Calam(ités)

24 April, 2019 - 02:04

Nous ne sommes plus qu’à quelques semaines de la présidentielle. Un important virage dans la jeune histoire de la République islamique de Mauritanie ? Ce serait « la première » occasion, commentent certains, de passer tranquillement le pouvoir à un président élu, consacrant ainsi une alternance pacifique. Mais le monde entier n’avait-il pas admiré, en 2007, la consultation nationale qui permit l’avènement, à la magistrature suprême, d’un civil démocratiquement élu, après une transition militaire de vingt-deux mois. Cette vraie « première fois » mondialement citée en exemple fut, il est vrai, torpillé, dix-neuf mois plus tard, sur coup de tête du général Mohamed ould Abdel Aziz que ces mêmes « certains » présentent, à présent, comme un « démocrate » accompli.

Depuis 1978, c’est dans le sillage de systèmes militaires successifs – en fait, toujours le même –que s’est constituée notre élite politique. De belles valeurs, comme l’honnêteté, le respect de la chose publique ou le civisme, s’y sont effritées. Ce qui tuait, hier, ne fait plus honte aujourd’hui. L’hypocrisie, la flagornerie, le mensonge ou le vol sont des comportements ordinaires dont ne se gêne plus aucun responsable. Etant entendu, comme le disait si bien Voltaire, que le voleur ordinaire vous vole votre argent, votre portefeuille, votre vélo ou votre parapluie, tandis que le voleur politique vous dérobe, lui, votre avenir, vos rêves, votre savoir, votre salaire, votre éducation, votre santé, votre force, votre sourire. Il existe, ajoutait le célèbre philosophe, deux différences importantes entre ces deux voleurs : en une, le premier vous choisit pour voler votre bien, alors que vous choisissez le second, pour qu’il vous vole ; en deux, la police traque le voleur ordinaire mais protège le voleur politique.

Une pensée de Norbert Zongo résume parfaitement la situation de la Mauritanie. « Il y a un mensonge, le vrai : quand un homme applaudit sans comprendre, ferme les yeux pour ignorer la vérité ; quand un intellectuel troque sa conscience et son âme pour des biens matériels ; quand, par peur de mourir ou, simplement, de perdre certains avantages, un homme sourit au malfaiteur, au tyran et au voleur ; quand un peuple refuse de se battre, de se responsabiliser parmi les autres ;  quand un dirigeant agit comme s’il avait inventé son pays et ruse avec les lois... Ce mensonge tue les hommes et les nations ». Les grands peuples sont ceux qui prennent – et tiennent – rendez-vous avec l’Histoire, n’acceptant jamais de rater son train. Quel qu’en soit le prix. La Mauritanie est aujourd’hui à la croisée des chemins. Son élite doit enfin prendre ses responsabilités, face au destin d’un peuple qu’elle a maintenu, quatre décennies durant, dans la souffrance d’un sous-développement envahissant, liant le pays à la traîne de ses pairs sous-régionaux. Une élite qui a participé, par peur ou envie, à l’ancrage de la mauvaise gouvernance, de la dictature, des violations des droits de l’homme, de l’exacerbation des tensions intercommunautaires et du pillage des ressources nationales, par des systèmes illégitimes, autoproclamés par la force. Il est honteux et désespérant de voir cette élite organiser, promouvoir et coordonner les actions de quelques initiatives ridicules et inciviques,  appelant à maintenir le peuple sous le joug dévastateur d’une bande de militaires travestis qui ont démissionné de leur mission régalienne, pour s’inviter dangereusement dans des affaires politiques que leur interdit, pourtant, leur serment d’officier. Se faisant, ils ont tout « bordélisé », armée et  politique. Des docteurs en mathématiques, physique ou chimie sont certainement plus utiles dans des laboratoires de recherche qu’en des cirques, rivalisant de grimaces avec des clowns et troubadours aux pantomimes les plus laides. La mort est obligatoire ; pas l’indignité. Le peuple est un train ; l’élite, sa locomotive. Qu’elle ne soit donc pas en panne de courage, d’ambition et d’engagement !

El Kory Sneiba