20 Septembre 2005 & 20 Septembre : Le redressement financier

30 September, 2016 - 01:38

Sous le pseudonyme que m’avait donné en 1974, le président Moktar Ould Daddah de sainte et vénérable mémoire : puisse cette mémoire être enfin contagieuse dans l’exercice aujourd’hui et demain du pouvoir politique en Mauritanie – le Calame m’a fait l’honneur de publier, de Mai 2007 à Juillet 2014, une centaine de chroniques anniversaires des principales étapes de la fondation mauritanienne à l’époque moderne. Le recueil va en être publié prochainement.

 

Je reprends maintenant ces chroniques en nous concentrant sur les années 2005 à 2010 qui sont la matrice de ce qui est actuellement vécu. Sur ordre, l’Agence mauritanienne d’information (AMI) a rendu inaccessible la mémoire de ses dépêches, de leur origine au 1er Janvier 2001 jusqu’à la date du coup perpétré le 6 Août 2008. En revanche, l’Agence France Presse (AFP) a enregistré au jour le jour la vie publique du pays. A partir de ces repères, j’interroge si nécessaire les acteurs et grands témoins des faits que je rapporte. Ces analyses montreront, je crois, la sincérité des tentatives consensuelles puis démocratiques de 2005 et de 2007, et donneront un premier bilan de la « rectification » intervenue depuis.

 

Elles paraîtront en alternance avec la publication des documents diplomatiques français sur la question puis la guerre du Sahara.

Bertrand Fessard de Foucault

 

 

 

 

 

                                  

Le soir du 20 Septembre 2005, le Premier ministre de transition, Sidi Mohamed Ould Boubacar fait, en conférence de presse, le bilan des quarante-trois premiers jours de son gouvernement. Ministre des Finances en Octobre 1990, puis Premier ministre du colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, quand celui-ci tentait en 1991-1992 de démocratiser le régime militaire et autoritaire, prévalant en Mauritanie depuis le renversement du président Moktar Ould Daddah, Sidi Mohamed Ould Boubacar a été rappelé de Paris où il était ambassadeur et nommé par la nouvelle junte militaire, le Conseil ministre pour la justice et la démocratie [i], qui vient de prendre le pouvoir (Le Calame du 9 Août 2011) : c’est donc un vétéran des questions économiques, c’est lui qui avait négocié avec le Fonds monétaire international en Avril 1992 les accords soutenant le pays moyennant une dévaluation.

 

Selon lui, la situation est « très difficile » : le précédent régime a trop engagé l’Etat, le déficit budgétaire et l’inflation sont très élevés. Le « dépassement flagrant des lois et normes internationales de gestion économique et financière… Les méthodes de gré à gré dans la passation et l’attribution des marchés publics étaient les faits marquants de cette crise économique multiforme avec les détournements et la mauvaise gestion des finances publiques assortis d’une corruption quasi-généralisée … Nous sommes en train de faire le diagnostic et le listing des deniers publics détournés en vue de restaurer l’équilibre de nos finances ». C’est donner rétrospectivement raison aux partis d’opposition à Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya : ils dénonçaient régulièrement la corruption au sommet de l’Etat et les détournements au sein d’une administration dispensée de toute transparence.

 

Au 3 Juin 2005, le déficit budgétaire atteignait 7,6% du produit national brut, et le déficit prévisionnel au 31 Décembre 2005 est de 14,7 % du P.N.B. Les services publics les plus importants sont déficitaires : l’électricité, l’eau, l’approvisionnement en produits de première nécessité « avec un endettement grave et une absence totale de perspectives de renouvellement de leurs matériels de production ». « Le prix à payer consécutivement à cette situation sera très lourd, mais les perspectives sont bonnes grâce à nos ressources minières et pétrolières notamment », estime le Premier ministre [ii]. Reste qu’avec un endettement de 80 milliards d’ouguiyas (soit 260 millions de dollars), « le pays a déjà dépensé près de deux ans de sa future production pétrolière » [iii].

 

Une inspection générale d’Etat est créée qui va être l’instrument du comité interministériel institué par la junte dès le 17 Août, et qui est chargé de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption et les détournements de toutes natures. Cette inspection « est un organe de contrôle d’Etat investi d’une mission générale et permanente de contrôle, d’investigation et d’enquête ». Il s’agit de poursuivre et punir toutes infractions à caractère économique et financier dans le fonctionnement administratif et comptable des services publics de l’Etat, des collectivités locales, des établissements publics et sociétés à capitaux publics, et enfin des organismes privés bénéficiant de concours de l’Etat. Dès la fin d’Août, deux hauts responsables de la Banque centrale ont été inculpés d’indélicatesses diverses, pour un montant cumulé de cinq millions d’euros. Pourtant, le nouveau régime n’envisage pas de procès contre les tenants de l’ancien. Pour le colonel Ely Ould Mohamed Vall, mieux vaut «  se tourner vers l’avenir, loin des règlements de comptes », même si vont être pratiqués des audits à tous les niveaux « qui n’épargneront personne et aucun domaine ». Des réformes de structure sont en gestations, ainsi le statut de la Banque centrale est réécrit par ordonnance du 12 Janvier 2007, en même temps qu’un marché de change est instauré. On renforce l’indépendance de l’institution, ses instruments d’intervention sont mieux adaptés à sa mission et ses relations avec le Gouvernement sont clarifiées.

 

En même temps, la Mauritanie adhère à l’Initiative de transparence des industries extractives (ITIE) qui avait été lancée lors du sommet mondial sur le développement durable, tenu à Johannesburg en Septembre 2002. Quoique participant à cette réunion et adoptant les résolutions qui y avaient été prises, la Mauritanie n’avait pas adhéré à cette initiative. Sidi Mohamed Ould BoubaCar estime que « l’application des principes de cette initiative permettra la transparence dans l’utilisation des revenus tirés des industries minières et extractives de la Mauritanie… ». C’est « le souci du gouvernement mauritanien de garantir la transparence totale dans l’exploitation des ressources minières et pétrolières du pays et l’emploi des ressources financières qui en sont issues ». Le Premier ministre communique que cette décision s’inscrit « dans le cadre du processus engagé au lendemain du changement du 3 août visant à bâtir un Etat de droit, à asseoir une véritable démocratie et à ancrer les bases d’une gestion économique saine et transparente ». Elle tente surtout d’assurer les investisseurs alors que se projette la mise en exploitation du puits « Chinguitty », au large de Nouakchott. Une production de 75.000 barils par jour est prévue pour des réserves estimées à plus d’un million de barils. Le 6 Octobre 2005 est créée la Société mauritanienne des hydrocarbures : elle a pour mission l’investissement, la production, le traitement et le transport du pétrole et du gaz.

 

Une semaine plus tard, le président du Conseil militaire, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, donne en conseil des ministres « des instructions fermes pour le contrôle strict des deniers publics et des finances de l’Etat ». L’ensemble des inspections générales et des instances de contrôle de gestion sont « redynamisés ».

 

Le nouveau gouverneur de la Banque centrale, Zeine Ould Zeidane s’attaque aussi à la « question des données » [iv] , formulation pudique de l’existence d’une double comptabilité qui avait conduit au début de 2004 à une quasi-rupture entre le Fonds monétaire international et la Mauritanie. En jeu, l’éligibilité la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC) et de l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM). Elle sera acquise par décision du conseil d’administration du F.M.I., le 21 Juin 2006 à la suite de consultations et de réunions d’information conclues le 9 Mai à Nouakchott [v]. Ces efforts sont vite reconnus. Le Fonds monétaire international note que « les autorités de transition, au pouvoir depuis août 2005, ont opéré une impressionnante réorientation de leur politique vers plus de transparence et de bonne gouvernance, et résolu la question des données. La révision de la plupart des données économiques et financières depuis 1992 ont confirmé que les politiques budgétaires et monétaire mises en œuvre pendant plusieurs années étaient significativement plus laxistes que les données transmises au FMI auparavant ne l’indiquaient … L’élimination des dépenses extrabudgétaires et du financement budgétaire par la banque centrale a été déterminante pour endiguer le déficit public. En conséquence, l’inflation est tombée à moins de 10 % au quatrième trimestre 2005 et les réserves officielles ont recommencé à s’accumuler. »

 

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Le 20 Septembre 2009, le général Mohamed Ould Abdel Aziz conclut le ramadan : « je saisis cette occasion pour lancer un appel aux forces vives du pays, d’une façon générale et à la jeunesse en particulier, pour qu’elles contribuent efficacement à mettre fin à la crise morale que connaît notre société et que le gouvernement affronte par les méthodes appropriées ».

 

En coïncidence, la Chine dont le vice-ministre des Affaires étrangères vient inaugurer une extension du port de Nouakchott, accorde des aides à hauteur de 12 millions d’euros, dont la moitié de dons. Le 29 à Caracas, la Mauritanie, en même temps que le Mali, le Niger, la Sierra Leone l’Afrique du sud, l’Angola et la Tanzanie, s’associent au Venezuela pour former des entreprises à capitaux mixtes chargées de « l’exploration, la prospection géologique, la production et l’installation de petites unités de transformation du minerai de fer en acier ». Le deuxième sommet Amérique du sud-Afrique enregistre aussi des accords pétroliers avec huit pays. Hugo Chaves, alors au fait de sa popularité (et des cours du pétrole) envisage la construction de raffineries en Guinée équatoriale et en Mauritanie.

 

Ainsi, la nouvelle version du régime militaire bénéficie-t-elle à son commencement de facteurs très favorables. La politique économique et financière, tant du C.M.J.D. présidée par le colonel Ely Ould Mohamed Vall que le régime démocratique incarné par le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, a, en grande partie, apuré le passif constaté au renversement de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya. En 2005, 55,5 milliards UM ont été mis ; en 2006 et en 2007, ce ne sont plus que 40 et 39,4 milliards. Les avoirs extérieurs nets négatifs en 2005 (38,9 milliards UM) sont devenus positifs en 2006 (4,6 milliards UM) et 2007 (12,4). Les crédits nets de la B.CM. à l’Etat ont sensiblement diminué, passés de 112,6 milliards à 85,4 milliards en 2006, et 87,7 milliards en 2007. Le crédit aux banques a été nul à la fin de 2005 ou quasiment en 2006 : il est de 3,6 milliards en 2007.

 

Mais le pays, quel que soit son régime politique, est vulnérable : la conjoncture internationale pèse aussitôt sur la Mauritanie. Le minerai de fer et le pétrole, qui représentent respectivement 40% et 23% des exportations totales du pays, connaissent dès 2008 une baisse marquée de leurs cours sur le marché international. En 2007, le secteur du fer représentait près de 18% du PIB global tandis que celui du pétrole pesait pour 6,5% du PIB. Les recettes budgétaires provenant des exportations de fer représentaient en 2007 près de 11,5% du total des recettes budgétaires et celles procurées par le secteur pétrolier en représentaient près de 9%. Les recettes halieutiques, prévues pour l’essentiel par des accords pluriannuels avec l’Union européenne, sont bien moins dépendantes : 17% des exportations et 22% des recettes budgétaires totales. Ce sont elles qui assurent l’excédent commercial, alors que la production pétrolière aléatoire ne couvre pas les importations énergétiques. Le budget de 2010 table sur un déficit de 3,8 % du PIB hors pétrole, au lieu de 5,3 % en 2009. Mais le taux de croissance du PIB réel hors pétrole est estimé à - 0,9 % en 2009, contre 4,1 % en 2008. La production pétrolière a continué de baisser, d’où une contraction du PIB global de l’ordre de 1 %. Les finances publiques se sont de nouveau dégradées : le déficit budgétaire de base hors pétrole est passé à 7,7 % du PIB hors pétrole en 2008, contre 2,2 % en 2007 [vi].

 

La Mauritanie va donc dépendre de la relation de son nouveau régime autoritaire avec les bailleurs de fonds, et principalement d’une réunion à prévoir au printemps de 2010 avec ceux-ci que doit organiser la Commission européenne. L’accord avec celle-ci, signé le 20 Décembre 2009, à Nouakchott, lie les aides internationales à l’approfondissement du dialogue démocratique.

Ould Kaïge

 

 

[i] - la composition des deux juntes est très différente de 2005 à 2008  - * indiquant la participation aux deux

 

2005  -  21 officiers

Président: Colonel Ely Ould Mohamed Vall;

Membres:

Colonel Abderrahmane Ould Boubacar;

Colonel Mohamed Abdel Aziz; *

Colonel Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed (El Ghazaouani) ; *

Colonel Ahmed Ould Bekrine; *

Colonel Sogho Alassane;

Médecin colonel Ghoulam Ould Mohamed;

Colonel Sidi Mohamed Ould Cheikh El Alem;

Colonel Negri Felix; *

Colonel Mohamed Ould Meguett; *

Colonel Mohamed Ould Mohamed Znagui; *

Médecin colonel Kane Hamedine;

Colonel Mohamed Ould Abdi;

Colonel Ahmed Ould Ameine;

Colonel Taleb Moustapha Ould Cheikh;

Colonel Mohamed Cheikh Ould Mohamed Lemine;

Capitaine de vaisseau Isselkou Ould Cheikh El Wely

 

2008 – 11 officiers dont  6 de la précédente junte

Président: le général Mohamed Ould Abdel Aziz *
Membres

- Le général Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed  dit El Ghazouani *  -

- Le général Felix Negré *
- Le colonel Ahmed Ould Bekrine *
- Le colonel Mohamed ould Cheikh Ould El Hadi
- Le colonel Ghoulam ould Mahmoud
- Le colonel Mohamed Ould Meguet *
- Le colonel Mohamed Ould Mohamed Znagui *
- Le colonel Dia Adama Oumar
- Le colonel Hanena Ould Sidi
- Le colonel Ahmedou Bemba Ould Baye

 

[ii] - déclaration de Sidi Mohamed Ould Boubacar en marge de la conférence de presse du colonel Ely Ould Mohamed Vall, le 8 Octobre 2005

 

[iii] - très vite, les perspectives de production d’or noir seront démenties

 

[iv] - « Concernant la fiabilisation des données, le Conseil National de la Statistique examine

depuis le 30 avril le rapport provisoire sur la révision des données historiques sur la période

1992–2004 et publiera le rapport définitif d’ici fin juin 2006. Les rapports finaux d’audits de

la BCM pour les comptes de 2003 et 2004 ont été transmis aux services du FMI, et le rapport

final pour les comptes de 2005 sera transmis avant la fin juin. La BCM continuera ses efforts

dans les prochains mois pour lever les réserves résiduelles de l’auditeur, notamment par la

réévaluation des quotas du FMI dans ses comptes et la recherche active d’accords qui

fixeront les montants des engagements de la BCM vis-à-vis de la Libye et du Koweït et ses

modalités de remboursement. Ces engagements qui avaient été inclus dans le périmètre de

l’initiative PPTE font actuellement l’objet de négociations avec les créanciers. »

Fonds monétaire international – rapport des s ervices Juin 2006. p. 49

 

[v] - ibid.  Fonds monétaire international – rapport des services Juin 2006.

 

[vi] - Banque centrale de Mauritanie et Fonds monétaire international