Mauritanides : Le temps passera-t-il ? Mais quel temps ?

14 April, 2016 - 03:21

La préface et la postface rédigées, par les meilleurs soins du professeur Abdel Wedoud ould Cheikh, constituent le meilleur appel aux lecteurs, critiques et analystes, pour se pencher sur une  œuvre capitale, dense par ses thèmes, son style et  ses contenus,  toujours actuels. Il nous reste maintenant, à décrypter,  à comprendre cette production  qui se veut littéraire…

En réalité, celle-ci dépasse un tel strict exercice, pour devenir une pensée, avec ses coins et recoins, ses résonances et ses contextes qui défilent, sans se limiter au temps. Celui qui ne passe pas. Curieusement cela rappelle les plans d’ajustement structurel, décrits comme un mal nécessaire mais « un piège abscons », admirablement peint par l’auteur des Mauritanides. Les plans d’ajustement structurel  passent-ils, comme le souhaiteraient les pays entraînés dans la spirale de la pauvreté ? Cette généreuse pensée intriguera les économistes, les planificateurs, « les développeurs et développés ».           

Que tous soient remerciés pour avoir rendu possible la publication des Mauritanides de feu Habib ould Mahfoudh (1960- 2001). Le pionnier de la presse indépendante mauritanienne a subitement disparu, comme un éclair, en 2001, laissant, à la postérité, une œuvre monumentale. Messager, Habib fut un observateur attentif de la vie quotidienne de la décennie 90, en   Mauritanie. Il a su mettre l’accent sur les  débarras et embarras des Mauritaniens. Les thèmes abordés par  Mauritanides  épousent parfaitement les préoccupations des uns et des autres, dans la Mauritanie des années 1990-2000 aux prises avec les affres d’une gouvernance singulière.

 

Tayanie

 Désormais, pour comprendre la Tayanie, l’ouvrage de Habib nous aidera à décoder les perfidies, les alliances et médisances…  De fait, chacun peut s’approprier le sens des écrits de Beddah (pour les intimes) et les  expliquer, selon sa subjectivité.  Ce texte  est à lire, à relire, à méditer et à interpréter. Qui plus est, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de dresser une typologie fidèle à l’esprit de l’auteur, tellement les questions étudiées semblent à la fois enchâssées et dispersées, par la logique du langage, des mots,  des contextes, qu’elles finissent par échapper aux normes  langagières classiques. Habib a construit un univers de l’imaginaire où l’espoir « se moque » de son devenir, pour neutraliser le désespoir. Cette écriture ouverte, diversement critique, est tout au moins. psychanalytique. Elle  fait coucher le Mauritanien, tous bords confondus, sur le divan et commence son entretien, en faisant appel  au dialogue par le monologue et, également, aux possibilités inouïes  des cinq sens, en leur substituant des sous-sens, pour les uns, des non-sens ou des sur-sens, pour les autres : c’est le diagnostic. Cette consultation singulière débouche toujours sur plusieurs  traitements. Et chacun peut  choisir celui qui lui convient le mieux.

 

Daraatanie

 Pour résumer, on peut dire qu’en Daraatanie, chacun se consulte et se prescrit un traitement. Et Habib se voit quitte avec sa conscience. C’est en quelque sorte le reflet d’une structure imaginaire dynamique,  refoulant à son tour les déboires de  l’ivresse du pouvoir sans foi ni loi. Cette vindicte langagière  avance, à visage découvert,  en laissant de côté les laudateurs de la foi et les  zélateurs de la loi. Cette précieuse tactique de l’écriture ne peut être comprise ni apprise, sans  s’intéresser à la personnalité de l’auteur. Le professeur Abdel Wedoud, l’a déjà dit : Habib est un artiste, un révolté. Or, l’ouvrage Mauritanides respire l’air d’une rébellion contre soi, celle qu’il urge de retourner contre les autres, c’est un rappel, une redondance. Et c’est pourquoi, le premier enseignement qui saute aux yeux est la structure pédagogique des  nouvelles, au sens des informations ou tawari, en hassaniya. Le secret de l’information est compris, dans la pensée habibienne, comme l’effort tendancieux à former une opinion, la consolider soi-même, l’utiliser, la regarder au plus près, la partager largement, pour en faire un élément de générosité, de disponibilité. Cette posture est celle des effets de l’enseignement sans enseignants. Ce qui conduit, à ne pas douter de l’importance des effets bénéfiques de l’autoformation. Il s’agit alors de plusieurs niveaux d’enseignement. Or  celui-ci se conçoit  d’abord comme une ruse, une intelligence dont chacun dispose d’un bout, d’une dose largement suffisante, pour se tenir à l’abri des incompréhensions, des imprévus-prévus, des injustices et, surtout, de « l’in-dignité »… Pour Habib, l’écrit est un jeu et un enjeu social. Attention ! Le jeu ne veut pas dire amuser la galerie, loin s’en faut. Le concept de jeu renvoie à la manière de jouer avec les mots, les remuer, les mesurer, les changer, les allonger, les raccourcir, les habiller, les maquiller, bref les humaniser, les faire chanter et danser. C’est le bougé qui détermine l’homme, le singularise… C’est pourquoi l’acteur habibien demeure coincé dans son  ambivalence, à l’image de ce que pense Freud des conflits internes qui déchirent le psychisme. En cela, Habib a  fondé un style, des plus pragmatiques qui soient, en relation avec les préoccupations, les attentes et les angoisses  des Mauritaniens de son temps. 

 

Avis aux  chercheurs

 Les lecteurs avisés, les analystes auront de la matière à discuter, face au foisonnement des registres, des modes et déclinaisons fournis par l’agencement et l’ordonnancement des Mauritanides. Ce travail ardu doit être entamé par les chercheurs de divers horizons.  Quoi  qu’il en soit, il s’agit de rendre « Mauritanides » plus lisible au sens politique du terme. La politique c’est aussi «  le dire autrement ». C’est l’avantage, offert par la vaste culture  de Habib, de l’impact de l’écrit sur nos vies. Ainsi, les chercheurs auront du pain sur la planche, car les Mauritanides ne se laissent pas « pénétrer » facilement. Les figures du style empruntent à la fois la satire d’un Voltaire ou d’un Montesquieu, la critique d’un Fitche, l’univers nuancé de la culture de l’Iguidi, la prudence-feinte des marabouts et le courage mesuré et médusé des guerriers. Habib a produit des textes synthétiques, éclectiques et syncrétiques.

 

Moulaye Ismaïl Keïta

Enseignant

moulkeita@gmail.com