Menaces de tripatouillage de la Constitution : Nuages sur la démocratie

17 January, 2019 - 00:24

La question du troisième mandat ne cesse d’agiter la classe politique mauritanienne. Jusque-là restée en dehors de cette revendication, bien que suspectée, depuis les dernières élections locales qui l’ont pourvue d’une majorité à la soviétique, toute acquise au pouvoir, d’user de celle-ci pour amender la Constitution, l’Assemblée nationale est entrée dans la danse. Un groupe de députés a initié, ces derniers jours, une procédure visant à amender les articles  limitant le mandat présidentiel à deux. Ces élus seraient téléguidés par des proches de la tribu du président de la République et s’activent à collecter les signatures de suffisamment de leurs collègues pour  déclencher un débat dans la Chambre, désormais unique, du Parlement. Le président Ould Abdel Aziz doit rester au pouvoir, disent-ils, parce qu’il serait « le seul garant de l’avenir de ce pays ». Quid de la Constitution, du parjure, de l’éthique et de la morale ? Zapper un seul pan de cette question, c’est se moquer ouvertement des conséquences possibles, pour ne pas dire probables, de leur projet sur, justement, l’avenir du pays que celui-là prétend pourtant garantir.  Car il ne s’agit pas moins que de tirer un trait sur la démocratie mauritanienne. Quoiqu’on en dise, elle garantit un certain nombre de libertés. Elle peut même se vanter de trôner à la tête des pays arabes, en matière de liberté de la presse.

Pourquoi donc les députés du peuple sont-ils devenus plus royalistes que leur roi ? Le Président n’a cessé, jusqu’ici, de répéter qu’il respectait et respecterait la Constitution et son serment. Pourquoi diable  laisse-t-il ses ministres, certaines régions du pays et, aujourd’hui, ses députés ouvrir cette espèce de boîte de Pandore? En refusant de sanctionner ceux qui l’incitent à violer la loi fondamentale, le Président fait douter de la sincérité de sa parole et, surtout, de son départ de la présidence, dans quelques mois, à la fin de son mandat. Bien malin qui saura nous informer des véritables intentions du Rais. Il y a quelques mois, les optimistes affirmaient que le Président avait jeté son dévolu, pour lui servir de doublure, sur son alter ego, le général Ghazwani qu’il venait juste de nommer ministre de la Défense. Mais, depuis, le doute n’est toujours levé, c’est même le Président en personne qui le dit, dans une récente interview à Jeune Afrique, qui le voit déclarer ne pas avoir arrêté son choix. Une option qui déplairait à  certains de son entourage proche. D’où le retour, sur la rampe de lancement des hypothèses, du président de l’Assemblée nationale, Cheikh Ould Baya, un de ses très proches fidèles. Le puzzle ne semble donc pas achevé et l’on continue à spéculer, encourageant, ainsi, les partisans d’Ould Abdel Aziz à s’obstiner à le pousser à faire amender la Constitution en vue d’un troisième mandat. Et comme le Président ne dit rien sur l’agitation de ce nouveau « bataillon parlementaire », on peut s’attendre à tout. Des députés qui soutiendront cette initiative en gestation, comme de ceux – et  pas seulement de l’opposition… – qui s’y opposeront. Comme lors des amendements constitutionnels de mars 2017 où le Sénat avait surpris, en votant contre le projet de texte. On connaît la suite… En plus d’être supprimé, le Sénat s’est vu carrément rasé, il y a quelques jours.

Les députés mauritaniens auraient gagné  en sympathie et en estime, s’ils avaient poussé à l’organisation d’élections consensuelles et  apaisées, au lieu de pousser à la surenchère. Ils devraient surtout s’abstenir de donner, à leur action, une couleur tribale ou familiale. Ils sont élus du peuple, non de leur tribu ou de leur région. Face à cet échauffement parlementaire, l’opposition mauritanienne se dresse, vent debout, pour dénoncer ce qu’elle qualifie de « coup d’Etat contre la Constitution » et organisera des actions de contestation, pour peser sur le Parlement et l’opinion. Saura-t-elle réussir le coup de maître des oppositions burkinabé et sénégalaise, qui  réussirent à contraindre  leur Parlement à ne pas adopter des amendements constitutionnels qui auraient permis, aux  présidents  Abdoulaye Wade et Blaise Compaoré, de modifier les constitutions de leur pays afin de briguer de nouveaux mandats. Autre paire de manches, en Mauritanie où l’opposition s’est, tout de même, trouvé un allié de poids, en la personne de Mohamed ould Bouamatou qui vient de lancer, le weekend  passé, un appel très virulent, à l’ensemble des acteurs politiques, à la Société civile et à  toutes les forces vives du pays, pour qu’ils se dressent, tous ensemble, contre le projet du pouvoir en place. Une harangue de nature à radicaliser davantage le régime en place. Bras-de-fer en perspective ?

DL