« L’Enfer c’est les autres » (2) : La charte du Citoyen

25 January, 2018 - 00:23

Parmi toutes les conditions à réunir, pour que les pouvoirs publics soient plus efficaces, il en existe une majeure que je tiens à traiter, pour autant qu’on veuille tenir compte des attentes de la population : l’élaboration d’une Charte du Citoyen, nouvel outil pour donner, à chacun, voix au chapitre, assurant, à l’individu et à sa famille, le droit de donner leur avis sur des sujets d’intérêt général, dans un état d’esprit beaucoup plus porteur qu’il ne l’est malheureusement aujourd’hui. Exécutées avec la participation du plus grand nombre, l’élaboration et l’application des politiques nationales donneront de meilleurs résultats.

Ce concept  de Charte  du Citoyen dépasse, bien évidemment, la compétence et la bonne volonté d’une seule personne. Je suis néanmoins persuadé qu’un effort d’information, sur les droits du Citoyen, doit être largement entrepris, ne serait-ce que pour donner, aux Mauritaniens, une véritable liberté de choix, au-delà de la puissance anesthésiante de l’image et du son des médias officiels. La présente analyse ne prétend pas explorer tous les aspects de la problématique du consensus national. Heureusement d’ailleurs car mon vœu est simplement d’apporter une contribution à un débat public éclairé, associant la population à l’action de l’Etat. La présente approche doit être ainsi considérée comme une simple pièce à verser à ce débat longtemps négligé mais qu’il s’agit maintenant de mener à bien, fermement centré sur l’élaboration d’une politique d’entente et de cohésion nationale.

 

La recherche par voie de débat

Rien d’étonnant à ce que les intellectuels s’interrogent sur ce que doit être le rôle de l’Etat. Mais je ne voudrais pas manquer de courtoisie, en exposant, publiquement, certaines remarques sur « nos clairvoyants dirigeants ». Je me contenterai  donc d’un propos général. Le Président actuel est un homme d’action. La connaissance vient au second plan. Ses conseillers et son chargé de la communication devraient nourrir les débats d’intérêt général, en y participant activement. Non pas en des discussions partisanes, minées de louanges laudatrices et d’exécrables mensonges racistes de tous bords, incitant à la violence et à la haine raciale, comme on voit et entend, malheureusement, trop souvent à la télévision et à la radio. C’est la crédibilité et l’objectivité de ces parties prenantes qui sont mises en cause par l’opinion.

L’Etat doit favoriser l’analyse et impulser l’innovation. Notre pays est déficitaire en recherche. Ce n’est pas un hasard si certains pays réussissent mieux que d’autres  à se développer. Dans ces pays (comme les « dragons » de l’Asie de l’Est, Amérique Latine et Moyen-Orient), de réels efforts sont fournis pour stimuler une politique de recherche et des débats favorables aux aspirations des gens. Mais peut-être ai-je tort de m’étonner ! Après tout, ce n’est pas la première fois qu’on prend du retard, avant d’adopter, chez nous, un exemple étranger convaincant. Alors que, partout ailleurs dans le monde, les débats sur le rôle de l’Etat font salle comble, il est surprenant qu’ici, on n’éprouve pas le besoin de se concerter, pour réfléchir, en commun, aux problèmes de l’heure et, notamment, au choix d’une politique de cohésion et d’entente nationale.

Il est vrai qu’il y a encore fort à faire. Même les partisans du Président, qui passent leur temps à louer ses réalisations, à la télévision officielle, ne cachent pas, en privé, leurs critiques, parfois acerbes, à l’égard du  système. Beaucoup pointent du doigt la mauvaise gouvernance des « arrivistes » et autres « parvenus » sans scrupules, au plus haut niveau de l’Etat, qui pensent, à tort, que le développement se résume à un certain nombre d’apports économiques et se targuent de réalisations inégalées, pour ne pas dire inégalables. Mais ils oublient que si le nombre de maisons, de constructions, de voitures, de richesse, a augmenté, il ne profite qu’à une minorité de privilégiés et de nantis qui ont tout accaparé, sans le moindre état d’âme ; justifiant, ainsi, l’adage populaire : « ventre plein n’a point d’oreilles ».

 

Le fossé de la discorde

Ces infrastructures et réalisations sont bâties sur de la haine et des rancœurs, politiques et sociales, qui s’avivent de plus en plus, à cause du désastreux manque de vision de nos dirigeants qui n’ont pas su prévoir ni mettre en place une politique de consentement général, engageant la bonne stratégie pour réussir le défi de la tolérance et de la cohésion nationale. Tout celui qui a vu les effroyables destructions de la désunion, dans la Corne et le Centre de l’Afrique,  en Libye comme, jadis, au Libéria, au Moyen-Orient et dans bien d’autres pays, ne peut s’empêcher de constater, avec amertume et désespoir, que le fossé de la discorde, entre les populations et le pouvoir, ne fait que s’élargir et se creuser encore davantage.

La soif inextinguible du pouvoir que les chefs  militaires ont pris, par la force des coups d’Etat, risque de devenir, malgré la tenue, toujours postérieure, d’élections plus que controversées, une véritable mégalomanie, aux dépens de toute légalité et légitimité. Partout en Afrique, sauf, peut-être, en Afrique du Sud et autres rares pays, les élections ne sont jamais libres. Quant aux Mauritaniens, ils réprouvent, généralement, la façon par laquelle les militaires arrivent au pouvoir et ne veulent plus le lâcher, du moins jamais de leur plein gré. Cette folie des grandeurs  est à l’origine de tous nos maux.

 

Les maux

Leur liste s’allonge. Si je les rappelle, ici, ce n’est pas pour jouer à je ne sais quel redresseur de torts, mais, tout simplement, par refus de toute complaisance coupable, face à la réalité toujours contrastée et hérissée de difficultés. Les Mauritaniens sont devenus, dans leur grande majorité et toutes composantes sociales confondues, des laissés pour compte, sur les bords ingrats de la route du développement, essayant de survivre aux affres de la vie. Les souffrances de la population, la marginalisation, l’extrémisme, le tribalisme, le régionalisme et le manque d’équité sont autant d’éléments qui peuvent entraîner la violence sociale et l’instabilité. Ces facteurs qui empêchent le développement constituent une insulte au bon sens, à la conscience humaine et au slogan de « Président des pauvres », pour un pays qui regorge de richesses et seulement quatre millions d’habitants. Mais, paraphrasant une certaine chansonnette, « nous nous tenons tous par la barbichette » : nous sommes tous sur la même embarcation.

Les motifs d’inquiétude ne manquent pas. L’économie patine, grippe, l’Ouguiya perd toute compétitivité et la balance commerciale est chroniquement déficitaire. La politique de l’emploi et la lutte contre l’inflation, endémique malgré les faux chiffres officiels, sont loin de figurer au cœur des priorités. En définitive, le vrai problème de la Mauritanie est de déterminer l’ordre des priorités. Certes, le Président s’est focalisé sur la politique des grands projets. Cela peut sembler vertueux, à première vue, mais le fait est que cela est sans grand effet, en tout cas immédiat, sur le pauvre citoyen, constamment en proie à l’exclusion, à l’atteinte de sa dignité et à la méfiance qu’il continue à nourrir envers les institutions.

 

Les réponses

Je n’ai évidemment pas la prétention de proposer une réforme de l’Etat, loin delà, mais j’observe que le rassemblement du plus grand nombre de Mauritaniens dans un consensus national reste à faire. Cela dit, ma communication arrive à son terme et, si l’avenir reste chargé d’interrogations, elles comportent – presque toutes, Dieu merci ! – des réponses. Pour donner la primauté au travail et à la lutte contre le chômage, décrétons notre salut commun, par la promotion de l’emploi. Faire reculer la pauvreté, la haine et l’intolérance est, par conséquent, réalisable.

L’inflation endémique, cause principale de la cherté de la vie et de la précarité peut être jugulée. Réduire les disparités et les inégalités sociales est possible. Faire entendre la voix du citoyen, au sein même des instances de décision, et faire en sorte que l’Etat soit plus réceptif : voilà des besoins qui peuvent être aisément pris en compte. Réunir et rassembler le plus grand nombre de Mauritaniens autour d’un idéal, dans un consensus national, est envisageable. Vaincre l’extrémisme est faisable. Les racistes de tous bords n’auront pas raison, ils sont voués à l’échec.

Enfin, je laisse, aux aboyeurs de l’apologie du pouvoir, d’une part, et aux détracteurs du régime, d’autre part, la responsabilité de leurs propos. J’espère seulement que les observateurs se soient trompés. Contrairement à leur prédiction apocalyptique, l’implosion n’est pas une fatalité. Avec l’aide de notre Créateur, Allah le Tout Puissant, la réalité n’aura pas de bord et n’implosera pas.

 

Lehbib ould Berdid

Professeur chercheur et analyste stratégiste