La réplique d’Aziz: « Mais Aziz, c’est Vous! »

2 June, 2016 - 00:23

J’apprends qu’un intellectuel de renom m’a donné le conseil non sollicité de ne pas quitter le pouvoir.   Je n’aime pas lire, c’est bien connu (pas le temps !), mais on m’a rapporté que le plaidoyer était de haute facture, comme ce bon professeur en a donné l’habitude.  Je vais commencer par avouer qu’en effet, je n’aime pas les ‘intellectuels’ (ça veut dire quoi ça, d’ailleurs ?) à de très rares exceptions près, et le lien de parenté est un facteur de poids dans ces cas-et encore !  Pour rester dans cette lancée de franchise, je dirai à tous ceux qui ont apprécié le billet de ce professeur à la belle plume-et je sais qu’il y en jusqu’autour de moi-- que « Moi, c’est Vous !» et vous savez qui vous êtes (pas vous personnellement professeur, bien sûr).  A l’image de ce professeur, certes plus nuancé, certains intellectuels (le vilain mot, vraiment!) de tous poils, même ceux qui ne le sont qu’à moitié et autres opposants ont toujours considéré que les miséreuses circonstances du pays sont dues aux errements et même à la personnalité détraquée de quelque colonel ou général depuis ce fameux 10 juillet, 1978. Ould Haidalla, Ould Taya (Ha, celui-là !) ? Et maintenant, moi.  

Passons sur le pauvre Ould Haidalla, il a assez d’ennuis personnels comme cela.  

Quelle coalition d’officiers que la Mauritanie telle qu’en elle-même alors (bigarrée et innocente à souhait) avait déjà permis à ce Ould Taya d’accéder au pouvoir ce 12-12 de 1984 ? Qui avait continué, plus de 20 ans, à lui caresser l’ego, oh combien frêle? Qui, année après année, a couvert, justifié, applaudi ses politiques et décisions les plus erratiques, discriminatoires dans certains cas rien moins que génocidaires ?  Qui, comble de théâtre de l’absurde, l’avait menacé de poursuite en justice pour « non-assistance à peuple en danger » si jamais il s’aventurait à quitter le pouvoir (pensez donc !)? Qui s’était déclaré prêt à boire tout le fleuve Sénégal si le M. le lui demandait (gentiment ?)?  Je crains que la réponse à toutes ces questions et d’autres du même genre est la même : Vous! Accordez-moi le mérite d’avoir montré le chemin de l’exil à celui-là.  Quant à ma raison pour l’avoir fait, demandez-moi plus tard.   

A mon tour donc.  On fait souvent allusion à ma spécialité de mécanicien, je ne suis pas du tout froissé.   C’est là une noble profession qui fait vivre son homme et je m’en serais bien contenté et crois avoir le talent et la personnalité pour y réussir.  Idem pour l’emploi de petit fonctionnaire que j’ai occupé passagèrement. Voyez, ceci fait de moi, au fond, un Mauritanien comme en trouve des milliers. 

Ceci dit, qui m’a donné ce piston de poids pour devenir officier alors que je ne remplissais pas les conditions, décision qui transformera ma vie et celles des habitants de ce pays, au nom de liens de parenté et d’appartenance à la même tribu ? Cette pratique (même alors !) était-elle antinomique de quelque éthique doctrine sociale ? N’était-ce pas en fait la norme sociale? Qui m’a, au nom de la même moralité, pistonné encore pour me positionner au centre du pouvoir politique et être le pilier/gardien du temple/système ? Qui m’a applaudi en héros et commencé à me courtiser assidûment lorsque j’ai pris mon courage à deux mains pour chasser Ould Taya du pouvoir lorsque, à l’exception d’une infime minorité, les opposants les plus endurcis commençaient à le rallier avec armes, bagages et idées, toutes idéologies bues ? Qui a poussé l’obséquiosité (collective et souvent assumée) jusqu’à vider de tout sens une transition censée enterrer l’essence du système Ould Taya’ ? Qui, à la fin de la transition (continuons à l’appeler comme cela), m’a élevé au grade de général de brigade tout en sachant que sa décision violait les textes en vigueur et qu’elle n’était pas, objectivement, méritée ? Qui m’a maintenu au commandement du BASEP tel quel sachant que j’avais-tout récemment- utilisé ce commandement pour perpétrer un coup d’état, ‘salutaire’ ou pas ?  

Qui a, dès que Sidi Ould Cheikh Abdallahi a commencé à regretter certaines de ses décisions me concernant a commencé à arranger à me rencontrer aux coins d’une certaine mosquée pour me garantir son soutien si je franchissais le rubicon et qui plus tard m’a aidé à légitimer mon coup d’arrêt à la très timide démocratisation du pays ?  Quel peloton d’élus (pas seulement ceux-ci) m’a aidé à créer les conditions pour perpétrer le coup et l’imposer ? Qui a suspendu tout jugement et goulûment avalé les grosses couleuvres de la ‘prière au Morts’ de Kaedi et du slogan ‘président des pauvres’ ?  Qui, de mes ennemis déclarés d’hier, ne s’est rapidement accommodé de mon mépris souverain au point de se faire mes porte-parole et mandataire lorsque le besoin s’est fait sentir ?  Qui ne s’est-il plié en quatre chaque fois que le besoin s’est fait sentir de punir pour des raisons politiques quelque insoumis, ou pour ‘mettre à sa place’ un outrecuidant au verbe particulièrement acerbe ? Qui ne s’échine pas, aujourd’hui encore, à me tresser des lauriers pour ma clairvoyance, mon éloquence, et ma vision pour notre pays ? (Entre nous, arrêtez !)

Dois-je vraiment donner la réponse à toutes ces questions ?  Evidemment les noms importent peu ici, la somme, oui. 

 

Que vienne ce procès donc.  S’il est équitable, je serai en bonne compagnie.  Mais pourrait-il l’être ? En attendant, Merci professeur du conseil avisé.  Il serait bien sage de ma part de le suivre simplement.  Là aussi, je ne doute pas que les mêmes ne manqueront de se bousculer au portillon pour m’aider à le mettre en œuvre. 

Vous le voyez, je ne serai jamais seul. En fin de compte, je resterai peut-être bien au pouvoir, et si j’y réussis, vous pouvez envoyer vos compliments à toutes personnes physiques que vous aurez reconnues. S’il vous plait assurez-vous d’utiliser le ‘Vous’ collectif comme cela vous n’oublierez personne, ou presque, dans ce pays.

 

Pour Aziz, 

Boubacar N’Diaye

Politologue (pas un intellectuel)