Thèses et interrogations pour une histoire réconciliée de la Mauritanie (suite)

9 February, 2017 - 00:19

Suite et fin de cette réflexion sur l’ensemble de l’histoire nationale en forme de synthèses mais aussi de questions. – Celles-ci sont ouvertes au dialogue des lecteurs : b.fdef@wanadoo.fr  ou aux bons soins du journal qui transmettra.

 

1 – Une fondation pérenne                                          p. 1  - publ. Le Calame 23 Novembre 2016

 

2 – Les coups militaires comme rythme national      p. 10  - publ. Le Calame 30 Novembre 2016

 

3 – La démocratie mauritanienne                               p. 15  - publ. Le Calame 21 Décembre 2016

 

 

 

 

IV – Le rôle des partis politiques

 

 

Dans la succession des régimes militaires – en fait de simple autorité despotique d’une seule personne – l’actuel est le plus caractéristique. Comme le tout premier, il est issu d’un renversement d’un ordre légal, d’une légitimité universellement reconnue à laquelle se substitue une « rectification ». La seule progression qu’enregistre le pays depuis 1978 est le camouflage en façade démocratique et en Etat de droit, de cette dictature. Le camouflage est efficace et en 2008-2009, les partenaires de la Mauritanie et les institutions internationales dont elle fait partie y ont contribué. Le président démocratiquement élu a été contraint à l’abdication pour que puisse s’ouvrir légalement une campagne présidentielle très anticipée. Boycott, abstention participation ont un seul résultat, le tenant du pouvoir est chaque fois réélu au premier tour. Dans l’intervalle, des assemblées sans mandat mais faisant office d’instances de concertation nationale, modifient les calendriers électoraux et même les institutions. La façade est sauve, la presse indépendante existe et la législation anti-esclavagiste est renforcée. La courbe de progression dans la révérence apparente pour la démocratie se confond avec celle de la corruption, puisque sous les précédentes dictatures – relativement collégiales pendant les douze premières années, celles des comités – le chef de l’Etat demeurait personnellement en dehors des systèmes. Ce n’est manifestement plus le cas.

L’issue violente ou organisée au sein de la seule hiérarchie militaire, ou à l’improviste par une unité plus entreprenante ou mieux équipée que les autres, ne peut pas se prévoir, même si en théorie c’est la seule forme d’extinction du pouvoir actuel, la formule Poutine d’un homme de paille gardant la place pendant un mandat pour à la lettre respecter une Constitution n’acceptant la perpétuation, semble peu adaptée au pays.

 

Ni alternance, ni participation

 

Le jeu actuel des partis, tel qu’il s’est aussitôt développé à partir du referendum de Juillet 1991, n’a permis ni l’alternance au pouvoir – idée d’importation européenne – ni la participation générale de toutes les forces du pays à l’exercice du pouvoir. Les deux sont d’ailleurs déniées et raillées par le général Mohamed Ould Abdel Aziz.

 

La réalité n’est plus décrite par les institutions. Elle le fut pendant la période fondatrice, même et surtout quand se créa, à partir de la  fusion des partis et mouvements politiques, existant, un unique parti. C’était le fruit de la volonté générale tant populaire qu’exprimée par les élites politiques. La constitutionnalisation de ce parti, quatre ans après, ne fut pas tant un empêchement opposé à des adversaires cherchant leur instrument, qu’un acte délibéré de sincérité. Le parti unique de l’Etat était bel et bien décrit par les institutions constitutionnelles, administratives, judiciaires. Mais à mesure que le parti élargissait son emprise légale aux forces armées et au mouvement syndical notamment, le partage du pouvoir était aussi régulièrement et répétitivement proposé aux opposants ou aux nouvelles générations qu’avant l’indépendance, le pouvoir en place en avait appelé à l’unité et dès la formation du premier gouvernement – issu de la Loi-cadre métropolitaine – cet appel s’était accompagné par la participation d’opposants à ce premier conseil.

 

Pour revenir enfin à la sincérité après tant d’années de dictature et donc de mensonge sur la réalité institutionnelle et spirituelle de la vie politique nationale, il me paraît que la leçon d’efficacité et de franchise du parti unique de l’Etat peut se transposer aujourd’hui dans l’organisation de l’opposition civile.

 

Le parti unique de l’opposition manifesterait ce que les coalitions et les fronts de vingt-cinq ans d’impuissance n’ont pu prouver ni au peuple mauritanien ni aux opinions étrangères. Un discours unique, un chef unique, des instruments de commentaire, de suivi et d’analyses publics uniques. Une fusion donc, telle que tout mouvement ou personnage politique qui n’en ferait pas partie, ne représenteraient qu’eux-mêmes dans toute relation avec le système et le pouvoir en place.

 

Un tel parti, d’ailleurs, par le seul fait qu’il est unique, confirmerait ce que doit être un parti en Mauritanie. Le modèle européen ou le modèle anglo-saxon ne serait transposable que s’il y avait des alternatives réelles de programmes et de décisions. La mise en œuvre des capacités du pays, l’éducation nationale compte tenu des options linguistiques, la rééducation des élites au sens de l’Etat, l’éradication du clientélisme passé du régionalisme ou des collectivités traditionnelles aux positions les plus élevées dans les institutions modernes ne se prêtent pas à des alternatives mais appellent au contraire l’unité la plus large possible et l’encadrement militant le plus universel possible. C’est précisément, cette combinaison de l’appel à la militance, la recherche tenace de la participation active à la vie civique nationale avec l’unité de tous les mouvements politiques, l’oubli de décennies de rivalités personnelles si marquées qui peut changer la nature de la vie politique.

 

 

Passivité populaire

 

Pourr l’heure – autant qu’un étranger, même très sympathisant et aussi informé des évolutions sur place par beaucoup de ses compatriotes d’adoption puisse en juger – le pouvoir et ses opposants concourent ensemble à la passivité populaire, à une certaine mendicité même tant, dans beaucoup d’endroits manque l’essentiel pour la santé, pour l’éducation, pour l’agricuture la plus rudimentaire.

 

L’urgente pour la majorité des Mauritaniens n’est pas la chute d’un régime ou d’un autre, mais l’amélioration de leurs conditions de vie élémentaires. Le lien fonctionnel entre la mise en exploitation ou en réexploitation des ressources de base du pays : son sous-sol, son espace économique maritime, et les cultures dans la vallée du Fleuve, dans l’Aftout, dans les oasis n’est toujours pas noué, soixante ans après la fin d’un régime d’adlminusration étrangère qui n’avait pas du tout les mêmes fins. Le lien n’est toujours pas noué entre les cultures locales, traditionnelles, les historiographies orales et l’université de Nouakchott. Le dualisme pouvoir/opposition est moins choquant et nocif que l’absence de communication et d’entrainement mutuel entre la culture nouvelle et la culture ancestrale.

 

Un gouvernement même démocratique ne pourrait y remédier s’il ne disposait pas d’un mouvement politique suscitant en profondeur et directement les Mauritaniens où qu’ils se trouvent et quels que soient leurs lieux et moyens d’existence. Les partis politiques doivent bien plus que s’unir, ils doivent créer ensemble un mouvement d’une autre nature que le classique mouvement représentant tel type d’intérêts ou telles convictions.

 

Le pouvoir n’a pas su créer un parti recevant l’apport des adhésions populaires. L’opposition, tant qu’elle est fragmentée, n’est plus créative. Mais si, pour animer les populations, elle suppléait à un Etat rongé par la corruption et l’arbitraire, elle prendrait déjà en charge de grandes parties du pays, dans sa vie quotidienne, dans son besoin d’être organisé en dehors de tous clivages politique, et périmerait à ses racines le pouvoir en place. Et quand le système actuel s’effondrera, d’une certaine manière l’emprise de la politique sur les populations aurait déjà changé d’instigateur.

 

Cette invention d’un autre modèle de parti et cette ambition d’une autre sorte de vie politique totalement dédiée au développement local avant que ce devienne la généralité du pays, me paraissent les substituts progressifs d’une démocratie mauritanienne aux mœurs politiques incapables de répondre aux vœux et aux nécessités du grand nombre.

 

 

Berttrand Fessard de Foucault