus, il n’y a plus de morale et le niveau, sur tous les plans, est  au plus bas, même si l’on compte toujours plus de maisons, de voitures, de goudrons, de tout et de n’importe quoi.. Surtout de n’importe quoi, hélas…

Nous n’oublions pas, non plus, nos héroïques défunts, points noirs entre nous, Polisario et l’Algérie, à l’instar du commandant Soueïdatt ould Weddad, médaillé de l’armée française, fauché, au début du conflit, par les obus des blindés algériens, dans le coin le plus reculé de Aïn Bentilli. Sans les engins mécanisés des unités algériennes, Soueïdatt serait toujours des nôtres, tellement il était prudent. Non, les Mauritaniens n’oublieront jamais nos courageux officiers tombés au champ d’honneur, comme, parmi tant d’autres, Abou Diakhité ould Mamadi et le capitaine Niang.

 

Ancestrales relations toujours réactualisées

Consultons un peu l’histoire. C’est avec le Maroc et non l’Algérie que les Mauritaniens entretinrent préférentiellement des relations qui ne datent pas d’hier. Tout le monde connaît l’histoire de l’émir du Trarza, Ely Chandoura, et de son conseiller Ould Razgue El Alawi. Défaits par des tribus venues de partout, ils s’étaient rendus chez le « Sultan des musulmans » (comme on disait à l’époque), pour demander de l’aide. Et c’est grâce à la cavalerie des Teknas, mandatée par le roi chérifien,  que l’émir recouvra ses territoires et son émirat.

Aujourd’hui encore, nous n’avons que la Royal Air Maroc, pour nous desservir. Air Algérie  a détalé depuis belle lurette. De même, peut-on citer une seule banque algérienne active en Mauritanie ? Alors qu’Attijari Bank y emploie un personnel pléthorique de cadres et agents mauritaniens, pour seulement deux marocains, dans son staff local.

Sur le plan des transactions, les produits marocains inondent le marché mauritanien, à des prix qui défient toute concurrence, au point que les sénégalais s’étonnent, au marché Sandaga de Dakar, de ce que la Mauritanie exporte, aujourd’hui, « de si belles oranges ». Signe des temps, notre pays est bel et bien devenu, grâce à la coopération mauritano-marocaine, exportateur de fruits et légumes.

Par contre, nous ne disposons, au Nord-est, d’aucune route bitumée avec l’Algérie, malgré les engagements pris, par ses dirigeants, au temps de Boumediene et de Zéroual, de rouler goudron de l’Algérie à Choum. Une promesse dont la réalisation attend, probablement, les calendes grecques.

Le seul véritable investissement réalisé, par l’Algérie, en Mauritanie, reste la raffinerie de pétrole à Nouadhibou. Qu’en est-il advenu ? Suite à l’une des  crises du pétrole de la fin du 20ème siècle et sous le fallacieux prétexte que sa conception était limitée aux seuls hydrocarbures algériens, cette unité fut démontée et ramenée, en pièces détachées, en Algérie. Tout le monde s’en souvient, à Nouadhibou.

 

Mauvais choix

Mais revenons à la situation du pays, avant le coup d’Etat de 1978, Si certains officiers, comme le regretté Ahmed ould Bouceïf, ne furent pas félons, le président Mokhtar avait déjà pressenti le cynisme corrompu et corrupteur de certains cadres, surtout militaires, et les avaient interpellés, en ce sens, lors d’une grande réunion, par une formule devenue célèbre : « Il vous faut choisir entre le pouvoir et l’argent ». Victime de sa bonne foi, savait-il que son sort était désormais scellé ?

Evidemment  les putschistes clamèrent, à l’époque, n’être venus que pour redresser le pays, arrêter la guerre, instaurer la démocratie, avant de retourner dans leurs casernes, missions accomplies, dans un délai maximal de cinq ans. On connaît la suite… De fait, un « bon » militaire ne vient pas pour arrêter la guerre mais pour la continuer, comme de Gaulle,  en 1940. La guerre du Sahara était, d’ailleurs, quasiment terminée, après les revers subis, par certaines unités algériennes à Amgalla I et II, infligés par l’aviation marocaine, combinés aux interventions des jaguars français, en Mauritanie. La réalité est que nos militaires, loin de leur mission d’assurer l’intégrité de nos frontières et de rétablir l’ordre, en cas de besoin, à l’intérieur du pays, ne cherchaient qu’à asseoir un des leurs sur le fauteuil présidentiel et perdurer, eux, dans les salons climatisés de Nouakchott.

Quant à la mentalité des séparatistes du Polisario, elle est entièrement basée,  à l’instar de toutes les sociétés maures, sur le tribalisme, pour ne pas dire le racisme. Arabes, ils se ressentent, sinon descendants directs du Prophète Mohamed (PBL), du moins ses cousins. Prétendant avoir été les derniers à déposer les armes devant le colonisateur, ils ne voient, dans leurs voisins, que « berbères et chleuhs », pourtant plus courageux et enclins au combat.

Mais, même en cette hypothèse, les séparatistes sont-ils si différents de ceux qu’ils regardent de haut ? N’en déplaise aux tenants du nationalisme arabe étroit et chauvin, historiens et anthropologues français – ils nous connaissent mieux que nous-mêmes – sont unanimement formels : tous les peuples du Maghreb arabe – mauritaniens, sahraouis marocains ou algériens – sont tous des berbères ; des berbères arabisés, voire, ici et là, arabes berbérisés mais, en tout cas, bien des berbères, en fin de compte.

La citation suivante, tirée d’un manuel scolaire français est, à cet égard, sans équivoque : « Au Xème siècle, les berbères Almoravides envahirent l’Afrique du Nord et l’Espagne. Plus tard, les berbères Zenaga s’installèrent sur la rive droite du Fleuve Sénégal. Leurs descendants forment, aujourd’hui, les Maures et les Touaregs ».

Mais, comme tous les arriérés et obscurantistes de nos malheureuses sociétés arabes contemporaines, les séparatistes du Polisario, bourrés de préjugés nocifs, complexes, mythes, mentalités rétrogrades et autres attitudes coincées se croient, figurez-vous, invariablement supérieurs aux autres. En sommes du racisme et rien d’autre. Un concept où Hitler lui-même se brisa les dents, malgré toute son infernale puissance de feu...

Le libéralisme, clé du développement

Avec ses soixante-dix mille habitants, le Sahara occidental ne peut former un Etat viable. Juste le quartier d’une grande ville. Qui songerait à ériger Dar Naïm ou Teyarett en républiques ? Tous les économistes et experts internationaux vous le diront : seule l’intégration, ouverture sur le monde extérieur, génératrice d’une augmentation conséquente des échanges, peut avoir un réel impact sur le bien-être des populations et faire reculer la pauvreté. L’expérience l’a abondamment démontrée, avec les pays émergents d’Asie, du Moyen-Orient et d’Amérique Latine.

Un constat particulièrement probant, pour nous, Mauritaniens. Cette ouverture, nous l’avons et fortement par voie terrestre, avec le Maroc, notre grand voisin du Nord, qui nous fait profiter de ses infrastructures, de la variété et de la richesse de ses produits ainsi que de son afflux touristique. « Cultivons donc notre jardin ». Encore faut-il libéraliser véritablement notre économie et notre législation, en réduisant les barrières, tarifaires et non-tarifaires, à notre frontière du Nord, pour nous ouvrir, au maximum, sur l’extérieur, favoriser l’expansion des marchés et doper le dynamisme des échanges qui ont grandement contribué, depuis une douzaine d’années, à la croissance de notre économie. Celle-là ne doit pas se ralentir, comme c’est malheureusement le cas, aujourd’hui.