Samba Thiam, président des forces progressistes du changement (FPC), dans une interview exclusive: ‘’Le 3ème mandat constitue en ce moment pour l’Afrique la pomme de discorde et l’obstacle majeur à l’alternance démocratique’’

20 October, 2016 - 00:30

Le Calame: Commençons d’abord le dialogue en cours. Le président de la République y a prononcé un discours. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Samba Thiam: Il faut dire que je ne l’ai pas saisi directement, puisque le Président s’était adressé à une fraction du peuple, ignorant, comme par mépris, l’autre composante nationale. Il a fallu donc qu’il me soit traduit. La substance, semble-t-il,  est un appel au dialogue en direction de toutes les forces vives de la Nation pour éviter à la Mauritanie les affres du printemps arabe. Si telle est l’intention, elle me semble louable .Seulement, je pense que si un climat apaisé,  à travers à un train de mesures et un signal fort en direction de la classe politique  et des composantes nationales, avait  précédé ce dialogue, il aurait suscité davantage  ’enthousiasme  et rassuré…  que cette fois c’était la bonne.

 

 -Comment expliquez-vous votre invitation à participer à un dialogue alors que vous n’êtes pas reconnu comme parti ?

 -Paradoxal, n’est-ce pas ? Allez plutôt  le demander à mes vis-à-vis, que je ne saurais tout de même ne pas remercier  pour l’invitation. Une chose est sûre, le régime, par cet acte, reconnaissait  de  facto et notre  visibilité  et notre force de propositions ...

 

-Ne craignez-vous pas M. Thiam d’être roulé dans la farine en servant de caution aux petits pas vers le 3ème mandat ?

 - Nous ne serons le cheval de Troie de personne, rassurez-vous. J’ai déjà exprimé  notre position  là-dessus qui est, encore une fois, que  nous sommes résolument  opposés au 3ème mandat, car il constitue  en ce moment pour l’Afrique  la pomme de discorde et l’obstacle majeur à l’alternance démocratique ! Partout où il a été imposé,  de graves  problèmes  ont surgi. Notre pays est fragile,  nous devons avoir la sagesse de  lui éviter ce risque.

Cela étant, je ne vois pas en quoi nous serons abusés. Je pense que vous posez mal le problème … En répondant à ce dialogue, nous avons d’abord voulu rester  cohérents avec nous-mêmes, car depuis 1986, nous n’avons  cessé de réclamer un dialogue autour de  la question de l’unité. Dès l'instant où nous avons été assurés que la question qui nous importait en priorité était retenue, il aurait été inconséquent de notre part de ne pas nous impliquer  dans ce dialogue pour faire valoir nos solutions. En second lieu, si nous participons  à ce dialogue, c’est bien dans l’espoir de voir les problèmes enfin résolus; mais qu’on ne s’y trompe pas, nous ne nous sentons absolument pas  tenus à une obligation de résultats. Notre devoir, en tant que patriotes sincères, acteurs politiques conséquents,  intellectuels engagés, notre devoir, dis-je, consiste à  poser les problèmes, engager le débat  par  la confrontation d’idées et de projets, alerter l’opinion sur les dangers prévisibles du statu quo actuel ! 

Si au bout des échanges, nous arrivons à des solutions, à des résolutions positives, notre espoir sera comblé. Il appartiendrait alors  à l’exécutif, et seulement à l’exécutif, d’en assurer, ou non,  l’application. A chacun son rôle et ses responsabilités …Pour notre part,  nous  avons rempli les nôtres.

 

-Lorsque vous avez fait le choix de participer au dialogue vous n’aviez peut-être pas pris en compte les critiques  en retour ?

 - Certains parmi nous ont tenté, d’y répondre, à leur façon … Pour moi, on ne se justifie pas lorsqu’on a raison. On assume ses  choix et ses  options qui  n’incombent qu’à vous, et vous seul, et on laisse les critiques ruisseler sur la carapace ! Car, comme le  disait[a1]  E. Roosevelt,  «  if you get your head above the crowd you will be criticized’’…Elle ajoutait : “ Do  what you feel in your heart to be right, for you'll be criticized anyway. You'll be damned if you do, and damned if you don't ". So do, nous dit le bon sens ! Qu’importe donc  ces critiques …venant de l’extérieur des rangs! 

 

-Cette rumeur sur le 3e mandat reste quand même persistante.

-J’en conviens, et je crois même, pour tout dire, que le président  y  contribue  pour quelque chose, directement ou indirectement…En effet, s’il n’était pas tenté  de suivre  Kabila à la trace, pourquoi n’y  mettait-il pas le holà ? Pourquoi laissait-il le trouble s’installer ? Scénario à la  Sassou Nguesso ? Rien  ne doit  être exclu au regard du flou qui entoure les  choses…

 

-APP a décidé de suspendre sa participation au dialogue, comment appréciez-vous cela ?

-C’est une décision que nous respectons ; mais que nous saurions ne pas déplorer tant pour la forme que pour le fond. Une action en solo alors qu’on travaille en groupe qui ne diverge pas sur l’essentiel, n’est pas de nature constructive. Nous, bloc de l’opposition qui participons au dialogue, sommes guidés par une feuille de route qui seule nous engage, tout le reste est distraction. Espérons  vivement que l’APP revienne  très rapidement  à de meilleurs sentiments.

 

-Quels  bénéfices  croyez-vous avoir tiré  de  ce dialogue ?

-D’abord l’opportunité de se rencontrer, de poser frontalement la question  de l’unité, pour une fois ! Faire connaissance avec un bon nombre de mauritaniens. Ensuite et surtout avoir réussi quelque peu à briser la glace entre nous mauritaniens, avoir, enfin,  entamé la communication qui doit se poursuivre et qui demeure l’étape première dans toute résolution  de conflit  ou de problème…

En conclusion, la convergence d’idées n’est pas encore là comme souhaitée, il reste encore du chemin à faire, mais l’optimisme sur  l’avenir est permis …

Je n’ai pas évoqué le bénéfice portant sur l’image positive renforcée du parti,  ni le retournement de la situation contre l’adversaire mis en défaut, à notre avantage.

 

 D’aucuns pensent que vous êtes allés au dialogue pour monnayer votre récépissé .Que vous inspire cette réflexion ?

 -Je ne peux pas empêcher les gens de penser ce qu’ils veulent mais l’avenir  dira. Le contentieux entre les FPC et le régime se poursuit, notre dossier, pendant,  se situe actuellement au niveau de la cour suprême de laquelle nous attendons que le droit soit dit. Cela donc n’a rien à voir; il  y a l’opportunité de dialoguer qui nous a été offerte  que nous  ne pouvions  manquer, et  il y a le  dossier qui suit son cours …

 

-Comment avez – vous vécu  l’octroi de récépissés  à Dr Saad ould Louleid et à Daoud ould Ahmed Aicha ?

-Sans surprise ! Le locataire du palais ocre pris en flagrant délit d’ostracisme ou d’ethnicisme !

Pour ceux qui en doutaient, le régime vient, par cet acte, de montrer  à la face du monde sa vraie nature, son vrai visage, il vient de confirmer son choix manifeste pour une Mauritanie  exclusivement arabe.

Nos partenaires européens et américains  devront maintenant tirer la conclusion qui s’impose; un  régime qui débauche pour affaiblir l’opposition, frappe arbitrairement ses adversaires politiques, octroie à ses partisans toutes les libertés et toutes les faveurs, viole quotidiennement ses propres lois, restreint  tous les  jours la liberté d’expression, de réunion, ce régime- là n’est pas de nature à consolider la démocratie.

 

-Un ancien leader des Flam a parlé de  son appartenance  aux ‘’flam historiques ‘’, qu’est-ce à-dire ?

-C’est sans objet …

 

-Pour finir, une rumeur fait croire que vous avez été reçu par le Président Aziz. Qu'en est-il exactement?

 -Des ragots orchestrés, une manipulation grossière. Si nous l'avions été nous l'aurions rendu public. Les audiences en catimini ne nous tentent pas !

Propos recueillis par Dalay Lam

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