Mohamed Mahmoud ould Bekar, journaliste et homme politique : ‘’Le tonnerre d’applaudissements qui a suivi l’annonce d’Aziz ne pas briguer un troisième mandat mettait fin à l’embarras de tout le monde’’

10 November, 2016 - 01:12

Le Calame : Le dialogue organisé par le pouvoir vient de se terminer. Pensez vous que le pouvoir ira au bout en organisant un référendum ?

Mohamed Mahmoud ould Bekar : Le dialogue était un pari pour tous. Le régime a su en relever le défi (à travers le dialogue avec ceux qui sont venus), mais sans parvenir à nous faire surmonter le lancinant problème posé, depuis huit ans, relatif à la grande contradiction quant à l'avenir du pays et au retour à l’avant Accord de Dakar de 2008. Il a exclu d’éminences personnalités nationales fort expérimentées, quant aux méfaits des régimes militaires et ayant la légitimité politique de l'opposition, brisant leur ambition à la Présidence, à l’instar de Messaoud et Ahmed. De quoi largement justifier leur rejet radical et de principe des résultats du dialogue. Mais ce qu’a surtout révélé le dialogue, c’est l’ambition d’Aziz, le prix de sa sortie de la présidence : modification de l’hymne et du drapeau, suppression du Sénat ; en somme, l’établissement d’une Troisième République, comme s’il marchandait avec nous : l’alternance, en échange de son entrée dans l’Histoire du pays, via de grandes réformes et modifications d’importantes questions nationales. Vous évoquez la vente d’écoles, de parties du Stade Olympique et de l'Ecole de Police, la charge d'une nouvelle classe capitaliste sur les épaules du pays, l’affaiblissement de la cohésion nationale et le gigantisme de la fondation humanitaire « Rahma » ? N’oubliez donc pas la « populace » de Mauritanie, l’Aéroport, les goudrons, l’armée et les réformes constitutionnelles, bien que ces dernières placent, plus que tout autre chose, le pays au bord d'un nouveau fossé, le menaçant de profonde division interne, sur une base non pas ethnique mais régionale. Quant à la mise en œuvre des résultats du dialogue, je pense qu’Aziz n'a pas assez de légitimité pour saper le système juridique du pays, en moins de dix ans, modifier plus de trente articles de la Constitution, mettre à bas des institutions employant beaucoup de gens et modifier l'hymne, sans raison pertinente, hors des préoccupations et des exigences de toute la classe politique… tout cela en guise d’adieu ? Un changement de cette ampleur doit répondre à de réelles aspirations du peuple et de la classe politique. Il requiert, en cela, une grande légitimité qu’Aziz n’a pas, en réalité. Il peut, certes, le croire à sa portée, par la masse de ses nombreux applaudisseurs, complaisants tant qu’il détient le pouvoir, mais ce n’est pas celle-ci qui parcourt les chemins du pays tracés par les politiques et les gens instruits.  S'il décide de procéder au référendum sans impliquer l’opposition nationale, il ne garantira aucune stabilité, après son départ, et aura, en tout cas, franchi de dangereuses limites, dans l'exposition du pays au danger. J’affirme cela et le mets en garde contre les conséquences. Aziz doit respecter le pays, sa classe politique, son élite et partir dans la quiétude et la tranquillité, sans mettre les parties en confrontation.

 

- Si le référendum est organisé, comment imaginez-vous la suite du feuilleton ?

- Il est clair qu'Aziz met l’accent sur la dissolution du Sénat et de la fondation de conseils régionaux (du style : Samba a vendu des oignons et acheté des oignons). Calcul ? Car le nombre des membres des conseils et leurs budgets vont constituer un fardeau au moins aussi lourd, pour le Trésor, que ceux du Sénat : la raison profonde n’est donc pas de réduire les dépenses mais de faire exploser la Constitution, y pratiquer une brèche diversement exploitable, en cas de besoin. Dans tous les cas, la persistance d’Aziz en son approche ne garantit aucune stabilité. Sa façon de gérer les affaires, personne n’en veut, au fond de son âme. J’en veux pour preuve la réaction spontanée, qui n'a épargné aucun de ses plus proches collaborateurs, je veux dire le tonnerre d’applaudissements lorsqu’il annonça ne pas briguer un troisième mandat, comme s’il mettait fin à l’embarras de tout le monde. Il en est vraiment ainsi : Aziz n’a cessé de jeter, par-dessus bord, quiconque n’était pas accord avec lui, retenant, par-là, le souffle de l'économie et de la politique. Pas vraiment de quoi encourager les gens à continuer avec lui, comme Président. Au final, son respect de la Constitution reste le chemin obligé de la stabilité et de la réorganisation du pays, avant que celui ne rentre en crise. C’est l’intérêt commun, en fait, d'un très grand nombre de personnes de tous les milieux : militaires, politiques et sociaux...

 

Pensez-vous que l’opposition doit participer à la campagne contre le référendum et aux futures élections ?

- L'opposition doit plutôt participer aux résultats du dialogue. Les transformer, au profit de l’alternance et de la tranquillité ; couper la route à toutes les tentatives de jouer avec l'avenir du pays, en renforçant les exigences de la transparence et les conditions des élections. C’est à dire en ajoutant des améliorations, significatives, à la Commission Nationale Electorale Indépendante, par le recrutement d’assesseurs, l’obtention de l'autonomie financière, de la capacité nouvelle de contrôler et organiser le processus. Contrôler, également, les circonstances et les conditions : la neutralité de l'administration et de l'armée. Elle doit œuvrer à mettre à jour la loi sur le financement et la gestion des campagnes électorales et à l’activer professionnellement. Quand l’opposition introduira ses fortifications du processus électoral, elle arrêtera la fraude et imposera, inévitablement, l’alternance réelle car Ould Abdoul Aziz n'a de soutien absolu et automatique des gens que durant sa présence au pouvoir. S’il en a, effectivement, instrumentalisé les avantages et le système lui-même, pour servir ses objectifs et contrôler les gens, son régime s’est beaucoup affaibli, comme sa capacité à mobiliser les gens. Car il est devenu clair que les slogans de la lutte contre la corruption ne sont rien d'autre qu'un stratagème, pour dissimuler la mise en place d'une nouvelle classe d'hommes d’affaires dont certains viennent du carreau. L’opposition affirme que ces parvenus ne travaillent que dans leur seul intérêt, orientant l'économie à leur convenance. Il est clair, en tout cas, que la prétendue lutte contre la corruption est un échec lamentable. Illustration on ne peut plus patente avec l’affaire de la Sonimex dont l’architecte a été libéré, du seul fait de sa parenté avec le Président, quand les prisons regorgent de gens coupables de bien moindres irrégularités. Cette vaste intervention, dans le processus économique comme dans la marche de l'inspection et de la justice, a provoqué un mécontentement tous azimuts. La réaction est à fleur des épidermes, les acteurs ne supportent plus ce régime et ne veulent rien qui puisse suggérer sa continuité. Si l’on établit les conditions de transparence à sa sortie du pouvoir, alors Aziz perdra le soutien de beaucoup de gens. Il sera incapable d'imposer et d'installer son successeur, les possibilités de l’alternance deviendront à la portée du spectre politique. Mais il y a un effort important à déployer, en amont, un champ à labourer, par la lucidité et la souplesse politique, pour qu’Aziz devienne passé et que se dissipent les doutes sur la validité de notre démocratie, en particulier pour l'avenir. Les campagnes de boycott nous le permettront-elles ? Quelle alternative fourniront-elles, à l'opinion publique, pour gagner le défi de l’alternance ?

 

- Croyez-vous qu’Aziz est sincère dans sa volonté de pas toucher l’article 28 et de ne pas de se présenter à un troisième mandat ?

- Je pense qu’Aziz a ses propres calculs, subjectifs, qui l’ont fait revenir sur son intention de modifier les dispositions de l'article 28 de la Constitution. Mais il y a, aussi, des conditions objectives qui l’incitent à rester, et d’autres qui le poussent à partir. Ainsi le niveau de tension, interne et externe, qui résulterait de sa persistance au pouvoir ou sa tentative d’y rester, sera trop lourd, continu, pour ne pas dire exponentiel, avec un résultat incertain : voilà déjà de quoi le pousser à partir. Il y a, également, la situation économique, notamment la dette qui a sauté d’un milliard et quelque à 4,929 milliards dollars, soit 93% du revenu national. De quoi étouffer le pays, les vingt prochaines années. Il y a, encore, les graves fautes de gestion dont les conséquences commencent à se manifester. Le budget sert, désormais, deux objectifs : les salaires et le remboursement de la dette externe, sans compter la dette intérieure due aux banques et aux hommes d'affaires, dépassant les 40 milliards d’ouguiyas, contrairement à ce qu'a dit Aziz à Néma. Cette situation, dont le traitement requiert une intervention du Fonds Monétaire International, nécessite d’en accepter la douloureuse ordonnance pour traiter les déséquilibres, ce que l’Etat refuse toujours : dévaluation de l’ouguiya de 30%, pour en voir le prix de l’euro sauter à 550 ouguiyas, et privatisation des sociétés publiques et parapubliques, y compris la SNIM, sinon, ouverture de leur capital. Dans sa fuite en avant, voici le régime à doubler les impôts sur les produits de consommation courante, comme le riz et le mazout, en prélevant 200 UM par kilogramme du premier et 165 UM par litre du second, accentuant terriblement la pression sur le peuple.

Cela dit, Aziz a de quoi s’entêter à rester : pour commencer, la disparition de 20 milliards d’ouguiyas à justifier. Où sont partis les 17 milliards entrés dans le budget de l'Etat, grâce à l'envolée des prix des matières premières – de 18 et 21 $, à 172 et 180 $, la tonne, pour le fer ; de 470 $ à 1700 $ l'once, pour l’or ; de 3700 à 5700 $ la tonne, pour le cuivre ; en plus d’autres transactions : Senoussi, la pêche, l'endettement et tutti quanti, ce qui éleva, au total, les revenus du pays à près de deux milliards de dollars par an, soit presque sept fois le revenu annuel pour le régime de Maaouya. Il n'en a pas amélioré l'économie, ni les performances de l’administration, ni les salaires des fonctionnaires, ni les conditions de vie, ni les services publics – avec, notamment, la déconfiture totale du secteur des transports publics – ni la sécurité intérieure, encore moins le pouvoir d’achat ou la monnaie nationale ; à l’exception, il est vrai, de certaines routes et d’un investissement certain dans l'électricité… régulièrement coupée, cependant, à Nouakchott… et la sécurité extérieure, suite à l'accord avec Al-Qaïda. Nous n’avons pas vu ni rien entendu de supplémentaire, dans la propagande du régime car Aziz a reconnu, lui-même, le fiasco de l'enseignement, quand la santé, la justice et l'administration en sont à déclarer le leur, elles aussi, à haute voix. Les questions auxquelles il faut répondre, avec sérieux et fermeté, sont nombreuses : comment a-t-on élevé, en temps record, une nouvelle classe capitaliste dont la plupart des membres sont partis de zéro, y compris Aziz lui-même, sinon au détriment des fonds publics et des concessions qui ont coûté cher à l'Etat, neutralisant la couche qui avait accumulé l'argent au cours des soixante dernières années ? Pourquoi a-t-on vendu des immeubles publics, détenus depuis un demi-siècle, et la plupart des établissements, à des enchères organisées au profit d'une seule partie ? Ce sont des questions auxquelles seul Aziz est en mesure de répondre et, qui plus est, d’en assumer la faute, ce qui l’incite à rester en la forme ou le contenu… Dans tous les cas, l’alternance a un prix. Le pays va-t-il le payer, à savoir la stabilité et la démocratie ? Sera-t-il réglé par Aziz ou par l’opposition ? Sera-t-il partagé ? En tout état de cause, il faut fixer un prix et seuls les patriotes consentiront à se sacrifier pour le pays.

 

- Que peut faire, selon vous, l’opposition, pour contrer les plans du pouvoir ?

- L'opposition aurait dû saisir, au vol, la déclaration d’Aziz de ne pas briguer de troisième mandat, par un accueil positif, et en faire un état de fait, comme s’y sont employées les ambassades occidentales à Nouakchott. Elles ont bondi sur l'occasion et publié déclaration sur déclaration, saluant et cautionnant le pas, pour limiter Aziz par sa propre position. L’opposition aurait, également, dû fournir un effort et concéder, un peu, pour bâtir la confiance. La politique du verre plein est une grosse erreur, l’absence de souplesse une plus grande encore car Aziz ne marchera pas sur ses deux pieds, pour se livrer à ses éternels ennemis. L'opposition doit s’en convaincre et admettre qu’elle n’obtiendra pas l’alternance du seul fait qu'elle ne veut pas Aziz. Un effort politique et rationnel s’avère nécessaire et il faut, également, composer avec les craintes des grands acteurs du pays, comme l’armée, les hommes d'affaires et Ould Abdel Aziz lui-même. Le changement radical n’est pas dans l'intérêt de la Mauritanie. Il convient de la laisser se reposer, afin d'être prêt pour la transition vers la réorganisation d’un système viable, la construction de bases et la mise de chaque chose à sa place. La gestion d’Aziz a brouillé les cartes dans un désordre indicible et fait perdre les points de repère, en politique comme en économie. Nous n’en sommes donc pas à reconstruire, mais, plutôt, à offrir une opportunité de stabilité. L’urgence, c’est de faire taire la colère et les craintes de tous. Certes, l'opposition est confrontée à la privation et aux accusations arbitraires d’être antinationale. Cela ne l’empêche pas de tendre la main. Il faut briser les chaînes, détruire le mur de Berlin, entre le régime et l'opposition. Celle-ci doit donner la confiance de la sécurité à tous, sans exception, ne pas se priver de larges masses prêtes à quitter l'autre partie, pour de nombreuses raisons. Elle en a besoin, elles lui sont indispensables, pour établir la différence, mais cela demande deux conditions : avoir confiance en la capacité de gagne de l'opposition et s’orienter vers un autre mode de pensée. Voilà pourquoi l'opposition doit changer son approche et son orientation de confrontation, en se tenant entre opposition ferme et efficace et main réellement tendue pour établir, avec tous, de meilleures conditions de transparence et de possibilités d’alternance.

 

- Vous avez quitté l’APP, il n’y a pas longtemps, pour protester contre la politique de Messaoud trop souvent dans les bras d’Aziz. Les faits vous ont-ils donné raison ?

- Concernant ma démission de l’Alliance, elle n’est pas aussi compliquée : j’étais un des conseillers de Messaoud et en relation étroite avec lui. Nous avons divergé sur l'approche du dialogue. Je maintenais que le rôle de Messaoud, comme facilitateur, était indispensable, dans la situation actuelle, et que son entrée, dans le dialogue, sans le reste de l’opposition, lui faisait perdre cette important avantage et répéter le même pas de 2011, qui obtint, certes, des résultats mais n'a pas éliminé la crise ni changé l'état de tension politique. Messaoud voyait le contraire et j’ai donc quitté le parti.

 

- Si Ould Abdel Aziz ne se présente pas, en 2019, comment voyez-vous la situation ? Qui peut être, selon vous, le porte-drapeau de l’opposition ? 

- Je pense que la prochaine étape est parmi les plus difficiles pour le pays, en raison de l'absence de consensus, entre les grands blocs capables de mobiliser les masses, sur le moyen de sortir de la crise. Autrement dit, persistance des tensions et les conditions économiques pressurant le pays et annonçant une de plus en plus sévère politique d'austérité. L’Etat marche, à grands pas, vers la crise totale. Les revendications sociales commencent à jouer un rôle majeur dans la différenciation, la divergence est devenue centre essentiel, parmi les élites ; l'administration, la justice et le capital ont connu un grand recul, dans leur rôle national ; l'Etat a vu s’étendre la corruption dont le prix sera payé par tous les installations et institutions : armée, banques, climat des affaires ; revenu futur, donc. Nous avons besoin d’une personne et non pas d’un bloc ou d’une partie donnée ; quelqu'un nanti d’une vision, ayant accumulé une grande expérience dans le domaine de la gestion et du commandement, accordant une grande confiance à la spécialisation, à la connaissance, à la gestion, à l’administration, aux prérogatives et à la démocratie et ne manifestant aucune hostilité envers une quelconque partie. Une personne qui a maintenu un degré de pondération, vis-à-vis de tous. Je pense, également, qu'il doit être un acteur de l’opposition actuelle, pour que celle-ci vote pour lui. Telle n’est pas la seule incarnation de l’alternance mais la personne œuvrant à rendre chacun capable de concevoir les solutions, réduire l'écart entre les acteurs, combler le trou, béant, creusé par la gestion passée et susciter un climat où les organes et les institutions de l'Etat puissent fonctionner efficacement, conformément à la loi. De cette difficile responsabilité, je n‘en vois digne, personnellement, que monsieur Sidi Mohamed ould Boubacar.

 

Propos recueillis par AOC