Calamités

3 September, 2017 - 13:38

L’affaire du sénateur Mohamed Ould Ghadda continue de défrayer la chronique. Depuis maintenant plus d’un mois, toute l’information nationale et même internationale relative à la Mauritanie est cristallisée  autour des rebondissements parfois inédits de cette histoire qui ne semble pas avoir encore livré ses derniers secrets. Le dernier feuilleton de cette dramaturgie de mauvais goût et de mauvaise conception est la décision de dépôt en prison de l’acteur principal, le sénateur Ould Ghadda, d’un jeune officier de l’armée et de la sénatrice Malouma Mint El Meidah (finalement mise sous contrôle judiciaire), d’un mandat d’arrêt contre Mohamed Ould Bouamatou , Mohamed Ould Debagh et neuf autres sénateurs et de la mise sous contrôle judiciaire des journalistes : Ahmed Ould Cheikh, Moussa Samba Sy, Aminetou Bâ et Jedna Deida et des syndicalistes : Abdallahi Ould Mohamed Dit Nahah et Samory Ould Beye. La charge retenue contre toutes ces personnes : amitié avec Bouamatou et acceptation de son argent. Il est loin le coup d’état du général Mohamed Ould Abdel Aziz le 6 août 2008 contre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Tout comme, elle est loin la campagne pour la présidentielle au cours de laquelle Ould Bouamatou a dépensé sans compter des milliards en faveur d’un certain candidat. Visiblement entre cela et aujourd’hui beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Comme on le dit si bien chez nous : « Que nos connaisseurs meurent ou oublient ». Si recevoir de l’argent d’un citoyen mauritanien ou même d’un étranger était un crime passible de poursuites judiciaires, beaucoup parmi les très hauts perchés n’allaient pas être là pour faire la loi… de la jungle puisqu’ils allaient être depuis longtemps couchés dans les prisons. En réalité, le pouvoir a reçu cette fois deux coups (balles) sur la tête. D’un, il y a eu la très inattendue déroute électorale du 17 mars 2017 quand les sénateurs ont tout simplement refusé de faire passer les amendements constitutionnels qu’il proposait. Ce qui l’obligea de continuer dans sa faute en opérant un forcing référendaire qui ne lui permit que de s’assurer de ce qu’il soupçonnait déjà : Que le peuple dans sa majorité rejetait lui aussi ces consultations dont il ne comprenait ni l’utilité ni l’urgence. Résultat : Une fraude massive pour laquelle tout l’appareil étatique a été mobilisé. Le gouvernement. L’administration territoriale. Les fonctionnaires. Les moyens publics. Il n’était pas question de donner la simple probabilité pour une deuxième humiliation. De deux, il ne fallait pas laisser ‘’délirer’’ cet ingérable sénateur. Pour le pouvoir, son providentiel accident constituait la panacée de le faire calmer en distillant ses enregistrements extraits illégalement de ses téléphones saisis par la gendarmerie et manipulés par le parquet. Ce qui au passage discrédite à jamais la justice et la gendarmerie instrumentalisées pour permettre un règlement de comptes entre personnes. La sortie des enregistrements ne perturbe pas le sénateur. Les calculs du pouvoir sont faussés. Le sénateur indélicat va plus loin en menaçant de divulguer de graves secrets liés à la gestion des ressources du pays par celui qui prétendait être le promoteur en chef de la bonne gouvernance et le héros attitré de la lutte contre la gabegie. Et comme pour joindre l’acte à la parole, il donne publiquement l’adresse de deux appartements du 16ème arrondissement de Paris qui appartiendraient au ‘’lutteur’’ contre le vol des deniers publics et annonce détenir des tonnes de dossiers bien documentés de marchés de gré à gré. Des investigations menées par le sénateur peuvent fournir des nouvelles versions sur l’incident de la balle de Tweila,d’une part et sur les conditions de la ‘’livraison’’ de l’ancien directeur des renseignements libyen Abdallahi Senoussi d’autre part. Alors, ça devient beaucoup. Paniqué, le pouvoir tombe dans ses travers en commettant faute sur faute. Arrestation/séquestration du sénateur Ould Gadda alors qu’il jouissait encore de son immunité parlementaire. Montage d’un dossier judiciaire aux éléments assez maigres contre un groupe de personnes accusées de volonté de déstabilisation de l’état : Gabegie transfrontalière. Amitié avec Ould Bouamatou. Réception de l’argent. Comme l’a si bien dit Ould Bedredine, Normalement les rôles devaient s’inverser. Ceux qui devaient comparaître devant la justice sont ceux qui se sont permis de saisir et de manipuler illégalement les téléphones et les ordinateurs de paisibles citoyens dont la seule faute connue est de s’opposer à un pouvoir. Ce sont ceux qui détournent la volonté des peuples et tripatouillent leur constitution pour assouvir les pulsions d’un pouvoir en déroute. Ce sont ceux qui organisent régulièrement des coups d’état chaque fois que leurs intérêts personnels sont touchés. Depuis quand donner de l’argent est un crime ou en recevoir en est un autre ? La politique de l’autruche, la fuite en avant, l’instrumentalisation, la manipulation, l’inféodation ne servent à rien. C’est juste qu’elles cachent la réalité pendant quelques temps avant de la faire dévoiler au grand jour dans l’expectative et la désillusion.

 

El Kory Sneiba