M. Boydiel Ould Houmeid, président du parti El Wiam, dans une interview exclusive: ‘’La position du président était de ne pas toucher à la Constitution, surtout pas aux articles se rapportant au mandat’’

14 April, 2016 - 03:46

Le Calame : -Votre parti vient d’organiser un meeting qui a connu, de l’avis des observateurs un franc succès. Ce meeting  devrait  marquer votre rentrée politique mais aussi et surtout apporter un soutien au député-maire de Rosso et son conseil municipal paralysé. Quels enseignements vous en tirez ?

Boydiel Ould Houmeid : Effectivement, nous avons organisé un grand meeting qui a été un succès sur tous les plans. Nous y avons expliqué, de nouveau, notre ligne politique, notre orientation et, surtout, comment nous envisageons l’avenir. Comme vous le dites, nous sommes aussi venus expliquer aux populations du Trarza, de manière générale, et à celles de Rosso, en particulier, la situation que vit la Mairie de Rosso, marquée par les interventions de l’autorité de tutelle qui entravent le fonctionnement normal de la municipalité.

Ainsi, le Maire a eu l’occasion de présenter directement au public le bilan de deux ans d’exercice au cours desquels la Mairie a accompli des réalisations concrètes, en dépit des blocages de la Tutelle, d’une part, et, d’autre part, des agissements d’un Trésorier régional faisant fonction de comptable de la Commune qui outrepasse ses attributions limitées à un contrôle de régularité, en tant que contrôleur financier et de comptable de la commune, pour se substituer au Maire dans sa qualité d’ordonnateur et seul responsable de l’opportunité de la dépense, et le seul capable de se substituer à lui en cas de réquisition.

Nous avons également expliqué le fait que certains politiciens, qui ont de la peine à digérer leur défaite aux élections municipales et législatives, s’évertuent, avec la complicité de l’administration, à se faire une majorité au Conseil municipal par tous les moyens, alors que l’Accord entre la Majorité et l’Opposition qui avait pris part au dialogue de 2011, était tout à fait clair quant aux dispositions prises à l’encontre du nomadisme politique et reprises dans la loi 2012-032.

S’agissant des enseignements que j’ai tirés du succès de ce meeting, je dois dire que les militants et sympathisants du parti El Wiam ont continué à être mobilisés comme un seul homme, le temps que nous sommes restés sans activité localement, et leur engagement n’a pas faibli ; ils ont prouvé leur attachement à la ligne du parti, dans son approche pacifiste et son opposition responsable.

 

-Devant l’incapacité de mener à bien son mandat et face  aux obstructions du pouvoir ou de l’un de ses  hauts responsables, le maire de Rosso a annoncé sa démission  lors de votre meeting. Pouvez-vous  expliquer aux mauritaniens ce qu’a conduit à la paralysie du  conseil  municipal que les rossossois avaient plébiscité en 2014 et ce que vous entendez faire face à cette situation ?

 

-Comme je l’ai évoqué plus haut, des membres de l’UPR locale ayant perdu les élections cherchent par tous les moyens à se faire une majorité au sein du Conseil municipal, en perspective des prochaines élections sénatoriales ; ils essayent de débaucher le maximum de conseillers d’El Wiam qui avait remporté les élections dans le Département de Rosso et sont entrés en contact avec deux conseillères pour les mettre de leur côté, afin de créer un déséquilibre en leur faveur, avec l’appui de l’autorité de tutelle. C’est ce qui a créé ce blocage du Conseil municipal. A notre niveau, nous avons mis à exécution l’esprit de l’accord de 2011 et ses textes d’application, en procédant à la révocation des deux militantes du parti, ce qui leur fait perdre, ipso facto, la qualité de conseillères, parce que, en droit, l’accessoire suit le principal. Donc, la Mairie ayant appliqué cette décision, l’Administration a bloqué toutes les activités du Conseil municipal. En réaction à ces blocages, le Maire et les conseillers municipaux ont présenté leur démission, mais seulement au parti. Cette démission ne peut être effective tant que le parti ne l’a pas acceptée. Pour la suite, le parti tiendra des réunions en vue de prendre les décisions appropriées qui seront notifiées à toutes les parties concernées et seront même annoncées en conférence de presse.

 

-Le FNDU a mis fin à tous  les  contacts  avec le pouvoir dans le cadre de la recherche d’un dialogue politique, inclusif, franc et sincère, ceci suite à la sortie des membres du gouvernement qui ont réclamé un 3e mandat pour l’actuel président dont le dernier s’achève en 2019. Que pensez-vous de la sortie des trois  ministres  et  de la réaction  du FNDU?

 -Par rapport à la sortie des trois ministres, j’estime que leurs propos ne sont pas à mettre dans le même sac. Le premier à avoir abordé ce sujet est le ministre de l’Economie et il n’a pas parlé de personnes, mais de régime, lequel peut, en tant quel, faire plusieurs mandats s’il répond aux aspirations des populations ; quant aux deux autres ministres, ils ont parlé ouvertement du Président actuel, en disant qu’il peut faire un autre mandat et sont allés jusqu’à dire que la volonté du peuple est plus importante que la Constitution. Certains ont voulu trouver des justifications à cela, en soutenant que les ministres sont des citoyens. C’est vrai qu’ils sont des citoyens, mais pas des citoyens ordinaires ; ensuite il y a la solidarité gouvernementale qui signifie que quand un ministre fait une déclaration, c’est tout le gouvernement qui est engagé avec lui. De plus, le fait que les auteurs de ces propos soient reconduits dans le gouvernement formé au lendemain de leurs déclarations peut également prêter à interprétation.           

Toujours est-il que, sur ce sujet, le plus important est l’attitude du Président de la République lui-même. Sa position était de ne pas toucher à la Constitution, surtout pas aux articles se rapportant à cette question, il l’a dit et prêté serment en lisant le passage concernant la modification du mandat présidentiel. Je trouve donc la réaction du FNDU prématurée, il devait attendre davantage de précisions.

 

 

 

 

-Quelle appréciation vous faites de la situation économique et sociale du pays ?

-De façon générale, la situation économique du pays n’est pas facile, à l’instar de ce qui se passe dans le monde. Seulement, nous autres, nous pensons qu’il y a deux extrêmes qui exagèrent, l’un par excès de pessimisme,  l’autre par excès d’optimisme. Par exemple, quand l’opposition radicale dit que la Mauritanie est en cessation de payement, en donnant l’exemple de certaines sociétés d’Etat qui n’arrivent pas à payer les salaires, je trouve cela exagéré, car un pays qui dispose de sa propre monnaie peut pallier à cette situation, en recourant à la planche à billets. Evidemment, cela se sentirait surtout à travers la montée des prix liée à l’inflation. L’autre extrême exagère aussi, en nous disant que tout va comme dans le meilleur des mondes. D’ailleurs, la conjoncture internationale ne s’y prête guère, dans la mesure où le prix du fer, de l’or et des matières premières en général sont au plus bas niveau, alors que nous ne produisons que ça. Avec la détérioration des termes de l’échange, le prix des matières premières diminue pendant que le coût des produits manufacturés augmente tous les jours, entrainant un renchérissement continu du coût de la vie. Je me rappelle qu’en 1978, je faisais le plein de ma voiture avec moins de mille ouguiya, aujourd’hui le même plein atteint 40 000 UM, au moment où les salaires ne sont pas indexés sur les prix, et donc la situation ne peut pas être bonne. Cela pour les facteurs extérieurs.

Au plan intérieur, la pression fiscale est très forte et, comme on dit, trop d’impôt tue l’impôt, puisque si vous imposez fortement les contribuables pour une année budgétaire, il n’est pas garanti que l’année suivante vous ayez quelque chose à imposer, dans la mesure où des contribuables (personnes morales ou physiques) vont disparaitre par faillite ou déposition de bilan. Il y a un autre aspect qui est lié à la diminution du train de vie de l’Etat. Vous savez que chez nous, l’Etat est le plus gros consommateur et en dépensant, il agit par effet multiplicateur de consommation à travers tous les intermédiaires économiques à partir du commerçant et du fonctionnaire jusqu’à la ménagère. Et partant, la monnaie fiduciaire va circuler en même temps que la marchandise et les services, et tout le monde en bénéficiera. C’est cette situation que la population traduit par l’affirmation : l’argent existe ou n’existe pas.

Nous savons tous que l’argent ne tombe pas du ciel, mais quand les services n’ont plus de quoi fonctionner, cela va se sentir par la population avant tout. Je ne dis pas qu’il faut mettre à la disposition des Départements des crédits supérieurs à leurs besoins, mais quand même qu’ils aient de quoi faire fonctionner leurs services, tout en veillant au renforcement des mécanismes de contrôle, en particulier le contrôle préalable, c’est-à-dire le contrôle hiérarchique, le contrôle interne, en mettant des responsables compétents, capables de contrôler leurs subalternes. Il faut des hommes compétents et non des hommes inexpérimentés et qui ne maîtrisent pas leur travail. Ce contrôle interne est plus efficace que le contrôle externe (Inspection générale des Finances et Inspection générale d’État).

 

-Comment se porte la CUPAD ?

La CUPAD est malade ; elle a besoin d’être diagnostiquée pour essayer de lui trouver le remède adéquat. Notre espoir est qu’il ne s’agit pas d’une maladie incurable.

Au cours du meeting de Rosso, vous avez réclamé la libération du président et le vice-président d’IRA en prison depuis plus d’une année. Peut-on en connaître les raisons ?

Effectivement, nous avons demandé la libération de Biram et de son compagnon, parce que nous savons que pour des raisons humanitaires, il doit être libre, même si j’ai appris que l’intéressé ne voudrait pas être libéré et surtout pas gracié. Mais mon devoir à moi est de demander sa libération, bien que, comme je le dis, je ne sois pas d’accord avec lui sur sa doctrine, s’agissant des Maures noirs. Pour moi, le problème de l’esclavage n’est pas un problème de teint, c’est un phénomène qu’ont connu toutes les sociétés à travers les âges et que notre pays a connu aussi. Je fais partie des premiers qui l’ont posé, mais aujourd’hui tous les textes juridiques ont été pris pour son abolition. Il reste que dans la pratique certains foyers persistent ; c’est à nous tous, sans exception, de nous mobiliser pour l’éradiquer entièrement et définitivement.

On m’a toujours taxé de dire que l’esclavage n’existe plus en Mauritanie. Ce que je dis c’est que juridiquement l’esclavage n’existe plus, mais dans les faits, il en existe encore quelques foyers. Dans une note de l’Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique, il est indiqué que les Etats-Unis ont aboli l’esclavage depuis 150 ans, mais que des vestiges persistent encore. Voyons, si la première puissance du monde n’arrive pas à faire disparaître les séquelles de l’esclavage depuis plus de 150 ans, que peut-il en être d’un pays comme le nôtre ? La principale divergence entre moi et certains activistes de la cause, c’est que les Haratines ne peuvent pas constituer une nationalité, parce que celle-ci ne se décrète pas ; la question est une question culturelle.        

Propos recueillis par Daly Lam