10 Mai 2006 & 10 Mai 2009 : La transition démocratique de l’été 2005 fait la lumière en tous domaines & Discussion du calendrier électoral décrété par les putschistes de l’été 2008

11 May, 2017 - 02:14

Cette chronique anniversaire est dédiée à la mémoire d'Ely Ould Mohamed Vall. Le rappel ci-dessous de ses interventions en tournée à l'intérieur du pays, pendant le printemps de 2006, atteste qu'il a été le grand précurseur de la démocratie mauritanienne, parmi ses pairs militaires. Dieu veuille qu'il soit leur exemple. Intelligence, culture et sens du pays le convertirent à la seule forme de gouvernement vraiment humaine : le respect mutuel, le respect des engagements, le respect des textes. 

Dans un  prochain numéro du journal, j'évoquerai la mémoire de nos entretiens tête-à-tête pendant ce même printemps de 2006. BFF

 

 

 

 

Le 10 Mai 2006, Sidi Yeslem Ould Amar Cheine, directeur de la Promotion de la démocratie au ministère de l’Intérieur, donne les résultats du recensement administratif à vocation électorale[i], tel qu’il a été mené avec le concours en matériel, en logiciel et en expertises diverses de plusieurs organisations internationales. Quoiqu’un « travail de correction et de mise à jour » reste encore à terminer, l’électorat national peut s’estimer à 1.013.900. Les doubles enregistrements dans certaines circonscriptions ne sont pas nombreux. Le calendrier peut donc être tenu : referendum constitutionnel le 25 Juin, élections municipales et législatives à l’automne, sénatoriales en Janvier 2007 et présidentielles enfin en Mars.

 

Cette transparence et la précision des échéances, définies consensuellement pendant les journées de concertations dès Octobre 2005, engendrent un climat politique tel que le pays n’en avait sans doute plus connu depuis les dernières années d’exercice du pouvoir par Moktar Ould Daddah, avant que ne soit subie la guerre du Sahara. Rentrant d’une tournée dans l’intérieur du pays, l’ambassadeur des Etats-Unis, Joseph LeBaron, donne le 11 Mai un long entretien à Radio-Mauritanie. Pour lui [ii], pas de doute, il a suivi ce recensement électoral, et la Mauritanie « va réaliser le pari de devenir un modèle de démocratie dans la zone, dans le monde arabe et au Maghreb ». Le soutien américain aux nouvelles autorités et au processus engagé avait jusque là fait défaut, et aux premières heures du coup du 3 Août 2005, Washington avait demandé le retour au pouvoir du colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya.

 

Une dissidence de ceux des F.L.A.M. qui « veulent participer à la construction d’une Mauritanie démocratique capable de prendre en charge les problèmes de tous ses fils » s’est produite en Février : F.L.A.M.-Rénovation. Le 10 Mai Mamadou Bocar Ba, président du mouvement, rend compte publiquement de son entretien, le 5 précédent, avec le colonel Ely Ould Mohamed Vall, président du Conseil militaire pour la Justice et la Démocratie : il réclame un « début de solution » à la question des déportés et réfugiés pendant les massacres inter-ethniques d’Avril 1989, perpétrés au Sénégal puis en Mauritanie. Mais les militaires préfèrent que le dossier soit ouvert et traité par les autorités nouvelles qui seront en place à l’issue du processus démocratique. Une campagne commence néanmoins dans toute la Vallée du Fleuve, tendant à expliquer ce retour au pays d’un mouvement jusque-là clandestin et elle porte ses fruits puisque discourant le 12 Mai à Sélibaby, en rassemblement populaire, le président du C.M.J.D. affirme que « ce problème concerne tous les Mauritaniens et non des groupuscules, des ethnies ou des tribus … Nous allons tous ensemble lui trouver des solutions nationales qui ne sont pas celles des autres, mais qui seront celles de tous les Mauritaniens » [iii]. A Kaédi, Ely Ould Mohamed Vall élargit le débat puisqu’il y ajoute le « passif humanitaire » et les massacres dans l’armée-même en 1990-1991 prétextés par une tentative de coup militaire par les Peuhls et les Toucouleurs en tant que tels. Tout peut se résoudre « dans le sens du pardon, de l’acceptation mutuelle et de la discussion » [iv]. Ainsi fusionnent les campagnes de réconciliation nationale et celle pour le oui au referendum constitutionnel : pas plus de deux mandats présidentiels consécutifs, limite d’âge à 75 ans, notamment. Mais les F.L.A.M. d’origine appellent au contraire au boycott [v], tandis que de Dakar, toujours le même 10 Mai, l’O.N.G. S.O.S. Esclaves [vi] communique que « l’esclavage traditionnel demeure une réalité importante, en Mauritanie, en dépit de l’abolition de 1981 (et que) la justice offre peu de protection, sinon aucune, aux citoyens d’ascendance servile. La transition démocratique n’apporte pour l’instant aucune réponse à de telles préoccupations ». Mais le problème a été publiquement reconnu «  au cours d’une journée de débats entre la société civile, les religieux et le gouvernement », tenue à Nouakchott le 24 Mars [vii], mais « les actes induits de cette reconnaissance tardent à prendre effet ». Deux « affaires de servitude de naissance » portées à l’attention des nouvelles autorités n’ont pas fait l’objet de poursuites, selon l’O.N.G.. Pour l’observateur étranger, « pratiqué depuis des siècles en Mauritanie, l’esclavage est traditionnellement de type domestique dans la société maure et intégré aux systèmes de castes chez les négro-mauritaniens, mais il n’a jamais fait l’objet d’estimations chiffrées ».

 

C’est le gouvernement démocratique, issue de l’élection présidentielle de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallah le 25 Mars 2007, qui s’attaque vraiment au fond à ces trois plaies mauritaniennes : le sort et le retour des réfugiés et déportés du printemps de 1989, le terrible « passif humanitaire » des « années de braise » qui suivirent en 1990-1991, la persistance des pratiques esclavagistes, enfin criminalisée. Le retour des militaires au pouvoir le 6 Août 2008, malgré les promesses de la junte du 3 Août 2005, a remis en suspens le règlement de ces questions, malgré d’imposantes manifestations nationales.

 

Le changement politique ouvre également des contentieux rétrospectifs.  Woodside Petroleum, premier producteur australien de gaz et de pétrole, mais détenue à 34% par Royal Dutch Shell, et à qui le champ de Chinguetti a été accordé par le régime précédent, est soupçonnée de corruption, non seulement pendant cette époque à l’occasion d’avenants aux contrats initiaux, mais aussi pour le règlement d’un « bonus » de cent millions de dollars aux nouvelles autorités, convenu depuis le 30 Mars précédent. En contrepartie, le C.M.J.D. venait d’amnistier «  tous les faits qui ont entouré la signature de ces avenants », et de libérer l’ancien ministre du Pétrole : Zeidane Ould Hmeida, d’abord inculpé de « crimes économiques » [viii]. Les choses se dénoueront par de nouveaux accords à signer le 24 Mai.

 

Enfin, les courants d’émigration clandestine depuis les côtes mauritaniennes vers les Canaries ont décuplé depuis la fin de 2005 : plus de 5.000 personnes pendant le premier trimestre de 2006, soit davantage que dans toute l’année précédente. Cause, l’aide discrète du nouveau gouvernement mauritanien et le renforcement du contrôle hispano-marocain sur le détroit de Gibraltar. Les « sans-papiers » parvenant aux Canaries sont transportés par avion en Espagne continentale où ils sont relâchés avec un ordre d’expulsion si leur nationalité n’a pu être établie dans les quarante-cinq jours [ix].

 

Ainsi, le coup militaire du 3 Juin 2005 trouve-t-il – sur le moment – sa pleine justification. Pas seulement le renversement d’un régime, mais fondamentalement la mise à jour du pays. Le président du Conseil militaire, infatigablement et dès sa première tournée dans l’intérieur [x], commencée à Néma, commente : «  Je voudrais dire ici que les forces armées et de sécurité, en opérant le changement, avaient agi dans l’unique objectif de redresser la situation, sans intention aucune de conserver de conserver le pouvoir. Il faut que cela soit clair pour tous et qu’il n’y ait pas d’équivoque sur ce plan… Ces forces sont déterminées à conduire les réformes programmées dans les délais qu’elles se sont fixées, et à donner au peuple mauritanien l’opportunité de jouir d’une vie politique compatible avec les exigences d’aujourd’hui ». Il confirme constamment que ses pairs – au premier rang desquels le colonel Mohamed Ould Abdel Aziz – et lui-même n’ont « pas d’autre mission, et une fois les réformes programmées réalisées, ils reprendront leur mission ordinaire ».

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Le 10 Mai 2009, la majorité parlementaire [xi] dont disposent les militaires du Haut Conseil d’Etat, constitué par ceux qui ont perpétré le coup du 6 Août 2008, confirme que «  la date des élections a été décidée par les états-généraux de la démocratie le 6 Janvier dernier et adoptée par une déclaration du Parlement, de ce fait son report devient impossible ». Emmenée par le député Sidi Mohamed Ould Maham, qui avait organisé dès le printemps précédent la fronde des élus contre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh et son nouveau gouvernement (formé par Yahya Ould Ahmed Waghf), cette majorité n’a jamais cessé d’être dévouée aux militaires qu’il s’agisse des putschistes de la transition démocratique en 2005-2006 ou de ceux de 2008 cherchant à se faire légitimer par une élection présidentielle anticipée. Cette obédience avait été organisée par un calendrier électoral faisant intervenir en dernier lieu l’élection présidentielle, de manière que le nouveau chef de l’Etat ne puisse peser sur la formation des nouvelles instances démocratiques. Les partis politiques avaient vivement contesté cette chronologie et plus encore la possibilité que se présentent, en dehors d’eux, des candidats. Le futur président de la République, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, en faisait même partie. Quant aux états-généraux clos le 6 Janvier 2009, ils avaient permis au général Mohamed Ould Abdel Aziz de trahir les engagements de 2005 : c’est bien de sa candidature à une élection présidentielle anticipée et organisée par lui-même qu’il s’agit. « Chef de file d’opposition démocratique » selon le régime mis en place en beaucoup d’étapes par les putschistes de 2005, Ahmed Ould Daddah avait eu la naïveté de croire que le putsch du 6 Août 2008 renverserait son vainqueur à l’élection présidentielle du 25 Mars 2007 – certes – mais pour en organiser une nouvelle ouverte seulement à la société civile, et qu’il gagnerait sans doute. Il a donc refusé l’accord de son parti – le R.F.D. – aux conclusions de la consultation.

 

C’est la participation de tous les partis – R.F.D. et Front national pour la défense de la démocratie (le F.N.D.D.) – à cette élection anticipée que cherche à obtenir une médiation sénégalaise, ce qui suppose son report : elle est prévue pour se tenir le 6 Juin, et les trois autres candidats censés concurrencer le général Mohamed Ould Abdel Aziz qui, pour la montre, a démissionné de l’armée et de la junte le 15 Avril précédent, ont approuvé les motifs et le fait du coup militaire.

 

Saluant les efforts du ministre sénégalais des Affaires Etrangères, Cheikh Tidiane Gadio, quittant Nouakchott le 10 Mai, après quatre jours d’entretiens avec toutes les parties, des milliers de femmes manifestent ce jour-là dans la capitale, mais en sens opposé.  Une des manifestations soutient le calendrier électoral arrêté unilatéralement, l’autre au contraire clame le refus de ces élections. Leur porte-parole, Fatimetou Mint Mohamed [xii], conteste non seulement le calendrier mais même leur tenue, qui signifierait l’annulation du mandat présidentiel de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, lequel est de six ans et non de quinze mois.

 

Dès le lendemain, une vingtaine de parlementaires, opposés au coup du 6-Août, s’installent dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale [xiii] : « nous sommes entrés dans la salle, nous avons exigé que la session qui s’ouvre aujourd’hui soit consacrée à l’examen de la crise politique, mais les autres députés s’étant retirés, nous avons décidé de rester sur place pour vingt-quatre heures ». C’est ce qu’affirme à l’A.F.P. Jemil Ould Mansour, président du parti islamiste Tawassoul. La reconnaissance de ce mouvement par Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et sa participation au gouvernement avaient été vivement critiqués par les militaires, et sans doute l’un des motifs de leur intervention. Prophète, Jemil Ould Mansour, dès le changement de Premier ministre en Avril 2008, avait mis en garde l’ensemble de la société civile et les observateurs étrangers sur ce qui commençait de se tramer.

 

Aussitôt, Mohamed El Moktar Ould Zamel, porte-parole de la majorité « pro-putsch » dénonce ce « procédé anti-démocratique et peu respectueux de la sacralité des lieux ». Malgré le brouhaha entretenu par les opposants, le vice-président de l’Assemblée – puisque le président Messaoud Ould Boulkheir conteste les militaires et leur tentative de se légitimer – « a pu faire son discours d’ouverture et lever la séance ». L’Assemblé est aussitôt l’objet d’un renforcement des positions de sécurité par l’armée [xiv] et la majorité réplique par un communiqué : « ce genre de comportements contraires aux lois n’empêchera pas un retour à une situation constitutionnelle ». Toute la dialectique initiée le 6 Août 2008 et continuant jusqu’aujourd’hui se prétend légaliste et juge toute opposition inconstitutionnelle. C’est ce que devrait trancher le referendum à tenir le 15 Juillet 2017, puisque les négociations de Dakar – d’ailleurs soutenues par la France – n’ont en réalité pu rétablir la légitimité qu’avaient mis en place le Conseil militaire pour la justice et la démocratie du 3 Août 2005 au 19 Avril 2007.

 

En tous pays, mais particulièrement en Mauritanie dont la fondation pour l’époque moderne et les premières modalités de sa démocratie ont eu leurs lettres de noblesse – celles écrites par Moktar Ould Daddah et ses coéquipiers, la mémoire explique l’actualité et permet de qualifier ses suites.

 

  Ould Kaïge

 

 

[i] - Agence France Presse à Nouakchott . 10 Mai 2006 à 14 heures 48

 

[ii] - Agence France Presse à Nouakchott . 11 Mai 2006 à 20 heures 14

 

[iii] - Agence France Presse à Nouakchott . 12 Mai 2006 à 13 heures 16

 

[iv] - Agence France Presse à Nouakchott . 13 Mai 2006 à 22 heures 45

 

[v] - Agence France Presse à Nouakchott . 14 Mai 2006 à 22 heures 02

 

[vi] - créée en 1995, elle n’a été reconnue qu’en Mai 2005

 

[vii] - Agence France Presse à Nouakchott . 10 Mai 2006 à 14 heures 30

 

[viii] - Agence France Presse à Nouakchott . 11 Mai 2006 à 23 heures 54

 

[ix] - Agence France Presse à Nouakchott . 13 Mai 2006 à 15 heures 38

 

[x] - Agence France Presse à Nouakchott . 29 Avril 2006 à 13 heures 14 – reprenant l’Agence mauritanienne d’information (A.M.I. dont nous savons que les archives sont inaccessibles du début de son édition numérique en 2001 au 5 Août 2008…)

 

[xi] - 83 députés sur 151, formant un nouveau parti : l’Union pour la République, dont la présidence a été aussitôt accordée au général Mohamed Ould Aziz, formellement leur candidat à l’élection projetée pour se tenir le 6 Juin

 

[xii] - Agence France Presse à Nouakchott . 10 Mai 2009 à 22 heures 32

 

[xiii] - Agence France Presse à Nouakchott . 11 Mai 2009 à 18 heures 25

 

[xiv] - Agence France Presse à Nouakchott . 11 Mai 2006 à 20 heures 07