De la terre mauritanienne à la table chinoise/Par Moussa Hormat-Allah

9 January, 2019 - 13:57
  1. Chapeau introductif

La Providence a doté la Mauritanie d’immenses ressources naturelles. En plus de nombreux minerais et autres hydrocarbures, le pays dispose d’importantes exploitations agricoles tout le long du fleuve Sénégal. Des terres irriguées ou irrigables qui ne demandent qu’à être mises en valeur.

Des agriculteurs nationaux – souvent étrangers à la profession –, aidés par l’Etat, essaient, avec les moyens du bord, d’exploiter, ici ou là, parfois de façon artisanale, ces terres. L’absence de moyens humains, techniques et financiers adéquats rendent cette entreprise fort laborieuse. Pour une exploitation optimale de ces immenses domaines, l’Etat doit trouver un partenaire fiable.

Dans cette optique, la Chine pourrait s’avérer être un précieux partenaire. Une opportunité inespérée. Si ce partenariat sino-mauritanien venait à se concrétiser, ces retombées, notamment aux plans économique, social et financier seront considérables pour la Mauritanie. Retombées qui, du reste, seront tout aussi bénéfiques pour la Chine. Car les deux parties contractantes y trouveront, chacune, son compte. D’abord la Chine.

  1. Les avantages pour la Chine

La Chine compte près d’un milliard et demi d’habitants, soit environ 25% de la population mondiale. Le gouvernement de l’Empire du Milieu doit veiller à nourrir toutes ces bouches. Une mission particulièrement difficile si on sait que la Chine possède seulement 7% des terres arables du monde. De surcroît, les sols chinois sont de qualité moyenne et un sixième de cet énorme territoire serait pollué. Circonstance aggravante, la population chinoise est en augmentation constante après la fin de la politique de l’enfant unique. Car Pékin a compris que le vieillissement de la population constitue un réel danger pour son développement économique.

Pour pallier cette grave pénurie de produits agricoles, Pékin a érigé en priorité nationale, l’acquisition et l’exploitation de terres agricoles à l’étranger. Les chinois possèdent déjà, 10 (dix) millions d’hectares de terre cultivés hors de leurs frontières. Soit l’équivalent des superficies réunies de la France et de l’Allemagne ou celles de l’Espagne, de la Belgique, des Pays-Bas et de l’Italie.

Ces 10 millions d’hectares ont été achetés principalement par des entreprises publiques chinoises dans plusieurs pays d’Afrique, d’Amérique du Nord, d’Amérique du Sud, de l’Europe de l’Est et de l’Europe de l’Ouest. Sans compter les pourparlers toujours en cours avec le gouvernement australien pour l’acquisition dans ce pays d’un domaine agricole de la taille de l’Islande.

Cette présence agricole dans les cinq continents montre, à l’évidence, que la sécurité alimentaire apparaît comme une urgence absolue pour l’Empire du Milieu. Forts de leurs fabuleuses ressources financières et d’une main d’œuvre qualifiée, les chinois auront tout misé pour en assurer la pérennité.

  1. Les avantages pour la Mauritanie

S’il venait à se réaliser, ce partenariat agricole avec la Chine pourra engendrer une métamorphose en profondeur de l’économie mauritanienne. Comment ? Outre les terres arables (pluviales, décrues, oasis, irriguées) d’une superficie de plus de 500 000 hectares, la Mauritanie dispose le long de la vallée du fleuve Sénégal d’un potentiel irrigable de 137 000 hectares dont 33 600 hectares aménagés. Sans compter les dizaines de milliers d’hectares irrigués par le nouveau chenal de l’Aftout Sahli. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, une question s’impose, d’entrée de jeu : Quel statut juridique pour ces immenses domaines agricoles ? Le statut foncier de ces terres devra être apuré une fois pour toutes. A ce sujet, on se rappelle, non sans une certaine amertume, de l’échec du projet d’un homme d’affaires saoudien en raison d’un contentieux sur la propriété effective de ces terres agricoles. Pour éviter la répétition d’une telle cacophonie, les choses doivent être, au préalable, tirées au clair. A première vue, trois options se présentent aux pouvoirs publics :

  • Négocier l’achat par l’Etat mauritanien de ces terres agricoles avec les représentants dûment mandatés par les tribus concernées et autres ayants droit ;
  • Si pour une raison ou une autre, notamment de prestige tribal, les intéressés ne veulent pas céder leurs biens, on pourra leur proposer une solution alternative : une location de leurs terres sous forme de bail emphytéotique : 20, 30, ….ou 99 ans ;

L’une ou l’autre de ces deux formules agréeront, sans doute, la partie chinoise.

  • En cas d’impasse, l’Etat pourra alors procéder à une expropriation pour cause d’utilité publique.

Avant de passer en revue certains des multiples effets induits de ce partenariat sur l’économie mauritanienne, donnons d’abord une idée de ce que pourrait être le prix d’une éventuelle cession de ces terres agricoles à la Chine.

A titre d’exemple, les chinois ont acheté en France l’hectare à un prix bien supérieur au prix du marché. Entre 11000 et 15000 euros (source : le journal français Le Parisien). En transposant la fourchette basse (11000 euros) au potentiel irrigué ou irrigable en Mauritanie (137 000 hectares irrigables plus 33 600 hectares irrigués) –non inclus les dizaines de milliers d’hectares irrigués par le chenal de l’Aftout Sahli – nous obtenons la somme colossale de : 137 600 x 11 000 = 1 876 600 000 euros. Près de deux milliards d’euros. Cet apport massif en devises aura pour conséquence immédiate le raffermissement de l’ouguiya et la consolidation de sa parité vis-à-vis des monnaies étrangères.

  • Autres avantages pour la Mauritanie
  • Les chinois créeront, probablement, des méga-fermes avec quatre pôles de collecte à Sélibaby, Kaédi, Boghé et Rosso. Avec un objectif bien précis : créer des infrastructures pour récolter, trier, stocker et conditionner : fruits, légumes, céréales, farine, canne à sucre, viande et lait. Sans oublier les produits dérivés du lait : fromage, crème, lait en poudre, yaourts…Toutes ces marchandises seront probablement acheminées par voie fluviale vers les énormes entrepôts qu’ils construiront, vraisemblablement, au port de Ndiago avant leur transport par bateau vers la Chine ;
  • Création de milliers d’emplois (directs ou indirects) et de plusieurs centres de formation professionnelle ;
  • Dragage (s’il n’est pas fait entre-temps), du fleuve Sénégal pour faciliter le cabotage ;
  • Electrification, si nécessaire, de plusieurs quartiers des quatre villes précitées ;
  • Création de centres médicaux ;
  • Création de centres vétérinaires ;
  • Création de laboratoires d’analyses pour les produits agro-alimentaires ;
  • Possibilité pour les chinois de s’approvisionner, le moment venu, en engrais à partir des phosphates de Boghé (Bofal) ;
  • Probable achat par les chinois de la quasi-totalité du bétail mauritanien qui était vendu auparavant hors des frontières nationales, notamment au Sénégal ;
  • Développement du tourisme et des activités commerciales dans ce nouveau pôle économique ;
  • Probable auto-suffisance alimentaire pour la Mauritanie. Dans la pratique, les chinois exportent vers la Chine l’essentiel de leur production sur les terres cultivées à l’étranger. Toutefois, ils vendent une partie de cette production dans le pays d’accueil. La Mauritanie pourra ainsi faire l’économie des précieuses devises qui servent à importer des denrées de première nécessité : céréales, farine, sucre, fruits, légumes, lait en poudre…pour ravitailler le marché national. La Mauritanie pourra même approvisionner en produits agricoles certains pays de la sous-région : Sénégal, Mali, Burkina Faso… ;
  • Le fisc pourra, par ailleurs, prélever des taxes sur ces flux de marchandises et sur le bétail (ovins, bovins, caprins et camelins) vendu par les éleveurs nationaux aux centrales de collecte chinoises….
  1. Remarques et observations
  • Une condition sine qua non pour la réalisation de ce projet sino-mauritanien : régler le statut juridique de ces domaines agricoles ;
  • Une commission d’experts devra être créée pour préparer un dossier aussi exhaustif que possible sur la faisabilité de ce projet avec une feuille de route claire pour atteindre les objectifs visés. Un dossier bien ficelé qui pourra être remis au président de la République pour un éventuel voyage en Chine pour la signature des contrats ;
  • Pour chapeauter ce projet, on devra, par ailleurs, penser à créer une agence nationale de l’agriculture (ANA) ;
  • Malgré leur énorme présence agricole dans tous les continents, les chinois semblent avoir jeté leur dévolu sur l’Afrique pour en faire leur principal grenier, malgré des incidents de parcours avec certains pays du continent noir. Cette préférence pour l’Afrique pourrait s’expliquer par des considérations géostratégiques.

De par son potentiel agricole et ses anciennes et solides relations d’amitié avec Pékin, la Mauritanie devrait, en toute bonne logique, être au centre de cette ouverture commerciale de l’Empire du Milieu en Afrique. La Mauritanie a été, en effet, parmi les tous premiers pays à reconnaître, dès le début de la décennie soixante, la République populaire de Chine. C’est là, l’une des raisons qui ont poussé la Chine, en retour, à réaliser d’importantes infrastructures en Mauritanie comme le port de l’amitié à Nouakchott.

Il va sans dire que cet éventuel type de partenariat avec la Chine pourra être transposé à d’autres partenaires : pays du Golfe et à d’autres pays comme l’Egypte qui a une grande expérience dans le domaine agricole. D’autant que ce pays qui connait une explosion démographique sans précédent est, désormais, menacé de famine à cause des barrages construits en amont de ce fleuve notamment en Ethiopie, lesquels menacent dangereusement son débit.

Une remarque pour terminer : les développements qui précédent pourraient apparaître comme sous-tendus par un certain optimisme. Simple impression. S’il est bien piloté, ce projet sino-mauritanien aboutira sûrement. Le marché, par définition, est le point de rencontre entre l’offre et la demande. Ces deux conditions sont réunies. Le reste est une affaire d’homme.