Mauvaise gestion et gabegie: Ces maux qui nous rongent /Par Dy Ould Hasni Ould Moulaye Ismail*

18 August, 2016 - 02:26

Mauvaise gestion et gabegie, ces concepts couvrent une connotation multidimensionnelle et variée, que nous n’évoquerons pas dans cet article, compte tenu de l’exigence du moment qui se focalise sur l’aspect financier de la gabegie. La répétition des scandales financiers qui se succèdent et se ressemblent au niveau de toutes les institutions de l’Etat, ces derniers temps, constitue le mobile fondamental pour donner la priorité à cet aspect.

Les autres non moins importants certes, auront leur part, dans d’autres circonstances à savoir, les marchés gré à gré, la gestion du foncier, la distribution d’agréments de recherches minières, l’accaparement des postes sensibles de l’Administration, la recherche effrénée du gain facile etc…

Tout cela avec une célérité  qui semble annoncer, quelque part, une guerre de tranchées entre vautours qui se précipitent à récupérer leur part de l’aubaine, avant qu’il ne soit trop tard.

I/ De quoi s’agit-il ?

Décidément, il ne se passe plus de jour, sans son lot de malversations. Telle est la nouvelle devise dont nous prenons l’habitude. L’on parle aujourd’hui, du responsable de la Sonimex de Rosso, disparu pour des raisons de détournement d’un milliard, nous dit-on, et de la complicité de certains responsables, haut placés, à la Direction Générale.

Hier, du projet « Vaincre », pour une somme colossale de quelques centaines de millions. Auparavant, du trésorier et du maire de Nouadhibou qui ont été incarcérés pour 196 millions. Des trésoriers de Tidjikja et de Boutilimit qui ont connu le même sort.

Demain, certainement, ne fera pas l’exception et apportera son lot de préoccupations.

Une situation qui relance le fameux dossier des trésoriers non encore jugés, qu’ils sont en passe de rejoindre, certainement, à Bir Moghrein.

II / chronologie des faits :

Tout a commencé au dernier trimestre de l’année (2014) qui était particulièrement riche en rebondissements sur le plan de la gabegie et des détournements des deniers publics. A l’époque, les informations, révélées par certains organes de la presse écrite indépendante, et relayées par des sites électroniques, présageaient des conséquences néfastes sur la crédibilité de la gestion des affaires publiques en général, et du secteur financier, en particulier. Et cela, en dépit du slogan phare, prôné contre la gabegie.

 

A/ Le saccage des trésoreries : 

Les nouvelles sont tombées, ici et là, pour annoncer les indélicatesses là où on ne les attendait  pas.

Dans les ambassades, où les comptables du Sénégal et des Emirats furent épinglés, et le dernier déféré à la prison civile. Et l’on a  même cité les noms du premier secrétaire chez l’une,  et de  l’ambassadeur chez l’autre.

Puis, des nouvelles plus folles annoncent des trous dans une multitude de trésoreries régionales à Nouadhibou, Rosso, Boghé, R’kiz, Aioun et Sélibaby, où les estimations, par trésorerie, à défaut du milliard, atteignent les centaines de millions.

Si les auteurs de Nouadhibou, Rosso, Boghé et R’kiz ont été arrêtés et déférés, les deux comptables d’Aioun et Sélibaby ont quitté le territoire national, l’un, pour le Sénégal, et l’autre pour le Maroc, avant qu’ils ne soient rapatriés et écroués avec leurs collègues.

Le montant de la bagatelle se chiffrait à 3 milliards, 995 millions soit à peu près 4 milliards. Les chiffres avancés l éesnes d' dossier restera toujours incomplètenalement responsablespostes comme pour les extirper du ossiern’ont été, ni confirmés, ni infirmés, par une source fiable, à cause de la rétention de l’information.

Aussi, ceux de Magta Lahjar, Ould Yengé et Timbédra, sont venus renforcer le contingent, et tout ce beau monde est transféré à la prison de Bir Moghrein, où ils se trouvent actuellement, dans l’attente d’un jugement qu’il importe d’organiser d’urgence, pour éviter le pourrissement du dossier, afin de rendre une justice équitable aux accusés.

Alors, la situation est d’une extravagance tonitruante dans la mesure où les trésoreries visitées ne représentent qu’un nombre infime de celles qui existent sur le plan national. Ce qui permet d’imaginer l’ampleur des dégâts, si toutes les trésoreries seraient auditées. Imaginer qu’on se hasarde à déterminer ces dégâts par extrapolation.

Toutefois, ce dossier boite malheureusement du fait d’une entorse dont il est difficile de s’en remettre, quand les chefs hiérarchiques, au niveau de l’administration centrale, ont été démis, dans un premier temps, avant d’être remis en selle dans de nouveaux postes, comme pour les extirper du dossier, et envoyer au charbon les seuls trésoriers qui sont certes, pénalement responsables. Cette infraction laissera, pour toujours, l’instruction de ce dossier incomplète, à cause des zones d’ombre inexplorées.

B/  LA SOMELEC, SONIMEX, et autres :

a/ Somelec et autres:  

Vinrent ensuite les informations relatives à la Somelec, où le comptable central (Siège) et ceux de Rosso, Kaédi, et Kiffa sont arrêtés pour environ la coquette somme d’un milliard.

L’on ne s’attardera pas assez sur le comptable de l’école de la santé de Rosso (100 Millions) et du croissant rouge (40 Millions).

De même que du trésorier de l’armée et le commerçant à qui il a prêté quelques centaines de millions, tout comme le trésorier de la garde, la liste n’étant pas exhaustive, peut-être et pourquoi pas, les autres trésoreries et autres institutions de d’Etat sont dans des situations similaires.

b/ La Sonimex:

Et la Sonimex, dont le responsable à Rosso est porté disparu, depuis quelques semaines, laissant derrière lui un trou d’un milliard, avec la complicité de certains intouchables de la Direction Générale. Le montant est semble-t-il, beaucoup plus important que celui annoncé.

Toutefois, ce dossier inspire quelques observations:

La première est l’effet surprise, en apprenant qu’il est clôturé, une clôture qui sent la précipitation, à mon avis. Surtout que, dans les recherches et investigations sur les intrants disparus, les inspecteurs, ont découvert, « par hasard », des factures impayées, de l’ordre de 525 millions, que les concernés ont été sommés de payer. C’est classique, dans le genre d’investigations, en recherchant à déterminer la traçabilité d’évènements déterminés, l’on peut tomber sur d’autres, non recherchés, ce qui prouve un dysfonctionnement dans la gestion, surtout quand il n’y a pas de comptabilité bien tenue, en ce sens que  les écritures ne sont pas enregistrées. Il s’agit bien de « l’arbre qui cache la forêt ».

La deuxième concerne le volume des opérations. Ces opérations mobilisent plusieurs acteurs et un mouvement de va-et-vient entre la Sonimex et le milieu extérieur. Des moyens de transport (voitures, charrettes …), des manœuvres, des bénéficiaires, des boutiques ou magasins pour le dépôt des intrants ou autres denrées, des témoins à défaut de « complices », que seule la justice peut qualifier. Conditions favorables à la transparence.

La troisième porte sur la comptabilité de la Société. La découverte par « hasard » de factures de l’ordre de 525 millions, impayées, sur des clients connus qui ne rechignent pas au payement, à la première injonction, est la preuve d’une pratique acceptée, si elle n’est pas autorisée ou recommandée par la hiérarchie. Il s’agit au moins de mauvaise foi de la part des bénéficiaires de factures, qui ne se sont pas manifestés, n’eût été le hasard qui a croisé lesdites factures. L’inspection, pour sa crédibilité, doit demander à inscrire, dans son ordre de mission, les investigations, au niveau de la comptabilité centrale, celle-là qui omet de prendre en compte les demi-milliards. Grande sera probablement sa surprise.

La dernière est relative au chef d’Agence, dans la mesure où c’est lui qui est responsable des entrées et sorties des stocks, c'est-à-dire sans magasinier, sans caissier et/ou comptable, avec des responsabilités déterminées, par des fiches de postes, alors dans ce cas, sa responsabilité est pénale, et il ne cherchera certainement pas à se disculper. La question reste à savoir s’il a des complices, auquel cas, les preuves sont nécessaires (aveux, écrits témoignages etc…)

Alors, l’on craint dans ce dossier, des complicités inattendues, tant du côté des responsables publics que des hommes d’affaires, qu’il faille gérer avec beaucoup de prudence.

III/ Lecture des faits d’une gabegie généralisée:

Il reste à savoir qu’il s’agit là d’évènements dont on a eu connaissance, parce que la plupart des intéressés sont en prison depuis bientôt deux ans, ce qui n’est plus un secret, et que des cas beaucoup plus importants, en termes de volumes et de valeurs existent encore. Partant du simple principe de causalité, que je relativise d’ailleurs, qui dit que « les mêmes causes produisent les mêmes effets ».

Pourquoi avions nous dit plus haut que les détournements ont été effectués là où on ne les attendait pas?

D’abord, parce que nous avons entendu, par la voix de la plus haute autorité, à maintes reprises, que les « gabegistes » sont réduits au néant et que la lutte contre eux sévissait. Nous avions cru, et c’est somme toute normale, que des mesures spéciales, voire draconiennes, ont été mises en place en vue de renforcer celles qui existaient, et enfreindre voire empêcher, toute nouvelle démarche de malversations.

Et comble du malheur, les détournements sont faits  pour l’essentiel au trésor public, donc au Ministère des Finances, là où les verrouillages sont censés être le mieux faits.

Ensuite, ils ont concerné des sociétés d’Etat parmi les plus endettées, censées veiller scrupuleusement à leurs encaisses, la Somelec et la Sonimex, dont le contrôle interne devrait être  des plus implacables.

Enfin, même l’institution militaire n’a pas été épargnée. Où le trésorier a prêté un fond de roulement à un jeune commerçant, incarcéré avec lui et rapidement libéré. Aussi, le trésorier de la garde, s’est éclipsé,  avant de réapparaitre pour être incarcéré. Autant de malversations qui provoquent un doute sur tout. Inimaginable méthode de gestion.

Alors, n’est- il  pas  normal que le contribuable lambda se demande où est le contrôle ? Est-ce que la chose publique peut être aussi facilement détournée ? Comment des institutions peuvent- elles rester aussi longtemps sans être contrôlées ? N’est ce pas l’adage dit que la  la confiance n’exclut pas le contrôle?

Les faits sont têtus, et étant ce qu’ils sont, il y’a une responsabilité pénale certes, dont les auteurs sont connus. Mais aussi et surtout, il y’en a une qui est morale, et c’est pourquoi, nous voudrions que les responsables apprennent à assumer leurs responsabilités, au moment des faits, plutôt que de se voir démis ou remplacés. C’est tout à leur honneur.

Les directions qui  étaient en dégringolade relevaient de leur responsabilité morale. Ou se savaient-ils intouchables, et seraient, dans le pire des cas, recyclés dans de nouveaux postes, ce qui est souvent fait.

Or, c’est justement à ce niveau que le bât blesse, d’où la nécessité pour l’Etat de ne pas interférer, dans le genre de dossiers, pour aider à chaque fois, à l’émergence de la vérité.

IV/ Alors, quelle conduite tenir?

Les autorités rappellent, à chaque fois que nécessaire, que les services de l’IGE, ont permis le  recouvrement de 1,5 milliard des sommes détournées, sans précision des montants initiaux. Or, dans ce cadre, il reste toujours utile de préciser, le montant détourné, pour mesurer à sa juste valeur, l’efficacité de l’intervention de l’IGE, et apprécier les résultats réalisés.

Toujours est-il que ce chiffre précédait les derniers détournements du Trésor en 2014. D’où maigre consolation. Si l’on sait que ces détournements, à eux seuls, font, au moins, 4 à 5 fois ce montant. Et que, éventuellement, les intéressés seraient disposés à verser le tiers pour recouvrer leur liberté, comme cela a été le cas pour d’autres, jamais inquiétés.

Il est donc difficile, voire quasi impossible, d’éradiquer ce fléau, et parvenir au résultat escompté, tant que les critères appliqués ne sont pas les mêmes, pour tout le monde.

Détourner un montant, pour reverser le tiers et être libéré, avec les deux tiers, est un encouragement au détournement. C’est même une complicité tacite, et une invite pour  d’autres, à procéder de la même manière.

Privilégier certains, par des compromis et protocoles, dans la discrétion totale, est une autre forme d’encouragement. Surtout, quand ils conservent les mêmes postes, ou s’ils sont appelés à occuper d’autres, non moins importants.

Eviter à d’autres d’être cités, et ne pas connaitre le même sort que leurs collègues, est une application d’une politique injuste de deux poids, deux mesures, source de partialité dans les choix, dont la conséquence est néfaste sur le résultat qui connaitra, tout simplement, le refus de collaboration avec l’inspection.

D’où, tous les inculpés seraient prêts à aller en prison, au lieu de rendre le moindre sou, tant que la mesure n’est pas la même pour tout le monde. Car, il s’agit souvent d’un même groupe socioprofessionnel, où l’information circule avec une célérité intéressée.

Par contre, les dénoncer, est dissuasif et une démarcation de tels faits. C’est jouer l’impartialité, l’un des rôles fondamentaux et un objectif du contrôle, qui se veut pédagogique, pour en assurer l’efficacité.

 

V/ En vue de moraliser la chose publique :

En tout état de cause, tant que l’impunité règne en système de gestion, et que la sanction et la récompense ne sont pas appliquées, on ne saura mettre fin à la gabegie dans ses dimensions multiformes. L’on tournera toujours en rond, en reprenant les mêmes, et en recommençant  de manière infernale.

Et l’on assistera toujours à l’émergence, de villas et châteaux cossus, ce qui en dit long sur le niveau de la gabegie et des détournements. De même que les grosses cylindrées, dernier cri, jonchant les artères de la capitale Nord surtout, et les milliers de troupeaux de camelins, de  bovins et autres petits ruminants qui décrivent les contours de la nouvelle place sociale, des nouveaux propriétaires enrichis. En plus de l’argent qui circule à flot, sans odeur, dans ces aires nanties. De l’or, des diamants et qui sait…

Pourtant, aucun commerce florissant soit-il, ne peut justifier de telles fortunes, encore moins une carrière réussie, de salarié dans les plus grandes institutions internationales. Peut être le gain facile qui n’a pas besoin de passer par quatre chemins.

D’ailleurs, il n’est pas fortuit de voir les gens se spécialiser, chacun, dans un domaine qu’il s’est choisi, ou parce que ses prédispositions l’y ont convié, et accepter d’exercer dans un autre tout à fait différent. Question d’écourter le chemin et de s’enrichir rapidement. Il y a des pré-requis pour chacun d’entre nous, et il est absurde de se croire capable de jouer tous les rôles.

C’est pourquoi, il faut apprendre à mettre la personne qu’il faut à la place qu’il faut. Et choisir les responsables en charge de gérer parmi les personnes ayant des qualifications, le professionnalisme et la compétence de contrôler ce que font, au moins, ceux qui sont sous leur autorité. Plutôt que d’en faire une manne à distribuer sur des considérations subjectives. Noyautage de la vraie graine par l’ivraie. Politique oblige.

Aussi, est-il urgent de procéder à l’assainissement difficile, voire impossible de la chose publique, en instaurant plus de transparence, en vue de moraliser la gestion des affaires.

Pour cela trois facteurs sont nécessaires, à mon humble avis, à savoir :

Une volonté politique : Celle-là doit émaner de dirigeants déterminés, sans reproche sur le plan de l’intégrité, et peu portés à la matière;

Une impartialité totale : Agir sans parti pris, ni intérêt personnel;

Une fermeté dans les décisions: l’application de décisions fermes et courageuses suppose une indépendance de l’organe de décision.

 

 

VI / Quelques recommandations :

Toutes ces affaires devront connaitre un dénouement rapide par un jugement équitable pour les intéressés. Il faut rendre la justice, une justice équitable, c’est tout ce qu’on peut distribuer entre les gens. Et c’est tout ce à quoi, ils doivent aspirer.

En définitive, au vu de ce qui précède, aucun secteur n’est à l’abri de malversations, et l’Etat reste le premier responsable d’une telle situation. Où plusieurs facteurs réunis entrent en considération. Face à cela, des prédispositions s’imposent, auxquelles notre contribution s’inscrit à travers ces modestes conseils ou recommandations, (garde-fous), qui restent valables, aussi bien pour les comptabilités centrale et régionale du Trésor, que pour celles des établissements publics, en vue de contenir cette vague d’abus et de pillage du bien commun, à savoir :

  • Elaborer et mettre en œuvre des procédures pour toutes lesopérations et veiller à leur application, par l’assistance d’un audit permanent ;
  • Un manuel comptable qui définit les règles du jeu : (les principes comptables appliqués, la structure du plan comptable, liste des comptes et leur contenu) etc…
  • Combler le déficit de compétence par la formation accélérée et sur le tas; On ne peut pas contrôler ce qu’on ne connait pas ; (il s’agit là d’un problème crucial et structurel)
  • Procéder à un contrôle quotidien de la journée comptable (Exhaustivité de la comptabilisation, archivage justificatifs) etc…;
  • Vérifier les encaisses par des inventaires inopinés et rapprochés (Ne pas se fier aux seuls soldes comptables et/ou informatiques).

Car,  seul un système de contrôle efficace et soutenu peut enrayer de telles forfaitures.

                                                                                  *Auditeur Interne, Banque Finance

                                                                                                Agréé auprès des tribunaux