Les migrants damnés de la terre mauritanienne : La carte de séjour ou le parcours du combattant

18 August, 2016 - 02:19

La Mauritanie est devenue ces dernières années un interlocuteur privilégié de l’Union Européenne en dépit des reproches de certaines ONG accusant le pays d’avoir « marchandé des accords financiers » de manière à freiner la progression des candidats à la traversée et de se départir du cliché de «plaque tournante de l’immigration ».

Avec les contrôles imposés par l’Union européenne, la répression contre l’immigration illégale s’est intensifiée. Ce qui a eu des répercussions immédiates surtout  sur la vie des populations subsahariennes en Mauritanie. Alors que les forces de l’ordre interpellaient auparavant les “clandestins en flagrant délit” (au moment d’embarquer sur la pirogue), elles les arrêtent désormais en amont, à domicile, dans la rue, à l’entrée de la ville ou encore sur les principaux axes du pays.

Le rituel est quotidien. Chaque matin à la montée et le soir à la descente, Antonio Mendy et  Marcel Tendeng, peintre bissau guinéen et maçon sénégalais, établis en Mauritanie depuis respectivement 1994  et 1996 doivent se faufiler entre les ruelles du populeux quartier du cinquième arrondissement avant de rejoindre  leurs chantiers à Tevragh Zeïna, département chic de Nouakchott. Des détours à n’en pas finir pour échapper au filet des forces de l’ordre. Le chemin le plus court et le moins risqué semble être les jardins maraîchers. Il est vrai que les abords du ministère de l’Equipement et des Transports, l’ancien cinéma Saada, la cité concorde et les abords de l’usine savon sont devenus au fil des mois des lieux à haut risque pour les migrants. Non détenteurs de carte de séjour, ils contournent les postes de contrôle mobiles des forces mixtes en charge de cueillir les migrants étrangers. Le danger est permanent pour eux. Chaque jour pourrait être le dernier  à Nouakchott. « Nous n’avons pas les moyens de nous acquitter de cette carte très onéreuse. Pour compliquer davantage la situation, on nous exige encore des documents administratifs (contrat et  permis de travail ) alors que nous sommes dans l’informel. Et puis, depuis des mois, on ne délivre plus les cartes », se lamentent-ils.

Les moins chanceux sont cueillis à bord des taxis ou à la plage des pêcheurs par les brigades mobiles.

Récriminations

Traqués à tout bout de coin, à toutes  les heures de la journée, cueillis un peu partout  dans les maisons et d’autres encore  sur leur  lieu de travail, au marché, les malheureux migrants sont embarqués manu militari dans les cars. Après quelques jours de détention au centre de rétention de Bagdad à Nouakchott, ils sont expulsés aux frontières. Délits de faciès et brutalités caractérisent ces opérations qui n’épargnent pas aussi  les négro-mauritaniens obligés de présenter leurs pièces d’identité. Pendant ce temps, les migrants maghrébins ou arabes, les asiatiques ne subissent guère de tracasseries. Une politique de deux poids, deux mesures régulièrement condamnée et soulevant une levée de boucliers.

«Quotidiennement, nous subissons brimades  et intimidations. Très tôt le matin ou le soir peu avant le crépuscule, avance Dame Diop,  pêcheur, originaire de Guet Ndar, vivant depuis 1998, à Nouakchott, «la police (aidée par la gendarmerie et le groupement de sécurité routière, ndlr) procède chaque  à des opérations de rafles musclées. Ils encerclent le marché du quai des pêches, ferment les issues et arrêtent tout le monde, même ceux qui sortent de l’eau avec leurs pirogues». C’est pénible ! lâche -t-il amèrement.

Pour les Sénégalais, c’est devenu épouvantable. Réclamant des  cartes  d’identité ayant au moins 15 mois de validité, alors que le pays de la Téranga n’en confectionne plus et a décidé de proroger leur validité jusqu’en fin2016 sans en informer la partie mauritanienne, les deux centres d’enrôlement avaient rejeté plusieurs demandes de migrants sénégalais. Et  la situation s’est corsée pour ses ressortissants devant attendre 2017 pour en disposer.

 « Les conditions deviennent extrêmement difficiles. Et la situation que nous vivons ici est pathétique », se désole  Olympe Sawadogo, burkinabé, établi à Nouakchott depuis une décennie. « Cette fameuse carte de séjour ne vous donne aucune possibilité  d’accéder au marché du travail très exigu du reste. Donc, pas de boulot, pas de possibilité d’obtenir la carte de séjour (d’un coût de 30 000 Ouguiyas  soit 75 euros). Par contre, le seul droit que vous obtenez est de résider dans le pays durant un an. C’est tout ! », déplore-t-il.

C’est tout simplement aberrant de fixer ce montant à 30.000 Ouguiyas, dans un pays où le SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) est de 35.000 Ouguiya et que les salaires de certains «misérables » se situent en deçà de cette barre, s’insurgent certains mauritaniens. « A défaut de réduire le coût, si on pouvait diminuer le prix, en cas de renouvellement, ça aurait été le moindre mal », articule Fatoumata Barry, propriétaire d’un restaurant à la Médina III. Dans les meilleures conditions, il serait souhaitable que les autorités mauritaniennes assouplissent les conditions d’attribution du fameux sésame pour les étrangers, pour leur permettre d’être en règle, soutient Samuel Yeboah, coiffeur ghanéen établi, à Basra, dans la banlieue ouest de Nouakchott.

« Le montant est certes élevé, surtout pour une grande famille qui ne pourra pas s’en sortir même s’elle a la volonté d’être en règle, je pense qu’il faut revoir le montant à la baisse et surtout ne pas exiger des mineurs des paiements aussi importants. Tout cela doit faire l’objet de concertation entre la Mauritanie et les pays d’origine des migrants », préconise Blaise Dossou, enseignant béninois dans un établissement privé et vivant depuis une douzaine d’années à Nouakchott.

«Pire, charge, Moussa Cissokho, chauffeur malien, vivant à Nouakchott depuis une quinzaine d’années, nos conditions de travail et de vie se sont dégradées depuis 2012 lorsque  la Mauritanie a instauré à travers la licence des taxis, le permis vert. Depuis  lors, aucun étranger ne peut plus  exercer  ce métier sinon à ses risques et périls ».

 Dans le cadre d’une préférence nationale, la Mauritanie durcira encore sa législation dans le domaine des transports, en interdisant la circulation sur son espace de camionneurs et de véhicules de transport notamment sénégalais et maliens. En outre, la Mauritanie instaura en 2013 l’obligation du "Permis Vert".

Ce permis, délivré uniquement aux nationaux, est désormais exigé pour la conduite des véhicules de transport en commun en Mauritanie. Cette mesure suscitera une véritable levée de boucliers au sein des communautés de migrants et un point de désaccord avec les gouvernements malien et sénégalais dont les ressortissants occupaient la profession de taximen, en Mauritanie. De l’avis de Benoît Carvalho, cadre sénégalais dans une société privée et établi depuis 1994 à Nouakchott, depuis l’ instauration en mars 2012, d’une carte de séjour pour tous les étrangers vivant sur son sol, les migrants particulièrement ceux d’Afrique de l’Ouest vivent dans des conditions difficiles liées à leur circulation et à l’exercice de leurs métiers. Les migrants, malgré leur volonté manifeste de prendre les cartes de séjour,  sont confrontés à des conditions draconiennes pour le dépôt et l’obtention de la carte. « Les conditionnalités étaient jadis souples mais d’ores et déjà, il est difficile voire impossible de déposer un dossier pour l’obtention de la carte de séjour. C’est à la limite fait sciemment pour fermer la porte à ceux qui veulent être en règle vis-à-vis de la législation mauritanienne en matière d’immigration. Et du coup, les étrangers, et plus particulièrement les Sénégalais, sont traqués dans leurs lieux de travail, dans les restaurants parfois même dans leurs domiciles, raflés avec brutalité et en bafouant leurs droits. Ils sont jetés au commissariat du quartier de Bagdad devenu tristement célèbre. Et ils sont ensuite reconduits à la frontière au niveau de Rosso. Voilà la situation insoutenable  que vivent au quotidien ces étrangers subsahariens en Mauritanie. Les autorités en font trop. Et ces rafles orchestrées au quotidien occasionnent la corruption sous différentes formes. Parce que pour obtenir leur libération, les étrangers, victimes de rafles payent une rançon qui varie entre 15000 et 20000 ouguiyas. Aujourd’hui, les portes des centres d’établissement sont quasiment fermées aux étrangers désireux de se procurer la carte de séjour. C’est vraiment dommage ! On ne sait à quel saint se vouer », se plaint Cisokho.

Lifting des textes

Le lifting des textes, ajouté au contexte actuel, a permis au pays d’enclencher de nouvelles procédures. En effet, la législation mauritanienne sur l’entrée et le séjour des étrangers demeure obsolète et inadaptée au contexte actuel des migrations et à l’évolution des normes internationales ratifiées par la Mauritanie.

Ce texte, qui date de 1964, se limitait à fixer les conditions d’entrée, de séjour, d’exercice d’activités aux étrangers ainsi que les modalités de leur sortie du territoire national. La circulaire du ministère des affaires étrangères en date du 13 mai 2012, fixant les modalités d’obtention de la carte de séjour, est venu mettre à nu les failles de cette législation, tirée des lois françaises d’après indépendance.

En effet, on pouvait lire dans cette correspondance que les pouvoirs publics en Mauritanie ont décidé dans le cadre de la gestion du flux migratoire, d’organiser la régularisation de la situation de l’ensemble des étrangers résidents sur le territoire national. Cette régularisation concerne l’ensemble des étrangers, adultes et enfants, sans exception.

Pour séjourner en Mauritanie, les étrangers sont soumis donc  à une carte de résident. Cette décision considérée comme «souveraine» par certains  diplomates fut perçue comme une «  douche froide » par de nombreux ressortissants jugeant le montant fixé à 30.000 ouguiyas (75 €) de la fameuse carte de résidant «exorbitant». Pour le personnel diplomatique, une carte d’immatriculation au Ministère des affaires étrangères et un passeport en cours de validité sont exigés. Pour le personnel d’assistance technique : une lettre de demande d’établissement de carte de séjour, faite par l’administration d’emploi, un passeport en cours de validité, un contrat de bail ou une facture Somelec, Snde au nom de l’intéressé (souhaité) et une quittance de 30 Milles Ouguiyas sur place. «Ces réformes avaient aussi comme objectif, de sécuriser les frontières du pays, de lutter contre le terrorisme, le trafic de drogue, de recenser tous les nationaux et étrangers résidents en Mauritanie.»

(A suivre)

Mamadou Thiam

En collaboration avec l’Institut Panos Afrique de l’Ouest