Dr Cheikh Ould Hanana, sénateur, président du comité suivi au sénat: ‘’Les résultats du dialogue n’ont pas convaincu les sénateurs et ne s’imposent pas à eux, s’ils ne sont pas conformes à leur conviction’’

27 April, 2017 - 01:19

Le Calame : Comment avez –vous accueilli la  décision du président  de la République qui, après le rejet par le sénat, des amendements constitutionnels a décidé de passer outre, et donc d’en appeler au peuple souverain, à travers un référendum,  pour « arbitrer »?

 

Dr. Cheikh Ould Hanana : D’abord, permettez-moi de vous remercier pour m’avoir donné l’opportunité de parler, à nouveau, d’un sujet particulièrement important pour notre pays et son avenir.

S’agissant de votre question, je peux vous dire que les sénateurs auraient bien souhaité que le Président de la République prenne en considération le vote du sénat qui, ne l’oublions pas, est aussi le vote du parlement et du peuple souverain, représenté par ses élus à la Chambre Haute.

 

-Au cours de sa prestation télévisée du 22 mars, le président a laissé entendre que 33 sénateurs ne peuvent pas bloquer le processus référendaire, parce qu’il ya en face, une majorité de  121 députés  et  les dialoguistes  qui ont recommandé la modification de la constitution pour faire adopter les  amendements constitutionnels. Comprenez-vous sa colère ?

-La référence aux chiffres n’est pas importante en soi, car 33 sénateurs représentent aussi 33 Moughataa. Ceci étant, les sénateurs n’ont fait qu’exprimer leur opinion, conformément à la Constitution.

Les résultats du dialogue n’ont pas convaincu les sénateurs et ne s’imposent pas à eux, s’ils ne sont pas conformes à leur conviction ou à ce qu’ils pensent être l’intérêt général.

 

 Le rejet du sénat, avec des élus de la  majorité présidentielle,  fut une grosse surprise au sommet de l’Etat. Avez-vous reçu, comme le font croire les rumeurs,  des menaces  ou des  sanctions de la part du gouvernement?  Si oui, comment elles se sont manifestées?

- Non, nous n’avons pas été l’objet de pressions, ni de menaces dans l’exercice de notre travail de parlementaire.

 

-Quelques  semaines avant le vote, le sénat avait publié un communiqué dans lequel il réaffirmait son soutien à la décision du président de procéder à la suppression du Sénat. Mieux, les élus que vous êtes ont été reçus  individuellement et collectivement  par le président de la République. Des infos relayées par la presse ont laissé croire que les honorables sénateurs ont reçu des terrains du gouvernement etc. Que s’est-il passé, après,  pour que des sénateurs de la majorité votent contre un texte présenté par leur gouvernement ?

- D’abord, je ne suis pas au courant de ce communiqué. En revanche, nous avons publié un communiqué dans lequel nous exprimons notre position par rapport aux amendements proposés par le dialogue et dans lequel nous avons cité trois préalables pour une éventuelle modification de la constitution à savoir la pertinence et l’opportunité de ces changements, l’existence d’un consensus et enfin le respect des règles définies par la Constitution.

Pour ce qui est des terrains attribués aux sénateurs, je ne vois pas personnellement leur lien avec le vote des sénateurs.

 

-Que reprochent les 33 sénateurs  au texte  du gouvernement ? Avez-vous voté contre pour, comme  vous reprochent certains,  ne pas perdre vos privilèges, ou comme vous le dites,  pour « défendre la Constitution »  ou parce que, à votre avis, ces amendements ne constituent point la priorité  de la majorité des mauritaniens? Et depuis, comment vous regardent vos collègues de la majorité ayant approuvé les amendements constitutionnels ?

-Le Sénat a rejeté les amendements proposés parce qu’ils ne constituent pas des priorités pour le pays à l’heure actuelle et peuvent avoir un effet négatif sur la stabilité et la cohésion nationales. Par ailleurs, nous pensons que le Sénat joue un rôle important dans l’équilibre des pouvoirs dont notre démocratie a toujours besoin.

 

-Que répondez-vous à ceux qui, au niveau de la majorité vous suspectent d’avoir  été approchés par l’opposition aussi bien interne que celle en exil?

-Les sénateurs qui font partie de la majorité n’ont aucun rapport, ni avec l’opposition à l’intérieur du pays, ni avec celle établie à l’étranger. Pourquoi  ne pas comprendre qu’il puisse y avoir des divergences au sein de notre parti comme dans les autres partis politiques ?

 

-Le président justifie sa décision d’organiser un référendum  en invoquant l’article 38 de la Constitution. Cela ne vous convainc visiblement pas ? Pour quelles raisons ?

- Le parlement a rejeté les amendements proposés, nous pensons à cet égard que la procédure de la révision devait s’arrêter à ce stade, eu égard aux règles constitutionnelles définies pour la révision de la Constitution. Le recours à l’article 38 ne nous semble pas, en tous les cas, adapté à cette situation.

  

-Au lendemain de vote négatif du sénat, vous avez mis en place un comité de suivi. Vous  comptez même  approcher  vos  collègues de l’Assemblée nationale  pour  élargir votre action. Quelle est la mission de comité ? Qu’attendez-vous des députés qui ont voté en majorité le texte que vous avez vous-mêmes rejeté ? Jusqu’où êtes prêts  à aller dans le bras de fer qui vous oppose à votre propre majorité ?

- Je vous rappelle que le Comité de suivi a été mis en place à la suite de la campagne de dénigrement que le gouvernement et les délégations du Parti  (UPR, NDLR) ont mené contre les sénateurs. Toutefois, il n’y a pas, à proprement parler, un bras de fer entre les sénateurs et leur majorité ;  il s’agit purement et simplement d’une divergence de points de vue sur une question bien précise.

 

 

-Ce comité pourrait-il travailler avec l’opposition  (FNDU et RFD) pour "barrer la route à l’agenda du gouvernement" ? Concrètement que fera le comité pendant la campagne référendaire ?

-Comme je l’ai dit précédemment, nous sommes partie intégrante de la majorité mais nous souhaitons, dans l’intérêt du pays et de sa stabilité, qu’il n’y ait pas de référendum et que cette procédure soit simplement suspendue, ce qui est par ailleurs conforme à la Constitution.

  

-Que vous inspire ce qui vient de passer au Bénin où après avoir été désapprouvé par les députés, le président  Patrice Talon,  a décidé de retirer son texte,  dont l’objectif était justement de modifier la Constitution afin d’y introduire, entre autres amendements, un mandat unique de 7 ans ?

- Nous pensons que le vote des représentants du peuple doit être respecté dans tous les cas et c’est cela qui est de nature à renforcer la démocratie.

 

Propos recueillis par Dalay Lam