A Monsieur le directeur de publication du Calame

26 September, 2018 - 10:37

Cher Ahmed,

Je viens de lire  votre éditorial du Calame de ce mercredi 19 septembre 2018. Excellent comme d’habitude.

Permettez-moi cependant d’y relever une généralisation sur les différentes CENI que le pays a connues et   dont je pense qu’il se serait bien passé, parce qu’elle n’est pas juste.

D’autres, dont le souci de l’objectivité et de l’équité n’a jamais été  le point fort, ni surtout  la vocation, mais  dont l’impact des mots est plutôt négligeable, l’ont déjà faite, avant vous, sans susciter ou plus exactement sans mériter qu’on y réagisse. Mais, sous votre plume et dans votre éditorial, cette assimilation   est plus inacceptable.

En effet, parlant des élections qui se sont déroulées dans notre pays depuis 1991, vous écrivez, sur un  ton  péremptoire, ‘’qu’aucune n’a dérogé à la règle, qu’elles étaient toutes des simulacres de consultations électorales,  des pièges à cons, des  pièces de mauvais goût où le recyclage, parfois même l’acharnement thérapeutique sont de règle. Où même les apparences ne sont pas sauves. Où la forme n’est pas respectée. Où la commission chargée  de les organiser n’a pas fait l’objet d’un consensus et dont les membres sont choisis sur des critères paternalistes. Où l’administration affiche un parti pris flagrant.’’

Bien entendu, je préfère croire que ce soit  le grand nombre de fois où ces   élections  ont été effectivement  entachées  d’injustice et de fraudes  qui ait  pu vous  faire oublier celle  où elles ont été organisées par une commission qui, sans être parfaite, a bel et bien  dérogé à la règle.

Une  commission qui  a  fait l’objet d’un consensus, dont les membres n’étaient pas choisis sur des critères paternalistes ou  familiaux et  qui n’a subi aucune influence de l’administration. Une commission qui a organisé en 15 mois, en parfaite  concertation avec  l’ensemble des acteurs politiques nationaux, de la société civile, de l’administration et de la presse, un scrutin référendaire, des élections municipales, législatives, sénatoriales et présidentielles dont la  transparence avait été reconnue par tous. Des élections  incontestées chez nous, saluées  et citées en exemple à l’extérieur. Des scrutins  qui avaient fait l’objet d’une observation électorale exigeante et crédible  au niveau national mais surtout international.

Vous avez bien sûr  compris que je parle de la CENI que j’avais eu, sans le chercher,  l’honneur et le  redoutable privilège   de présider, de novembre 2005 à juin 2007. Tous  les membres de cette institution, de sa  commission centrale à celles des arrondissements en passant par les  régionales et départementales étaient  plutôt fiers  d’avoir bien rempli la mission dont ils avaient été investis par la communauté nationale lors des journées nationales de concertations d’octobre 2005.

Que nos politiciens,  pour les raisons que tout le monde connait, n’aient pas  été capables, au final, de transformer ce premier  essai en succès  complet pour  notre  démocratie  en herbe ou  qu’ils se soient   rendus  complices, en Août  2008, du  bradage de  ce qui en est resté, en jetant  le pays en pâture, au propre comme au figuré, au pouvoir despotique qui nous gouverne  aujourd’hui, doit  être imputé à ces politiciens.

Mais cela ne saurait en rien entacher  le mérite d’une CENI  dont la mission,  qu’elle a bien  remplie,   était de superviser techniquement  la construction des  différents pans de cet édifice institutionnel  et de les livrer  aux  dates requises, conformément à son cahier de charge. Pas plus qu’il ne devrait autoriser la comparaison et encore moins l’assimilation  de cette commission à celles que vous décrivez.

En un mot, je crois  qu’à défaut de promouvoir le mérite   et rendre  hommage à la   CENI 2005-2007, en mettant en exergue la manière dont elle s’était acquittée de sa  mission, il serait au moins plus juste de s’abstenir de la stigmatiser par cette généralisation inéquitable et intempestive.

Avec toute mon amitié et mon estime.

 

                                                                                Cheikh Sid Ahmed Ould Babamine

 

Mise au point

Si effectivement la CENI 2005/2007 que vous avez dirigée, diffère, en bien, de celles qui l’ont suivie, il faut reconnaitre que, malgré tout, elle n’a fait l’objet d’aucun consensus. Ses membres ont tous été cooptés par le Conseil militaire de l’époque qui, dans l’ensemble, avait fait un bon choix. C’est peut-être pourquoi la classe politique n’avait pas protesté. Les militaires, du moins certains d’entre eux, n’avaient pas encore d’idées derrière la tête et voulaient organiser un processus transparent, aidés par une CENI neutre. Les choses se gâteront par la suite. Un engrenage fatal sera alors engagé, contre lequel ni la Commission électorale, ni même la volonté populaire ne peuvent grand chose. Et le résultat est là. Nous le vivons depuis 2008.