En plein milieu (1) /Par Tawfiq Mansour

13 July, 2016 - 03:04

"Ces articles sont publiés dans le cadre d’un projet financé par le Programme de l’Union Européenne pour la Société Civile et la Culture pour la promotion de la protection de l’environnement"

Dans le cadre de l’accord signé entre le Gouvernement Mauritanien  et l’Union européenne, le Programme de l’Union Européenne pour la Société Civile et la Culture (PESCC), a attribué une subvention à notre association  Action Environnement pour réaliser le projet intitulé Projet de sensibilisation nationale au développement durable et à la protection de l’environnement

.Premier d’une nouvelle série, commandée, au journal « Le Calame », par l’association mauritanienne « Action Environnement », l’article qui suit tente d’élucider ce que le concept d’environnement devrait éveiller en chacun de nous. Pour éminemment musulmane qu’elle soit – et n’est que trop rarement dans les faits, hélas ! – la bonne gestion de celui-ci n’en est pas moins universelle… Aperçu sur une réalité qui nous rapproche, tous, humains embarqués sur une même planète…

Le français, comme toutes les langues du Monde, a ses propres éblouissements. La notion de milieu en est un des plus fulgurants. « Lieu également éloigné de tous les points du pourtour ou des extrémités de quelque chose » (Larousse), il évoque, immédiatement, le centre. Mais, également « cadre, environnement où vit quelqu'un, considéré comme conditionnant son comportement », il convoque, tout autant, l’entourage. Paradoxe ? Ou réminiscence d’un état de nature où l’homme vivait en symbiose avec son environnement ? De tels questionnements nous renvoient à un vieux débat. Celui-là même qui présida à la naissance du monde moderne. Sommes-nous la mesure de toute chose, libres d’user, à merci, de ce qui nous entoure, ou intimement, vitalement, liés, enchaînés, à son ordre ?  A l’heure où les nuisances environnementales nous amènent à subir, de plus en plus péniblement, les conséquences de nos illusions de puissance, la réflexion est, plus que jamais, de mise.

Attitude inédite, en Mauritanie : l’extrême rudesse des conditions de vie y a écrasé, des siècles durant, toute discussion à ce sujet. L’environnement naturel commandait la survie, l’organisation sociale, le quotidien et, sauf à fuir, au loin, nul n’aurait su contester cette hégémonie sans partage. Elle était pourtant banalement dépassée, transcendée. Par cette conscience, variablement intériorisée – centrée, donc, au milieu même de chacun – de la Réalité Suprême qui en était la source et l’aboutissement. Ce que révélait la puissance de la Nature, c’était celle de Dieu, offrant, ainsi, par la foi en Son Infini, des horizons illimités de liberté. Une paix de l’âme, polie par la prière et la méditation, apte à supporter les pires épreuves. En se soumettant aux lois de la Nature, guidé par celles que Dieu avait, naguère, spécifiquement enseignées, à l’homme, pour s’y accomplir, en tant qu’être social et spirituel, le Mauritanien atteignait à ce qui l’en libérait.

Manquait cependant, à ce schéma de vie, une dimension plus prégnante, sous des cieux autrement cléments, notamment dans les pays où s’est échafaudée la présente modernité : la capacité de chacun à modifier son environnement. Certes, on savait bien, en Mauritanie, tout ce que, par exemple, le « simple » percement d’un puits, au milieu des rares et épisodiques pâturages, pouvait perturber d’équilibres vitaux, pour les troupeaux et ceux qui en tiraient subsistance, mais c’était, précisément, au regard de ces troubles potentiels qu’une telle décision n’était, jamais, celle d’un individu. On convoquait, à telle enseigne, une ou plusieurs assemblées de tentes, discutait, à n’en plus finir, des conséquences pastorales de l’apparition d’un nouveau point d’abreuvement, négociait, entre fractions tribales, voire tribus, diverses modifications de parcours de pâturage, pour convenir, souvent, qu’il valait mieux, en fin de compte, renoncer à un projet trop risqué pour la paix ou, plus prosaïquement, la survie.

La méconnaissance de cette adéquation collective amena les colons français – puis, plus généralement, les coopérants étrangers – à engager des politiques hydrauliques dégondées des réalités socio-écologiques, avec de graves conséquences, lors de la grande sécheresse des années 70. La prolifération artificielle des points d’eau, entre 1945 et 1975, détruisit l’antique système traditionnel, surmultiplia le cheptel sédentaire, jusqu’à surcharge, outrancière, des capacités fourragères qui s’écroulèrent, brutalement, aux premiers signes d’un nouveau cycle de basse pluviométrie, entraînant, en cascade, la perte de nombreuses têtes de bétail, avant la famine et l’exode rural, massif, vers des centres urbains encore embryonnaires, incapables de supporter un tel subit accroissement de leur population. Une part notable de l’histoire contemporaine de la Mauritanie s’est écrit dans cette cécité de l’aide au développement. Un aveuglement encore trop souvent de mise, notons-le déjà : plus ou moins consciemment persuadé d’être porteur de « La » Civilisation, souvent pressé par le temps – il ne restera que peu dans le pays – le coopérant étranger agit, d’abord, en fonction de ses propres références, sans imaginer, un seul instant, que la culture des gens du cru puisse être la valeur justement adéquate, pour supporter l’aide technique apportée. On reviendra, plus loin, sur les gâchis et (dés)illusions générés par de telles bornes. Mais, avant cela, il nous faut commencer par approfondir un tant soit peu notre perception du rapport spécifiquement mauritanien à l’environnement. Ce sera l’objet de notre prochain article, incha Allah. (A suivre)

 

Tawfiq Mansour