Trois questions à….r Samory Ould Bèye, président du Mouvement El Hor, président du Conseil national d’El Moustaqbel et secrétaire général de la CLTM

1 October, 2014 - 04:03

‘’Le système en place ne veut pas regarder la réalité en face et persiste dans sa politique d’exclusion des Noirs du pays’’

Le Calame : On assiste comme à un retour sur le terrain d’El Hor qui multiplie les sorties. La dernière date du 24 septembre. Pourquoi ce regain d’activités ?

Samory Ould Beye : El Hor a plus d’une raison de sortir, en plein jour, pour dénoncer les grandes injustices dont sont toujours victimes les Harratines, en dépit de diverses initiatives prises, çà et là, pour y trouver des solutions. Aucune lueur d’espoir : le pouvoir en place – je devrais dire, le système en place – ne veut pas regarder la réalité en face et persiste dans sa politique d’exclusion des Noirs du pays, alors qu’ils forment la majeure partie de sa population. Face à cette situation, le Mouvement El Hor, qui lutte pour l’égalité et la justice, entre toutes les composantes du pays, ne peut pas rester les bras croisés, et le sit-in du 24 entre dans ce cadre d’actions de protestation et dénonciation.

Ce sit-in, je le signale à vos lecteurs, marque la première étape d’une série d’actions face au nouveau visage du système, visible dans la composition même de son gouvernement marqué du sceau de l’extrémisme étroit  et dont l’action va, très certainement, accentuer l’arbitraire et la discrimination. Une probabilité suffisamment grande pour que nous nous apprêtions à le combattre de toutes nos forces. Je rappelle, à l’opinion mauritanienne, que, depuis la publication du Manifeste des Harratines et l’imposante marche qu’ils ont organisée, le 29 avril dernier, le pouvoir s’est muré, comme à son habitude, dans un silence frustrant. Au lieu d’apporter une réponse sérieuse aux propositions avancées par cette puissante composante du pays, de se pencher, pour de bon et avec toutes les forces vives du pays, à l’épineuse question de l’unité nationale, le pouvoir s’est raidi ; pire, il joue dans la provocation. En effet, les Maures, par leur volonté, évidente, de maintenir le même système de gouvernance qui s’est accaparée de la Mauritanie, depuis les indépendances, prouvent leur refus de toute évolution, de tout changement. La fondation des écoles d’excellence, notamment militaires, sanitaires, minières, toutes fermées aux Noirs du pays démontre leur volonté de consolider leur système d’apartheid. Ce faisant, ils empêchent leurs compatriotes noirs de participer à l’édification de la Mauritanie de demain.

El Hor tient, désormais, à leur dire que cette situation ne peut plus durer et à réclamer l’instauration, rapide, de l’égalité et de la justice. S’ils persistent à croire que les Harratines vont continuer à leur servir de bêtes de somme, taillables et corvéables à merci, ils se trompent ! Lourdement. Ce temps-là est bel et bien révolu, nous n’acceptons plus de servir d’instruments à leur solde. Ils persistent à s’accaparer de toutes les richesses du pays, toutes les fonctions essentielles du pouvoir, d’en exclure les autres composantes nationales, ils font, de la Mauritanie, un pays d’apartheid, compromettant, ainsi dangereusement, son avenir.

  D’ailleurs, vous l’aurez constaté, d’autres composantes noires du pays bougent, pour que soit mis fin à leur exclusion. La Mauritanie appartient à tous ses fils, noirs et blancs confondus, c’est pour cette raison qu’El Hor exige que les Harratines soient impliqués dans la gestion de leur pays et refuse la persistance d’une Mauritanie à deux vitesses. Les Harratines n’accepteront plus d’être des citoyens de seconde zone ! Nos frères maures doivent se ressaisir, regarder la réalité en face et œuvrer, résolument, à un vivre-ensemble meilleur, avec tous leurs autres compatriotes. Ils doivent apprendre à respecter le droit à la différence, à une citoyenneté, pleine et entière, de chacun, que la Mauritanie ne peut pas bâtir avec la seule composante maure. Il est grand temps, pour les Maures, de comprendre que les mentalités ont fortement changé, que leurs compatriotes noirs sont déterminés à se faire respecter et à conquérir la place qui leur sied dans leur pays. Autrement, c’est une déclaration de guerre civile, ce que nous ne souhaitons certainement pas à notre pays. Force est cependant de constater que le régime en place demeure sourd à notre appel patriotique. Face à cette espèce d’entêtement, nous lançons un appel vibrant à l’ensemble des forces vives du pays pour un changement décisif, un sursaut patriotique. C’est un grand défi, pour la Mauritanie, nous en sommes conscients. Mais Si l’Etat n’assume plus son rôle de garant des libertés et de la justice pour ses citoyens, il perd sa raison d’être et devient une menace pour la cohésion sociale. C’est vous dire qu’El Hor s’inquiète, fortement, de l’avenir de ce pays. C’est pourquoi lançons-nous un appel à un dialogue national, franc et sincère, entre toutes les forces vives de ce pays, à une entente nationale. Oui, El Hor est demandeur de ce débat, pour sortir la Mauritanie de l’œil du cyclone ! Notre pays se tient dans un contexte saharo-sahélien très trouble, menacé par divers périls, et, si nous ne prenons pas garde, des surprises désagréables peuvent nous arriver.

 

- Le gouvernement mauritanien a décidé de changer la position du week-end dans la semaine, à compter du 1er octobre. Quelle est votre réaction par rapport à cette décision qui fait passer le temps de travail de 8 à 9 heures par jour ?

- Cette décision du gouvernement est en violation, flagrante, avec la loi. L’institution du repos hebdomadaire ne peut être promulguée par un décret contredisant une loi. Le décret applique la loi, il ne lui est jamais supérieur. Je crois que cette décision a été prise sur un simple coup de tête, ses conséquences seront fâcheuses pour les travailleurs : leur temps de loisir, le temps qu’ils devraient consacrer à leur famille, à se former et s’informer, à se déplacer se voit amputé mais, surtout et plus grave, ils vont se voir encore plus usés, avec cette heure supplémentaire de travail journalier. Toutes ces contraintes entravent et violent la loi et la convention sur le travail, elles touchent, donc, aux droits des travailleurs. Le gouvernement n’a pas réfléchi à tout ça et a décidé d’agir, en mépris total de lois et conventions qui régissent les droits des travailleurs dans le Monde.

Il s’y ajoute que les Mauritaniens, fidèles musulmans, mettaient à profit la journée chômée du vendredi pour se consacrer entièrement à la grande prière. Autant de raisons qui nous ont poussé à publier une déclaration, au lendemain même de l’annonce de cette décision irréfléchie, pour attirer l’attention du gouvernement sur les  conséquences fâcheuses de sa décision unilatérale.

 

- La question de la représentativité oppose dix-huit centrales syndicales au ministère de la Fonction publique et de la modernisation de l’Etat. Où se situe la pomme de discorde ?

- C’est une question importante. La pomme de discorde est à rechercher dans la fragilisation du mouvement ouvrier, suite à la multiplication des organisations syndicales dont certaines n’ont aucune crédibilité ; elles ne sont là que pour perturber l’action des syndicats qui font sérieusement leur travail. Pour mettre de l’ordre dans cette espèce de bergerie, il a été décidé, avec le Bureau International du Travail (BIT) d’organiser des élections sociales directes, comme cela se fait en certains pays. L’organisation de telles élections suppose le recensement de tous les travailleurs du secteur public mais aussi privé, la confection de listes électorales, le découpage électoral et la mise en place de bureaux de votes (cinquante travailleurs par bureau de vote).

Les préparatifs de ce processus ont été entamés en 2008 par l’Etat, le patronat, les syndicats et les travailleurs,  avec le concours du BIT. On a élaboré des textes réglementaires. Les projets de décret et d’arrêté furent soumis au BIT qui les a lus et approuvés. Mais, en août 2008, intervint le coup d’Etat. Tout fut alors suspendu. Et depuis, nous, centrales syndicales, réclamons la réouverture du dossier, pour qu’on puisse, enfin, organiser des élections directes, afin d’établir la représentativité réelle des centrales syndicales sur le terrain. C’est dans ce cadre que le nouveau ministre a décidé de reprendre le processus mais, à notre grande surprise, en ignorant les centrales syndicales, à l’exception de la seule CGTM, et tout ce qui avait été fait avec le BIT, conseiller technique en la matière. Le ministre travaille sur une nouvelle vision, autour de l’organisation d’élections sociales indirectes.

Nous avons tenté de convaincre le ministre de revenir sur sa décision et de respecter le travail réalisé avec le BIT et les autres partenaires sociaux. Mais il refuse de nous écouter, son objectif étant d’établir de nouvelles confédérations syndicales, acquises à sa solde, et de signer l’arrêt de mort de celles qui existent. C’est dans l’air du temps, le président Aziz veut envoyer à la retraite tous ceux qui ne pensent pas comme lui ou pour lui. Pour tenter de berner l’opinion, le ministre s’évertue à entretenir une confusion entre élections directes et élections indirectes (sociales). Les deux sont pourtant régies par des textes différents. Les élections indirectes concernent les délégués du personnel, au sein d’une entreprise. Leur mandat est de deux ans, tandis que les autres, dont le mandat est de quatre ans, obéissent au processus que nous avons expliqué plus haut et permettent d’établir la véritable représentativité d’une confédération syndicale, au niveau national. Certes, le ministre peut tordre le cou aux textes, faire le forcing pour parvenir à son objectif, ce qu’il nous a fait savoir, au cours d’une réunion, en affirmant qu’il y réussirait, avec ou sans nous. Mais, face à son entêtement, nous avons engagé la bataille et saisi le Premier ministre qui nous a paru très réceptif, il a, d’ailleurs, décidé de surseoir au projet de son ministre et de mettre en place une commission pour plancher sur le processus de la représentativité syndicale. Cette commission, que j’ai l’honneur de présider, est au travail depuis quelque temps. Une dynamique est donc lancée et nous espérons arriver des conclusions satisfaisantes. Comme je l’ai dit plus haut, le patronat et les dix-huit centrales syndicales, excepté la CGTM dont j’ignore la raison qui l’a poussée à cautionner la position du ministre, sont restés fidèles à la plateforme réalisée, en 2008, avec le BIT.

Propos recueillis par Dalay Lam