Mohamed Ould Ghazwani : inébranlable jusqu’à quand?

1 August, 2019 - 01:45

Le tout nouveau président de la République Islamique de Mauritanie, Mohamed Ould Ghazwani, est resté jusqu’à présent  inébranlable. Après ses discours de campagne et sa malencontreuse auto-proclamation, au soir du 22 Juin, cet ex-chef d’état-major des armées (pendant une décennie), s’est muré dans un silence bruissant.  Aucune déclaration, un voyage à l’étranger et puis… rien. Ses proches affirment cependant qu’il travaille activement sur la formation de son équipe, gouvernement et cabinet de la Présidence. Pendant ce temps, les Mauritaniens spéculent sur ses capacités à s’émanciper de son mentor, ami et frère, Ould Abdel Aziz. Alors que tout le monde s’attendait à ce que celui-ci fasse profil bas, depuis l’élection de son successeur, le président sortant accélère, au contraire, la cadence des nominations, lance des projets, en inaugure d’autres… Il reçoit même des opposants pour parler de l’avenir. Sa rencontre avec le leader de la CVE, Kane Hamidou Baba, n’a pas laissé indifférents les observateurs qui n’en finissent plus de s’interroger  sur l’opportunité de cette entrevue, aussi bien pour le Rais que pour le candidat malheureux à la présidentielle dont le siège de campagne fut saccagé, les militants bastonnés et arrêtés. Que diable est-il allé faire dans cette galère ?  Pour  les Négro-africains  et  les Haratines, les dix ans de règne d’Ould Abdel Aziz ont accentué les inégalités et, surtout, la marginalisation de leurs communautés. A l’origine de tous leurs malheurs, que peut-il faire, en moins de deux semaines de son départ du Palais, pour solder ce lourd passif, se demandent les militants de la CVE et d’IRA?  Libérer les militants de la CVE et prendre en charge les frais de soins d’un militant dont la main  a été arraché par une grenade, bien maigres consolations. La question de fond aurait dû  être abordée dès la prière aux morts, à Kaédi, le 25 Mars 2009.

 

Ouverture en Août ?

Le président sortant  n’entend donc  laisser aucune parcelle de son mandat à son successeur, quitte à le gêner ou déranger. Mais le marabout-général n’a pas  pipé mot. On raconte même qu’il aurait même invité ses proches à s’abstenir de toute déclaration sur les évènements post-scrutin. Une retenue qui tranche avec celle de son ami. Ghazwani attendrait donc son heure pour commencer à gouverner. Dieu sait combien délicats sont nombre des  dossiers qui l’attendent ! En premier lieu,  décrisper l’atmosphère politique. Depuis Août 2008, les relations, entre  le pouvoir et l’opposition, n’ont jamais été normales ou, du moins, en ce qu’elles devraient être, dans un Etat démocratique. La crise post-électorale consécutive au scrutin du 22 Juin pourrait empirer, si le nouveau président n’y prend garde. Même si les quatre candidats malheureux de l’opposition ont exprimé leur disponibilité au dialogue. Le cafouillage au lendemain de la déclaration de celui-ci n’est guère de nature à rassurer les observateurs. Certes, le nouveau président bénéficie de circonstances atténuantes. A en croire un de ses soutiens, le président de l’APP, Messaoud ould Boulkheir, Ghazwani avait accepté, parmi les conditions de l’appui de celui-là, l’organisation d‘un dialogue inclusif, au lendemain de sa prise de fonction.

Un dialogue débattant de toutes les questions qui fâchent en Mauritanie : l’unité nationale, l’ancrage de la démocratie et de la bonne gouvernance…et, partant, la refonte de certaines institutions comme la CENI et le Conseil constitutionnel. Un tel conclave, entre le pouvoir et l’opposition, devrait ouvrir la voie à l’organisation de nouvelles élections municipales, législatives et régionales, afin de tenir compte de l’évolution de la carte politique. Beaucoup de partis ont été dissous, d’autres consacrés, avec, enfin, de nouvelles alliances. L’opposition devra comprendre, si ce n’est déjà fait, qu’en dehors des alliances ou regroupements de partis, aucune alternative ne s’offre à elle.

 

Deux défis certains

Autres défis : les questions de l’éducation et de la santé. Sous Ould Abdel Aziz, on a consacré des  journées de réflexion et une année entière à l’éducation. Rien à l’arrivée, aucune évaluation et des résultats aux examens, bac notamment, en dégringolade accélérée, chaque année. La véritable réflexion doit porter sur la mise en place d’une école véritablement nationale, unifiée donc, quitte à supprimer le privé, au niveau du Fondamental, et obliger les fils à papa de fréquenter leur cycle primaire et le premier niveau du secondaire (collège) dans le public. Sinon, comment les premiers responsables du pays se préoccuperont-ils de l’école publique si leur progéniture n’y est pas ? C’est de ce désintérêt qu’ont jailli des réformes en cascades,  mal pensées et foutûment mises en œuvre !

Comme l’école, la question de la santé reste une préoccupation majeure des Mauritaniens. Certes, le pays a connu un développement significatif des infrastructures et des établissements spécialisés, mais le résultat n’a pas suivi. Des équipements de luxe (scanners, IRM…) ont été acquis à des prix faramineux : ils ne fonctionnent que quelques petites années.  La mauvaise exploitation du personnel, le  laxisme et l’absentéisme forment des goulots d’étranglement. La prolifération des cabinets et cliniques privés affecte, lourdement, le bon fonctionnement des structures publiques. La CNAM ne profite que très faiblement aux assurés, découragés par les lenteurs des recouvrements. Autre fardeau, les médecins généralistes sont devenus denrée  rare pour ne pas dire périmée. Notre pays compte un nombre inexpliqué et injustifié de professeurs de médecine, surtout depuis qu’on a ouvert une faculté de médecine à Nouakchott. Certains étudiants, triés sur de douteux critères, n’éprouvent aucune difficulté à passer à la classe supérieure. Presque sans niveau. Un simple exemple : un père de famille conduit son fils pris de malaise, dans un hôpital de la banlieue. Aux urgences, le voilà nez à nez avec plus sept blouses blanches. L’une demande, au père désemparé, d’acheter des produits pour une perfusion. Il s’exécute pour constater, à son retour, qu’aucun des infirmiers ou résidents ne sait faire une perfusion. Tous incapables de trouver la moindre veine où placer une aiguille. On appelle  le médecin  de garde qui se borne à déclarer que c’est là travail d’infirmiers, pas de médecin. Heureusement, apparaît un infirmier vieux de la vieille qui effectuera l’acte, sans encombre. La plupart des résidents ou médecins  qu’on rencontre dans nos structures de santé prouve, à telle enseigne et s’il était besoin, l’urgence de repenser notre système de santé. Stéthoscope autour du cou, ils/elles passent le plus clair de leur temps sur leur téléphone, dans les couloirs ou les salles de garde…Les stages pratiques ne les préoccupent guère,  les responsables chargés de les accueillir et de les encadrer ne peuvent ou n’osent les sanctionner : la majorité de ceux-là eux sont fils ’’bien nés’’. Et la liste des problèmes ici relatés n’est pas exhaustive ! Comme dirait l’autre, notre santé est malade, il lui faut un remède d’éléphant pour la sortir de l’ornière.

 

Casse-tête chinois

Santé et éducation : ces deux seuls secteurs ont de quoi dévorer les dix années d’Ould Ghazwani à la tête du pays. Et il reste d’autre soucis pour les Mauritaniens : comme la flambée chronique des prix des denrées de première nécessité, qui exige un audit des différents programmes d’urgence (Emel) ; ou la discrimination positive, pour apaiser les tensions communautaires apparues depuis quelques années et couronnées par le vote identitaire lors de la présidentielle. Enfin, lui qui n’a pas accepté le parrainage de l’UPR pour sa candidature devra trancher : fonder son propre parti, comme tous ses prédécesseurs ou… tenter de remettre sur les rails celui d’Ould Abdel Aziz, à l’agonie depuis sa dernière campagne de redynamisation. Dans la première option, il pourrait tirer profit du potentiel des nombreuses initiatives, partis et personnalités politiques qui ont soutenu sa candidature. Un chantier qui risque fort occuper la majeure partie de son temps… au détriment des chantiers sociaux susdits.

 

DL