Procès des abolitionnistes : Verdict variablement clément

24 November, 2016 - 01:54

Reculade, suite aux plaintes déposées, en France, à l’encontre des tortionnaires des cadres et militants de IRA, aux pressions internationales et au lobbying, sans précédent, du président d’IRA et des organisations de droits humains ? Volonté de décrispation de la scène nationale ou indépendance de la justice ? On se perdrait en conjectures, suite au verdict plutôt clément. Pour nombre d’observateurs, le régime veut désamorcer la bombe des abolitionnistes et couper l’herbe sous les pieds de leur tête de pont, Biram Dah Abeïd, contraint, depuis Août dernier, à un exil forcé.

Le fait est que la Cour d’appel de Zouérate en a surpris plus d’un, vendredi 18 Novembre, en prononçant son verdict. Elle n’a pas suivi le procureur qui requérait une peine de 20 ans à l’encontre des cadres et militants d’IRA, les déclarant coupables de « rébellion, usage de la violence, attaque contre les pouvoirs publics, attroupement armé et appartenance à une organisation non reconnue ». Ousmane Lô, Mohamed Daty, Ousmane Anne, Ahmed Mohamed Jaroullah, condamnés, en première instance, à trois ans de prison, ainsi que Jemal Samba, condamné à 15 ans, ont été, purement et simplement, relaxés. Le troisième vice-président d’IRA, Amadou Tidjane Diop, condamné, également, à 15 ans de réclusion, écope, lui, d’une peine d’un an dont 4 mois fermes ; Moussa Biram, dit Pape, et Abdallahi Maatalla Saleck, dit Vieux, sont condamnés à 3 ans, dont deux ans fermes, alors que la Cour criminelle de Nouakchott-Ouest leur en avait infligé quinze. Abdallahi Abou Diop est condamné à un an de prison dont six mois fermes. Condamnés en première instance à cinq ans de réclusion, Balla Touré, Hamdy ould Lehbouss, Ahmed, Hamdy Hamar Fall et Khattry ould Rahel écopent d’un an d’emprisonnement dont quatre mois fermes. Tous sont accusés d’« appartenance à une association non reconnue » et devront s’acquitter d’une amende de 50.000 UM.

 Mais la sévérité n’en était pas moins de mise. La Cour n’a pas été tendre à l’égard des sept habitants du squat Bouamatou. La plupart s’étaient vus infliger, en première instance, des peines de quinze à trois ans.  Ils devront en purger cinq à trois ans dont deux ans fermes, pour « rébellion et résistance à l'autorité pendant l’exercice de sa fonction », et sont sommés de verser 16,5 millions ouguiyas, en guise de dommages et intérêts, au ministère de l’Intérieur, et 1 million 87 000 ouguiyas, aux dix-neuf policiers blessés lors des échauffourées.

 

Requalification des faits en délit

Selon maître Bah ould Mbareck, un des avocats de la défense, « la Cour a corrigé une erreur commise, en première instance, et requalifié les faits en délits, et non plus en crimes, a contrario de la première instance, ne retenant, contre nos clients, que l’appartenance à une organisation non reconnue. C’est très positif », s'est-il félicité, mais nous continuons à penser que tous sont innocents », précisant que la défense envisageait de se « pourvoir en cassation, surtout en ce qui concerne les personnes condamnées pour leur appartenance à une organisation non autorisée ».

Commentant la décision, le professeur Lô Gourmo, avocat au barreau de Nouakchott et vice-président de l’Union des Forces de Progrès (UFP), écrit : « La libération, par la Cour d’appel, de dix des membres présumés d'IRA est un pas en avant vers un peu plus de justice. Il ne sera complet que si tous les autres sont acquittés du chef des accusations fallacieuses portées, contre eux, et si toute la lumière est faite sur les traitements inhumains et dégradants qu'ils ont subis, dans les geôles du pouvoir ».

Il n’en reste pas moins que le verdict de la Cour d’appel tranche, et de loin, avec celui rendu, en Août dernier, par la Cour criminelle de Nouakchott-Ouest, dans un contexte trouble, faisant dire, à certains que cette juridiction avait cédé aux pressions de l’Exécutif qui avait déjà envoyé les prévenus à la guillotine, bien aidés, en cela, par le battage médiatique et une féroce répression policière contre les militants abolitionnistes. « Il faut cesser d'instrumentaliser la justice ; cesser de faire, des juges, de simples agents d'exécution de la volonté politique du gouvernant du jour ; cesser de faire, des décisions de justice, de simples échos des vœux d'une opinion préfabriquée. L'honneur des juges et de la justice est dans leur indépendance, dans le courage de dire le droit, rien que le droit, en leur âme et conscience. Il faut libérer les prisonniers politiques d'IRA, objet de sévices et de traitements inacceptables, ainsi que tous les prisonniers d'opinion, sans exception ; et remettre la justice sur ses pieds », plaide maître Lô sur sa page Facebook. Affaire à suivre avec attention…

 

Thiam Mamadou

 

 

Encadré

Réactions

Le secrétaire aux relations extérieures de IRA Mauritanie, Balla Touré, s’est confié, en exclusivité, au Calame : « Notre libération est intervenue à l’issue de deux procès. En Août dernier, la Cour criminelle nous avait condamnés à des peines très lourdes. Certains de nos compagnons écopaient de 15 ans de réclusion. Le procès en appel, devant la Cour de Nouadhibou siégeant à Zouérate, nous a offert la possibilité de nous défendre et a permis, à nos avocats, de plaider de manière professionnelle. Ce fut une occasion, pour nous, de démontrer, de manière claire et précise, que nous n’avions rien à nous reprocher et nous avions tenu à réitérer notre fierté, notre militantisme. Nous avons, aussi, renouvelé, devant cette juridiction, que nous n’avions rien à voir, ni de près, ni de loin, avec les événements du 29 Juin. Grâce à Dieu, nous avons été entendus, même si nous notons certains abus, avec la condamnation de trois de nos compagnons. Nous pensons que ce qui est valable pour nous l’est autant pour eux. Ils sont innocents et devront rapidement recouvrer la liberté. C’est dans cette optique que nos avocats vont interjeter appel en cassation, devant la Cour suprême qui devra se pencher sur cette affaire. Nous avons grand espoir que Moussa Biram, dit Pape, Abdallahi Matalla Saleck, dit Vieux, et Abdallahi Abou Diop vont, bientôt Incha Allahou, nous rejoindre […].

Nous poursuivrons de plus belle notre combat militant contre l’esclavage, le racisme et les injustices criantes. En dépit de la longue période de détention de l’écrasante majorité de notre bureau exécutif qui s’est retrouvé, du jour au lendemain, derrière les barreaux, et le coup, très fort, que le pouvoir a voulu nous asséner, en tentant de décapiter notre mouvement, notre militantisme n’a point été affecté. Espérer le contraire, c’est mal connaître le mouvement IRA. Mais, si nous ne sommes point affectés, dans notre détermination, nous avons été blessés, dans notre chair et notre âme. Nous restons toutefois debout. En dépit du chef d’inculpation [NDLR : appartenance à une organisation non reconnue] toujours retenu à notre encontre, nous continuerons à mener notre activisme, au sein d’IRA, à combattre, de façon soutenue, l’esclavage et le racisme. Les autorités doivent donc se préparer à nous arrêter prochainement, si elles persévèrent à ne point reconnaître notre organisation ».

 

Hamidou Baba Kane, président du MPR : « Le verdict tombé, le vendredi 18 Novembre 2016, laisse un goût d'inachevé, même s'il faut se féliciter de la libération de certains détenus politiques d’IRA qui n'auraient jamais dû être embastillés. L'exigence de liberté reste fondamentale, pour ceux qui sont encore arbitrairement détenus et la lumière doit être faite, sur les tortures et formes dégradantes subies par les militants des droits de l'Homme. Une demi-justice ne peut pas gommer l'injustice ! »

 

 

Amnesty International

Voici la réaction de Kiné Fatim Diop, chargée de campagne pour l'Afrique de l'Ouest à Amnesty International : « La libération des trois militants anti-esclavagistes, qui avaient été injustement condamnés à des peines allant jusqu'à quinze ans d'emprisonnement, pour avoir exprimé, pacifiquement, leurs opinions, est un grand soulagement pour les personnes arrêtées arbitrairement, leurs familles et tous ceux qui ont fait campagne pour mettre fin à la répression violente des défenseurs des droits humains en Mauritanie.

Toutefois, le fait que la Cour n'ait pas acquitté dix d'entre eux, dont trois qui vont rester en prison, représente un signe inquiétant du rétrécissement de l'espace dont disposent les organisations de la Société civile et les personnes qui défendent les droits humains en Mauritanie. Il est aussi consternant que la décision du tribunal ait ignoré les allégations de torture formulées par les accusés et qu'aucune enquête n'ait encore été ouverte.

Les autorités doivent reconnaître, explicitement, la légitimité de toutes les organisations qui travaillent à mettre fin à l'esclavage et la discrimination, y compris l'Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA), tout en s'assurant que la justice ne soit pas utilisée contre ceux qui défendent les droits humains ».